Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, plus fortement encore qu’hier, nous savons que l’énergie est au cœur des préoccupations des Français.
Elle l’est, d’abord, parce que les dépenses pour se chauffer ou pour se déplacer pèsent lourdement dans le budget de nos concitoyens, en particulier pour les plus fragiles d’entre eux et pour ceux dont les trajets domicile-travail sont les plus importants. Elle l’est aussi, parce que, ne nous y trompons pas, les Français sont bien conscients qu’il nous faut changer de modèle pour limiter le changement climatique et lutter contre la pollution de l’air, même s’il faut bien admettre que la France n’est pas le plus mauvais élève de l’Union européenne ni du monde.
Dans le domaine de l’énergie, nous avons donc à traiter deux dimensions, dont on a bien vu, ces derniers mois, qu’elles pouvaient se percuter lorsque les efforts n’étaient pas équitablement répartis. Je veux parler des problèmes de « la fin du mois » et de celui de « la fin du monde », selon l’expression désormais consacrée.
Dans ce projet de programmation pluriannuelle de l’énergie, monsieur le secrétaire d’État, vous prévoyez notamment de doubler les capacités installées d’énergies renouvelables électriques d’ici à 2028 en lançant une dizaine d’appels d’offres chaque année, ce qui conduira à augmenter les dépenses de soutien d’environ 5 milliards d’euros par an, hors la dette due à EDF, à environ 7 à 8 milliards d’euros par an dans les années à venir.
Même si les coûts baissent très rapidement et que, pour le même prix, si j’ose dire, nous atteindrons des volumes beaucoup plus significatifs, ce seront toujours plusieurs milliards d’euros en plus qu’il faudra bien trouver quelque part. Or c’est là l’un des grands angles morts de ce projet, Jean-François Husson l’a parfaitement souligné.
Pour les financer, monsieur le ministre d’État, vous comptiez sans doute sur les hausses de taxe carbone, mais celles-ci ont été annulées – suspendues, nous dites-vous – et l’essentiel des recettes déjà acquises est mobilisé pour alimenter le budget de l’État et financer d’autres baisses d’impôts ; elles ne pourront donc servir plusieurs fois…
Le Président de la République lui-même semble dans le flou, puisque, dans le cadre du grand débat national, il en appelle aux Français : « Comment finance-t-on la transition écologique : par l’impôt, par les taxes et qui doit être concerné en priorité ? » Je suis d’ailleurs étonnée, monsieur le ministre d’État, de vous avoir précédemment entendu dire que le débat ne serait pas nécessairement considéré… Ce que l’on sait en revanche de façon certaine, c’est qu’il faudra bien que quelqu’un soit mis à contribution.
Au-delà du mode de financement, les premières remontées des cahiers de doléances ouverts dans certaines mairies font apparaître une forte mobilisation contre les éoliennes. Là aussi, nous sommes au cœur des contradictions qu’il nous faudra surmonter entre, d’un côté, le désir de chacun d’avoir des énergies plus propres, et, de l’autre, celui qu’elles ne soient pas installées au bout de son jardin, selon un phénomène bien connu, qui n’épargne en réalité aucune des sources d’énergie – nous pourrions dire la même chose avec la méthanisation.
Là aussi, nous aurons à rechercher la juste répartition des efforts, par exemple entre les ruraux, qui auront à vivre avec ces éoliennes, et les urbains, qui ne seront pas concernés, mais qui les réclament, et qui subissent il est vrai déjà d’autres nuisances. Il faudra aussi gérer la frustration des habitants d’immeubles collectifs, qui ne disposent pas des mêmes services ou des mêmes possibilités pour recharger leur voiture que dans l’habitat individuel. Nous pourrions multiplier les exemples.
Il ne faudrait pas non plus que cette demande d’individualisation croissante permise par les évolutions technologiques – pouvoir produire sa propre énergie verte localement et l’autoconsommer – ne remette en cause les valeurs de solidarité et de péréquation qui fondent notre modèle français, en particulier dans le domaine de la distribution d’énergie.
Sans garde-fou, un participant à une opération d’autoconsommation collective pourra décider, un jour, de ne plus contribuer à la solidarité nationale en ne finançant plus le réseau dont il croira pouvoir se dispenser ; les plus éloignés du réseau paieront alors plus cher, et l’on aboutira à moins de solidarité, là où nos concitoyens en réclament toujours davantage.
Monsieur le ministre d’État, prenons garde à tous ces risques. La tâche n’est pas facile, je l’admets, mais je pense que, pour l’accomplir, vous gagneriez certainement à associer encore davantage nos concitoyens – à cet égard, nous verrons ce que donnera le grand débat –, mais aussi les parlementaires. De ce point de vue, je connais votre ouverture personnelle à l’idée d’une véritable loi de programmation pluriannuelle de l’énergie, mais nous en sommes encore très loin : encore aujourd’hui, nous discutons d’un projet de décret.
D’autres progrès en matière de transparence et de contrôle parlementaire pourraient aussi être envisagés : je pense en particulier aux certificats d’économies d’énergie, les C2E, qui sont en réalité une quasi-taxe qui ne dit pas son nom, dont le montant atteindra 9 milliards d’euros sur la période 2018-2020 et qui pèse déjà à la pompe et sur les factures, mais dont aucun des éléments, ou presque, n’est approuvé par le Parlement !
Tels sont, monsieur le ministre d’État, quelques-uns des chantiers qui se trouvent devant nous. Certes, nous ne sommes pas forcément toujours d’accord avec la politique énergétique de ce gouvernement, qui, à vrai dire, se situe dans la droite ligne de celle de son prédécesseur. Mais, chaque fois que vous voudrez bien associer le Parlement, en particulier le Sénat, nous serons heureux de travailler avec vous, avec pragmatisme et avec pour seule boussole le bien des Français, comme nous en avons, je le crois, fait la démonstration ces dernières années.