Intervention de Serge Morvan

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 6 décembre 2018 : 1ère réunion
Audition de M. Serge Morvan commissaire général à l'égalité des territoires sur la mise en oeuvre de l'agence nationale des territoires

Serge Morvan, commissaire général à l'Égalité des Territoires :

Je vais répondre aussi bien que possible à vos questions, sachant que l'Agence n'est pas encore formellement créée. Évidemment, il faut donner une place importante aux élus et à l'opérationnalité. Le niveau qui a été choisi est donc celui du département. Il a déjà la vertu d'avoir obtenu l'adhésion de tous les protagonistes du projet.

La question qui se pose est celle de la gouvernance de l'Agence proprement dite. Il s'agit d'une question difficile : en la matière, je considère qu'il est nécessaire d'assurer une place très importante aux élus. Il pourrait d'ailleurs être envisagé une égalité entre les élus et les représentants de l'État. S'il est un sujet sur lequel je veux insister, c'est que le CGET ne bénéficie pas de cette égalité puisqu'elle est une administration. Le fait que les élus puissent donner leur accord, leur avis, et puissent débattre des orientations est important. Ce débat est important. Il se poursuivra.

Bien évidemment, comme vous l'avez dit, les moyens qui seront déployés pour cette Agence ne devront pas être pris à d'autres structures. Cette question est majeure. Cette question des moyens est importante. Ce qui me semble manquer parfois est l'intégration de la dimension territoriale dans la définition d'une action publique de l'État. Il convient de mettre en amont la question du territoire, pas uniquement en aval. Mes propos peuvent sembler abscons à certains, mais sachez que je rencontre parfois de vraies difficultés, au sein des services de l'État. Les fonds doivent être mobilisés, vous l'avez donc compris, et ces fonds ne sauraient être pris ailleurs. Peut-être doit-on aller encore plus loin sur certaines dérogations ?

Il s'agit également de changer de posture : il ne faut désormais plus se poser la question des raisons pour lesquelles on ne parvient pas à mettre en place une action, mais plutôt de se poser la question comment elle peut l'être. Cela changerait très certainement la nature des relations entre les élus locaux et les services de l'État. J'ai été préfet des Yvelines : je sais donc de quoi je parle ! La lecture des normes et des lois ne doit plus être littérale. Elle doit aussi inclure une dimension adaptatrice. J'espère vivement que l'Agence y contribuera. Nous allons créer un nouvel objet et nous allons lui donner une place suffisante, ce qui ne sera peut-être pas toujours simple. Cela permettra de redonner un souffle à cette lecture nouvelle que l'on doit faire de l'État.

Quant aux territoires, j'ai écrit dans mon rapport que la brique de base était l'EPCI et que l'on doit aller jusqu'au département. Quinze ou vingt départements méritent de notre part une action prioritaire de mobilisation générale à laquelle l'Agence doit contribuer et à laquelle elle donnera tout son sens. Cela n'empêche pas que des discussions surviennent avec l'AMRF ou l'AMF sur le rôle de la commune. La plupart du temps, les communes ont fait le choix de transférer une partie de leurs compétences à ces EPCI sur les sujets qui nous occupent. En revanche, s'il est une chose que le préfet ne doit surtout pas faire, c'est accepter que la commune et le groupement de communes portent un projet commun si l'une et l'autre ne le partagent pas vraiment. En d'autres termes, la commune et le groupement de communes doivent très scrupuleusement porter ce projet commun, sauf à ce que le service de l'État arbitre entre les deux parties. Il ne faut donc surtout pas faire naître des espoirs que l'on ne saurait pas satisfaire. Il convient d'être honnête. L'Agence aura des missions à entreprendre, mais elle ne pourra pas tout faire. Elle devra donc opérer des choix. Pour autant, l'Agence n'entend pas favoriser la « prime au mauvais élève ». Il convient de faire le constat qu'il est certains territoires qui ont prioritairement besoin des actions de la future agence. J'ignore pour quel motif ils n'en ont pas bénéficié auparavant. De bonnes raisons l'expliquent. Il convient de s'attacher à la situation existante. L'action de l'Agence s'exercera prioritairement sur tous les territoires en difficulté, notamment les territoires ruraux. On y trouve aussi des territoires urbains. N'oublions pas l'importance des politiques innovantes que certains élus peuvent initier sur leurs territoires. L'Agence doit les accompagner dans leur déploiement. Il est important de savoir ce que l'on veut faire. Il est également important de savoir que chaque territoire peut avoir sa propre trajectoire et qu'elle peut être différente de celle du territoire voisin, mais qu'il convient d'accompagner ces trajectoires différentes, à la seule condition que l'on s'inscrive dans un avenir commun au sein de la République française. J'affirme ici que l'Agence veillera à toujours soutenir les trajectoires différentes, mais certainement pas les trajectoires divergentes.

Une ingénierie de l'État peut parfois être utile. Elle peut ne pas toujours l'être. C'est la raison pour laquelle elle peut et doit s'appuyer sur des ingénieries locales. Nous essayons de travailler à la constitution de plates-formes de recensement et de recueil de ces moyens d'ingénierie existant sur place. Cela permet de savoir sur qui on peut s'appuyer. Il convient que cette ingénierie locale et que cette ingénierie de l'État s'appuie aussi sur l'ingénierie privée.

Je voudrais aussi évoquer la question de la vision planificatrice à court, à moyen et à long terme. Ce sujet reste compliqué parce qu'il suppose de demeurer sur un chemin de crête. L'État peut développer et doit parfois développer une vision globale de cohésion du territoire, qui n'est cependant pas celle de la DATAR en son temps ! Il est important, sans favoriser une politique d'aménagement du territoire imposée ex abrupto et d'en haut, que s'engage une réflexion stratégique et qu'elle puisse s'engager. Nous avons au CGET - et demain à l'ANCT - des publications qui sont de qualité, même si elles se focalisent surtout sur les connaissances. Le CGET s'est en quelque sorte transformé en CNRS ! Il nous faut développer la notion d'analyse de la décision publique et de l'État.

La question de l'interdépendance a été citée tout à l'heure. Des pactes ont été signés entre les agglomérations et leurs périphéries. Je pense que les métropoles souhaitent apporter leur aide aux territoires les plus excentrés en considérant que ces métropoles ont tout à y gagner. C'est un point de vue qu'il convient de faire évoluer. Quant aux appels à projets, j'y suis fermement opposé, du moins dans leur forme actuelle. Certains d'entre eux sont utiles. Il convient d'y mettre un terme. Ces appels à projet servent souvent à projeter la politique de l'État sur les territoires car pour remporter ces appels à projet, il convient d'être conforme à la politique que l'État entend mener. Cela n'est pas très décentralisateur. Pour autant, l'État doit veiller à répondre aux besoins que peuvent exprimer les territoires. Sur la question du besoin d'ingénierie à long terme, je partage le point de vue qui a été exprimé : l'Agence doit jouer un rôle de passeur. Nous avons commencé ce travail. Sur les contrats entre État et collectivités territoriales, ils sont nécessaires, mais très divers. On en recense à cette date 1 235. Nous devons clarifier la forme que prennent ces contrats. Je préfère que l'on parle en la matière de « contrat global ». Reste la question du choix entre fusion et coordination. Le choix est difficile. J'estime que l'équilibre qui est défini par la proposition de loi, intégrant deux services, est équilibré. Ces intégrations demeurent, je le crois, indispensables. La question de l'Agence du Numérique est importante : en effet, nous avons besoin de mettre en place, plus encore qu'aujourd'hui, même si le travail que cette Agence réalise, une dimension territoriale par l'approche de ces questions. L'Agence du Numérique favorise les discussions conceptuelles, notamment sur le déploiement de la 5G ou l'économie du numérique. L'intégration de cette structure au sein de la future Agence va permettre de favoriser la dimension territoriale comme une dimension première.

En conclusion, j'affirme que la notion de territoire est une notion souple et que la notion d'urgence est très importante. Nous reprendrons les contrats spécifiques existant sur le territoire, notamment ceux signés sur des bassins miniers.

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