Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier le sénateur Pierre Louault et son groupe d’avoir choisi de mettre ce sujet – passionnant – à l’ordre du jour.
Vous avez été plusieurs à rappeler ce que sont les coopératives et à souligner leur poids. Permettez-moi d’entamer mon intervention en évoquant deux écueils à éviter lorsque l’on traite du système coopératif en France : le premier consiste à se défier des coopératives ou de « sa » coopérative ; le second, à redouter le développement économique et la mise en situation de concurrence.
On ne le dira jamais assez, depuis l’origine des coopératives – Mme Cécile Cukierman l’a rappelé –, jusqu’à aujourd’hui, l’esprit est resté le même : chacun est libre d’adhérer à une coopérative ou pas ! M. Daniel Dubois s’est très justement référé aux intercommunalités. Le principe est identique : l’adhésion est libre et si, au bout de cinq ans, on veut quitter sa coopérative, rien n’empêche de le faire. Mais tant que l’on reste dans le système coopératif, je veux l’affirmer ici, on se trouve dans un système qui fonctionne à merveille !
Certes, il peut toujours y avoir des problèmes, ici ou là. Mais ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain, alors même que les coopératives françaises fonctionnent à merveille et qu’elles figurent parmi les entreprises concourant à l’excédent de notre balance commerciale pour les produits agricoles et agroalimentaires.
Je puis vous dire que, pour ma part, je suis très fier quand je vois six coopératives dégager 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires. N’oublions jamais que le développement économique de ces coopératives, et du secteur agricole dans son entier, est un élément essentiel dans la concurrence mondiale. Ces six coopératives sont notre fierté !
L’une d’entre elles – elle a été plusieurs fois citée – connaît aujourd’hui des difficultés de gouvernance… Ne nous focalisons pas sur ce cas ! À l’heure actuelle, une pétition a été lancée et un administrateur qui avait été soustrait du dispositif de gouvernance a été réintégré. La liste des pétitionnaires se trouve dans le coffre du HCCA. Si elle est validée, une nouvelle assemblée générale se tiendra dans les semaines à venir et les administrateurs prendront alors leurs responsabilités. Dans le cas contraire, l’assemblée générale aura lieu, comme prévu, au mois de juin prochain.
Toutefois, en dehors de tels ou tels aspects particuliers, nous ne pouvons, tous, qu’appeler de nos vœux un système dans lequel, de manière contractualisée, une coopérative prélève 100 % de la production d’un producteur qui s’est engagé à la lui vendre en totalité. Aussi je voulais, en introduction de mon propos, rendre un vibrant hommage à tous les agriculteurs qui ont fait le choix du modèle coopératif et à l’ensemble des coopératives.
Il n’existe pas qu’un seul modèle – certains n’ont pas choisi le modèle coopératif, et cela fonctionne aussi très bien –, mais le modèle coopératif montre ce que nous pouvons faire au travers de l’action collective.
Les coopératives et leurs adhérents maillent le territoire. On ne dira jamais assez à quel point ils participent d’un véritable aménagement du territoire – Mme Patricia Morhet-Richaud l’a souligné. Ce sont là des emplois non délocalisables et, au moment où nous rencontrons des difficultés économiques, c’est un élément très important.
Les chiffres ont été cités : quelque 2 500 coopératives comptabilisent un chiffre d’affaires de 85 milliards d’euros. Ce n’est tout de même pas rien !
L’ordonnance prévue dans le cadre de la loi ÉGALIM, qui sera publiée dans les semaines à venir, apportera un peu plus de transparence et de régulation au modèle coopératif. Pour l’heure, cette ordonnance, si je puis dire, est en train de tourner : nous en discutons avec Coop de France et avec l’ensemble de celles et ceux qui ont des choses à dire sur le sujet, afin qu’elle soit consensuelle. Et j’espère, je suis même quasiment certain, qu’elle le sera !
Il en va de même, d’ailleurs, pour l’ordonnance évoquée par Mme Patricia Morhet-Richaud sur la séparation entre vente et conseil, qui n’entre pas véritablement dans notre débat de cet après-midi. Ce projet est également en train de tourner : les membres de mon cabinet et moi-même rencontrons de nombreux responsables, et je ne doute pas que nous parviendrons à élaborer une ordonnance acceptée par l’ensemble des parties prenantes.
L’objectif du Gouvernement, ce n’est pas de développer une vision, sans regarder ailleurs. C’est d’accompagner le développement économique de l’agriculture française ; certes, de limiter l’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans l’agriculture et d’encourager la mutation de cette dernière, mais tout cela en responsabilité, avec les représentants des filières coopératives. C’est ce que nous allons faire.
La spécificité de la relation d’un agriculteur avec sa coopérative a été soulignée à plusieurs reprises. Celui-ci est, à la fois, propriétaire, client et fournisseur. Ce point est, comme M. Henri Cabanel l’évoquait, au fondement du modèle coopératif. C’est cela l’essentiel, qu’il s’agisse de toutes petites coopératives – il y en a, dans mon département, qui obtiennent de très bons résultats sur des produits de niche – ou, sinon de mastodontes, si j’ose dire, du moins de grosses coopératives, qui interviennent à l’export et qui sont tout aussi indispensables.
Le projet d’ordonnance que je publierai très prochainement a pour objectif de préciser les dispositions de l’article 1er de la loi ÉGALIM, définissant un cadre rénové à la contractualisation.
Je vais maintenant suivre le fil de cette ordonnance, afin de n’oublier aucun sujet. Il s’agit de retrouver dans la relation entre la coopérative et l’associé coopérateur des clauses produisant des effets similaires.
Le premier sujet, que vous avez été plusieurs à évoquer, c’est l’information sur les modalités de rémunération par unité de volume des associés coopérateurs à la fin de chaque exercice. Ces modalités sont précisées dans le règlement intérieur, notamment l’information sur les deux clés de distribution du résultat : la part destinée aux associés coopérateurs par rapport à la part restant à la coopérative – c’est tout à fait logique – et la part des dividendes remontés des filiales par rapport aux résultats de celles-ci.
Le deuxième sujet, c’est la lisibilité des modalités de sortie de la coopérative, avec, notamment, des informations sur le délai de remboursement des parts sociales.
Il est également proposé, dans cette ordonnance, de faire évoluer le Haut Conseil de la coopération agricole, le garant du droit coopératif. Son fonctionnement actuel, vous avez été nombre à le dire, ne lui permet pas de remplir cette mission de façon effective. Il est donc proposé de renforcer ses possibilités d’action, en vue d’en faire un conseiller auprès des coopératives, pour leur gouvernance, et non un gendarme. M. Daniel Dubois voulait qu’il soit un gendarme ; je crains que cela n’effraie, mais, à tout le moins, le HCCA doit disposer des moyens de remplir son office.
En matière de contrôle des statuts de la coopérative par cet organisme, la loi impose déjà à toutes les coopératives l’obligation de respecter les statuts types homologués par arrêté ministériel.
Le HCCA, lors de l’instruction de l’agrément d’une coopérative, vérifie donc la conformité des statuts. Il effectue cette même vérification lorsqu’une modification d’agrément est nécessaire – par exemple, dans le cas d’une fusion de deux coopératives ou d’une extension de la circonscription territoriale. Il n’y a donc pas nécessité de légiférer en la matière.
Au-delà des statuts, il faut vérifier la conformité de tous les textes régissant le fonctionnement de la coopérative – règlement intérieur, bulletin d’adhésion, etc. –, et, surtout, la réalité de son fonctionnement pratique. Ce contrôle existe : il s’agit de la révision. Il sera renforcé, avec la possibilité, pour le HCCA, de diligenter un contrôle ad hoc. C’est là un point important, qui a été intégré dans la loi d’habilitation.
En outre, et surtout, ce contrôle sera désormais accompagné de sanctions lorsqu’il révélera des non-conformités, ce qui permettra de cadrer un certain nombre de choses et de mettre tout le monde sur un pied d’égalité.
Ces sanctions seront graduées, car le but n’est évidemment pas de mettre en cause ou de fragiliser les coopératives concernées. Il pourra s’agir d’un courrier d’avertissement ou de la convocation d’une assemblée générale de la coopérative – c’est une innovation que nous introduisons, en permettant au HCCA, dans sa grande sagesse, de convoquer une nouvelle assemblée générale s’il constate des dysfonctionnements, et cette nouveauté, déjà évoquée par M. Pierre Louault dans son propos liminaire, me semble aller dans le bon sens. Au pire, on pourra envisager la saisine du tribunal pour prononcer des astreintes tant que la mise en conformité n’est pas effective.
En l’état actuel, les coopératives et leurs membres font très peu appel au médiateur de la coopération agricole – c’est, de nouveau, un point évoqué par plusieurs d’entre vous.
C’est certainement dû à sa mise en place récente et à sa faible visibilité auprès des coopérateurs. Il est donc proposé de modifier les conditions de sa nomination pour assurer toute son indépendance. Le médiateur sera nommé par décret, décret que je prendrai après avis du comité directeur du HCCA. Il faut, me semble-t-il, que ce soit une personnalité indépendante et que l’on connaisse son existence !
Par ailleurs, l’intervention du médiateur de la coopération agricole doit être mieux coordonnée avec celle du médiateur des relations commerciales agricoles, point sur lequel, effectivement, la marge de progression est assez grande.
Il doit bénéficier des mêmes avancées que celles qui ont été offertes au médiateur des relations commerciales agricoles par la loi. D’ailleurs, nous allons instaurer une charte éthique et déontologique pour les membres du HCCA. C’est aussi, je pense, un point important.
J’entends parfois dire que nous ne serions pas allés assez loin… Attention ! Tout d’abord, le débat parlementaire a délimité avec précision le périmètre de l’habilitation et les contours de cette ordonnance.
Je dois le dire, nous avons beaucoup travaillé, avec Coop de France, le HCCA, les OPA, pour identifier les priorités, conformément à la méthode qui est la mienne – j’estime que l’on ne peut pas prendre des décisions du haut de je ne sais quoi, sans en discuter avec la base. Ces priorités sont de renforcer la transparence de la coopérative sur la rémunération des associés coopérateurs et d’assurer le contrôle de cette transparence par le HCCA et le médiateur.
Dans votre intervention, monsieur Louault, vous avez mentionné les difficultés liées aux présidents de filiales qui devraient être administrateurs coopérateurs. Nous n’avons absolument pas la possibilité d’entrer dans cette problématique, qui relève du fonctionnement même de la démocratie au sein de la coopérative.
S’agissant des filiales de coopérative et de la publication des comptes consolidés, je tiens à le rappeler, la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a renforcé la transparence du secteur coopératif, en introduisant l’obligation de rendre compte du résultat des filiales dans le rapport aux associés. Je ne souhaite pas aller plus loin, ne voulant pas montrer du doigt ce que pourraient être des dysfonctionnements qui n’existent pas forcément. De nouveau, veillons à éviter les écueils évoqués précédemment !
S’agissant de la rémunération des administrateurs, je ne pense pas que la loi soit un bon vecteur de régulation. Je voudrais simplement m’arrêter sur un chiffre : la médiane d’indemnités versées représente 14 500 euros par conseil d’administration et par an. Si l’on compare ce montant au temps moyen passé par les administrateurs – 311 jours par an et par coopérative –, on met en évidence le caractère mesuré du niveau d’indemnisation des administrateurs, au regard de leur implication.
Un comité des rémunérations des dirigeants existe souvent déjà au sein des plus grands groupes coopératifs. Soyons prudents quant à une généralisation obligatoire à toutes les coopératives. C’est aujourd’hui une prérogative normale des conseils d’administration ; laissons-les prendre leurs responsabilités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, chaque fois qu’une structure croît, qu’elle soit une coopérative ou une entreprise, elle peut être confrontée à des problèmes de gouvernance. La montée en compétences de ses administrateurs est alors indispensable – M. Franck Montaugé a cité leur formation, qui est absolument essentielle. Ces derniers doivent avoir, autant que faire se peut, la capacité de comprendre où le directeur général les emmène et de mettre au défi les instances de direction.
Toutefois, en soi, il n’y a rien à redire de ce système, qui existe depuis quelques années déjà et où l’on trouve, côte à côte, un président de conseil d’administration et un directeur. Dans les coopératives, c’est comme en politique, si je puis m’exprimer ainsi : quand le politique est défaillant, la technostructure prend le pouvoir !