Intervention de Didier Mandelli

Réunion du 15 janvier 2019 à 14h30
Mobilités du futur — Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective

Photo de Didier MandelliDidier Mandelli :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la délégation à la prospective, mes chers collègues, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable aura très prochainement l’importante tâche d’examiner le projet de loi d’orientation des mobilités, qui a été déposé par le Gouvernement au Sénat le 26 novembre dernier. Nous sommes bien sûr déjà au travail et je suis honoré de la confiance que la commission m’a témoignée en me nommant rapporteur. C’est en cette qualité que je voudrais vous dire quelques mots en cette fin d’après-midi. J’en profite pour excuser notre président Hervé Maurey, qui n’a pas pu être parmi nous en cette fin d’après-midi en raison de la présence du Président de la République dans son département pour un autre débat, un peu plus vaste.

Le thème de notre débat d’aujourd’hui – les mobilités du futur – est loin d’être sans lien avec les travaux que nous menons actuellement au sein de la commission.

Permettez-moi tout d’abord de saluer l’important travail de la délégation sénatoriale à la prospective ainsi que la qualité du rapport d’information qu’elle a publié en novembre dernier. Mais c’est aussi son rôle au sein de notre assemblée que je voudrais vanter. C’est en effet une grande chance pour nous de pouvoir compter sur les travaux de cette instance prospective qui, par nature, a le temps de se pencher et de réfléchir sur les défis du futur à 10, 15, 20 ans et au-delà, tandis que les commissions permanentes sont contraintes par les délais et les rythmes législatifs. Notre débat de cette fin d’après-midi, qui s’inscrit dans le contexte de l’examen très prochain du projet de loi d’orientation des mobilités, montre cette complémentarité.

Quatre des cinq rapporteurs de la délégation sont d’ailleurs des membres actifs de notre commission et participent avec une grande assiduité aux auditions que je conduis et que j’ai souhaité ouvrir à tous les membres de la commission, en y associant également notre collègue Françoise Gatel, rapporteur pour avis de la commission des lois. Je souhaite également les remercier pour leur travail, qui nous sera précieux lorsque nous arriverons à la phase concrète d’examen du projet de loi.

Vous ne m’en voudrez donc pas de faire le lien, d’établir ce pont évident entre les réflexions prospectives de la délégation sur les nouvelles mobilités et le projet de loi d’orientation et de programmation que vous portez, madame la ministre, dans un contexte que l’actualité rend particulièrement sensible.

Nous serions complètement déconnectés si nous nous contentions en cette fin d’après-midi de parler de la maturation technologique des véhicules autonomes ou encore des innovations scientifiques des start-up en matière de systèmes de covoiturage sans les relier aux enjeux actuels. Certes, les grandes mutations en cours doivent être bien comprises pour nous permettre de construire des scénarios d’adaptation à horizon 10 ou 15 ans. Mais ce sont surtout nos choix d’aujourd’hui que ces mutations bien appréhendées doivent déterminer.

Le rapport de nos collègues identifie deux mutations principales, qui sont entremêlées.

La première est une véritable « révolution » des usages. Cette révolution recouvre des enjeux environnementaux – comment passer à des transports moins polluants ? –, socio-économiques – comment garantir l’accès de tous à une offre de transport multiple et attractive ? –, industriels – comment permettre à notre filière automobile d’assurer les transitions en cours et à nos start-up de continuer à innover ? –, mais aussi territoriaux – comment mettre fin à ce qu’on appelle les « zones blanches de la mobilité », qui finalement divisent les citoyens en deux catégories, les « connectés », reliés au monde extérieur et mobiles, et ceux qui ne le sont pas ?

La seconde est une « révolution du numérique », qui impacte tant les offres de transports que la demande, tant les véhicules que les modes de conduite, et qui soulève des questions juridiques très fortes que le projet de loi d’orientation des mobilités commence à aborder. Ces questions sont très diverses. Elles vont de l’ouverture des données de mobilité au statut des personnes qui travaillent en ayant recours à des plateformes de mise en relation électronique.

Notre monde change au gré de ces enjeux. Et, en tant que rapporteur de la LOM, mon principal message pour notre débat de cette fin d’après-midi sera d’insister sur la nécessité de penser les mobilités de demain comme un outil au service de la réduction des fractures qui parcourent notre société, au premier rang desquelles les fractures territoriales. Ainsi, nous devrons veiller à ce qu’il n’y ait pas des gagnants et des perdants dans cette révolution des mobilités. Nous devrons absolument faire en sorte que les mobilités du futur n’accentuent pas les inégalités existantes ou – pire ! – qu’elles n’en créent pas de nouvelles. La mobilité connectée, le covoiturage, les nouvelles offres de free floating, le développement des transports à la demande ne doivent pas être réservés aux villes, tandis que les zones rurales n’auraient d’autre choix que de continuer à privilégier l’« autosolisme » et seraient même financièrement pénalisées pour cela, notamment en termes de fiscalité.

Une très récente étude du Pew Research Center montre que la spectaculaire progression des applis VTC aux États-Unis concerne avant tout les jeunes, les urbains et les catégories les plus aisées. Des mobilités du futur au service du désenclavement des territoires : voilà ce qui serait la plus grande des innovations ! Je rappelle d’ailleurs que c’est grâce à la présence des sénateurs au sein du Conseil d’orientation des infrastructures que les problématiques d’aménagement du territoire et du désenclavement des petites villes sont devenues des priorités. Et je souligne que cette présence est transpartisane.

Le projet de loi d’orientation des mobilités comprend des dispositions dont l’ambition affichée est de répondre à ce sentiment d’abandon des territoires. On peut citer par exemple la couverture de l’ensemble du territoire par des autorités organisatrices de la mobilité, alors qu’aujourd’hui 80 % du territoire représentant 30 % de la population n’est pas couvert.

On peut citer aussi la possibilité d’élaborer des plans de mobilité rurale, ainsi que l’ouverture des données de mobilité, qui doit permettre de faire connaître les solutions de mobilité dans les zones peu denses, ou encore la possibilité d’expérimenter des solutions de mobilité nouvelles dans ces mêmes zones. Quelques articles visent également à permettre le développement du covoiturage ou encore celui des bornes de recharge pour les véhicules électriques.

Toutes ces mesures vont dans le bon sens. Mais seront-elles suffisantes ? Deux conditions me semblent essentielles. La première est celle d’un financement à la hauteur des enjeux, sincère et crédible. Beaucoup de solutions sont d’ores et déjà expérimentées par les territoires. Les initiatives doivent être soutenues, encouragées, développées. Les collectivités territoriales doivent avoir les moyens, les outils et les marges de manœuvre nécessaires afin de pouvoir mettre en œuvre ces solutions nouvelles.

Tous les acteurs interrogés nous demandent de faire confiance à l’intelligence des territoires. C’est pour cette raison que le financement doit être transparent. Toutes les recettes perçues doivent être fléchées pour que les collectivités territoriales développent les offres de transport et créent des services partout, y compris dans les zones peu denses.

La seconde condition en découle : les solutions de mobilité de demain doivent être construites en concertation avec l’ensemble des collectivités concernées. Les contrats opérationnels de mobilité conclus entre les autorités organisatrices et les régions, qui figuraient dans une version antérieure du projet de loi, étaient à mon sens de bons outils à l’échelle des bassins de mobilité.

Voilà, mes chers collègues, le sentiment que je souhaitais vous livrer aujourd’hui. Il ne fait aucun doute que les débats de cette fin d’après-midi alimenteront ceux que nous aurons très bientôt sur le projet de loi. En attendant, nos travaux continuent. Nous avons déjà mené plus de 65 auditions et elles se poursuivront durant tout le mois de janvier.

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