Intervention de Henri Cabanel

Réunion du 15 janvier 2019 à 14h30
Gouvernance des grands groupes coopératifs agricoles — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Henri CabanelHenri Cabanel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis un coopérateur depuis près de quarante ans. En pleine crise viticole, en plein Midi rouge, j’ai choisi la solidarité et l’entraide. J’ai également assumé la présidence de l’une des plus grosses structures coopératives vinicoles de l’Hérault.

Que ce soit au sein d’une cave coopérative ou d’une coopérative d’utilisation de matériel agricole, une CUMA, les décisions se prennent toujours à plusieurs têtes, le travail se fait à plusieurs mains, dans le débat et le respect des avis parfois divergents.

En tant que vigneron héraultais, je suis fier de rappeler dans cet hémicycle que la coopération viticole est née à Maraussan, commune de l’ouest du département, près de Béziers, en 1901, sous la bannière de « Tous pour chacun, chacun pour tous », et que Jean Jaurès est venu la visiter le 1er mai 1905. Ce dernier a rendu hommage à ce regroupement de petits propriétaires, en disant : « Les associés de la Société des Vignerons libres travaillent chacun leur tout petit domaine, mais ils ont commencé par avoir un chai commun, une cave coopérative commune.

« Mais il ne leur a pas suffi d’organiser la vente. Maintenant que, par une première application de l’association, ils ont vaincu l’esprit de défiance, ils vont plus loin : ils commencent à organiser la production. »

Voilà, en quelques phrases précises, l’esprit coopérateur : aller toujours plus loin, car, ensemble, on est plus forts, plus intelligents, et aussi plus audacieux.

Depuis lors, la situation a évolué et la tendance s’est inversée : si un adhérent égale toujours une voix, certaines voix pèsent plus que d’autres ! Alors que, à l’origine, 100 % des coopérateurs étaient des pluriactifs, aujourd’hui, les gros propriétaires représentent 30 % des adhérents et exploitent 70 % des surfaces.

La philosophie a elle aussi évolué, les crises agricoles ayant entraîné la fusion des caves coopératives. Ces regroupements ont donné naissance à de grosses structures. On a assisté à une course au monopole et à la taille. Du poids de chaque cave dépend le pouvoir de certains. On oublie alors, parfois, les valeurs de base de la coopération.

L’exemple de la coopérative Tereos, qui a évincé certains de ses administrateurs, montre les dérives possibles d’un tel système quand l’agriculteur perd la main.

À l’instar des communes dans les EPCI, on assiste à un éloignement de l’adhérent. La gouvernance repose souvent sur un exécutif réduit. Pour les caves viticoles, comme ailleurs, il est constitué d’un tandem formé d’un président et d’un directeur. Il a même fallu modifier les statuts et les règlements internes, car il n’était plus possible d’atteindre le quorum lors des assemblées générales annuelles.

Peut-on faire marche arrière et retrouver la fraternité et l’esprit collectif des temps anciens ? Si la personnalité des présidents, leur faculté à coconstruire, est le ciment de leur gouvernance, il me semble nécessaire de repenser la coopération, afin d’assurer une représentation plus réelle des adhérents.

L’absence d’obligation d’information et de communication pour le président du conseil de surveillance est une entrave majeure à l’esprit coopératif. Il faut aussi prendre à bras-le-corps la formation des administrateurs et la rendre obligatoire. Compte tenu de la complexification de la législation, mais aussi des évolutions techniques et scientifiques dans le domaine agronomique, il est nécessaire de professionnaliser les membres du conseil d’administration ou, a minima, ceux qui aspirent à faire partie de l’exécutif.

Comme les grosses entreprises, les coopératives doivent faire face à des enjeux mondiaux et développer des stratégies. Comment un agriculteur peut-il être à la tête d’un énorme paquebot sans avoir de notion de navigation ?

La coopération, qui repose sur l’économie sociale et solidaire, est un système qui a toute sa place dans l’économie et qui a montré ses atouts. Jean Jaurès rendait hommage à l’initiative de Maraussan en disant : « Ainsi le germe de solidarité se développe. Ainsi s’ébauchent, jusque dans ce monde paysan si morcelé, des formes nouvelles et plus hautes de production et de vie. »

Pour ma part, j’espère que ces structures sauront revenir à leurs fondamentaux pour que, aux côtés du germe de solidarité, se développe celui de la démocratie participative.

Monsieur le ministre, si vous devez travailler de près ou de loin sur le système coopératif, ne pensez-vous pas qu’il vaudrait mieux en débattre au Parlement plutôt que de légiférer par ordonnances ?

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