Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous souhaite, à mon tour, une excellente année 2019.
Cela dit, le titre II du livre Ier du code de l’éducation est limpide. Le service public de l’enseignement supérieur « veille à favoriser l’inclusion des individus sans distinction d’origine, de milieu social et de condition de santé », « contribue […] à l’attractivité et au rayonnement des territoires aux niveaux local, régional et national », « assure l’accueil des étudiants étrangers, en lien avec le réseau des œuvres universitaires et scolaires » et « veille à la promotion et à l’enrichissement de la langue française ».
Or l’annonce par le Gouvernement, il y a quelques semaines maintenant, de l’augmentation des frais d’inscription à l’université des étudiants étrangers hors Union européenne fait légitimement craindre une remise en cause des missions et des objectifs dévolus au service public de l’enseignement supérieur, et ce d’autant que la multiplication par plus de quinze du montant de ces droits n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact ni d’aucune concertation, que ce soit avec les premiers concernés, en l’occurrence la communauté universitaire et les syndicats étudiants, ou avec la représentation nationale.
Une nouvelle fois, cette mesure, aux incidences potentiellement lourdes et pluridimensionnelles, a été soudaine et, disons-le, brutale. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que les présidents d’université et les étudiants se soient mobilisés et aient exprimé, parfois vertement, leur désaccord, réclamant notamment un moratoire. Je rappelle qu’une quarantaine de présidents se sont déclarés contre cette hausse et qu’un mouvement de désobéissance universitaire s’est fait jour, quelques conseils d’administration ayant d’ores et déjà précisé qu’ils n’appliqueront pas l’arrêté.
Le groupe socialiste et républicain a souhaité demander l’inscription à l’ordre du jour du Sénat d’un débat sur la politique d’attractivité de la France à l’égard des étudiants étrangers extracommunautaires, afin que le Parlement puisse se saisir de cette problématique fondamentale et vous interroger, madame la ministre, pour obtenir des réponses que nous espérons argumentées.
Alors, commençons par le commencement. En écoutant la présentation du plan Bienvenue en France, la première interrogation qui m’est venue à l’esprit est « pourquoi ». Pourquoi décider d’un accroissement des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur en vue d’attirer davantage d’étudiants étrangers ? Ou, plus justement, en quoi augmenter ces frais améliorera-t-il l’attractivité de la France ?
Vous conviendrez aisément que le raisonnement est a priori contre-intuitif, a fortiori quand est connue l’origine des étudiants internationaux venant étudier en France – environ la moitié provient du continent africain – et qu’il s’avère que près de 40 % de l’ensemble des étudiants reconnaissent avoir dû faire des sacrifices financiers pour concrétiser l’opportunité d’étudier dans l’Hexagone. Pour beaucoup, poursuivre leurs études en France est une chance ainsi qu’une joie, mais aussi un effort financier important. Il ne faut pas oublier cette réalité.
D’ailleurs, intéressons-nous à cette réalité. Le baromètre de Campus France sur l’image et l’attractivité de la France auprès des étudiants étrangers, qui date de 2018, prodigue des enseignements qui vont précisément à l’encontre de votre postulat, madame la ministre.
Tout d’abord, les freins principaux mentionnés sont le coût global de la vie, les complexités administratives liées en particulier à la délivrance des visas – j’y reviendrai – et les difficultés d’accès à un premier emploi après les études.
À l’inverse, les raisons premières qui motivent le choix des étudiants étrangers sont la qualité de l’enseignement dispensé, la langue et le rayonnement culturel de la France, la maîtrise du coût des études, en forte hausse par rapport à la précédente analyse.
En d’autres termes, la stratégie marketing du Gouvernement, qui consiste à augmenter les droits d’inscription à l’université en estimant qu’un coût plus élevé serait gage d’une formation d’un niveau supérieur, semble quelque peu déconnectée des motivations qui président, justement, à la décision des étudiants internationaux de venir en France.
Pis, elle renforce la barrière économique relative au coût de la vie et des études, et revient sur un avantage comparatif de la France par rapport au modèle anglo-saxon, dans lequel les études supérieures sont onéreuses. Pour de nombreux jeunes, l’accessibilité de l’université française est un critère décisionnel majeur ; si la France occupe une position enviable à l’échelle mondiale – quatrième position, et même première hors pays anglophones, avec 300 000 étudiants étrangers –, c’est aussi parce qu’elle ne s’inscrit pas dans le schéma anglo-saxon et qu’elle apparaît comme un contre-modèle, abordable et de qualité.
Madame la ministre, je ne crois absolument pas que libéraliser l’accès à l’enseignement supérieur pour les étudiants étrangers hors Union européenne sera source d’attractivité – mais peut-être nous direz-vous le contraire, arguments à l’appui – et permettra d’atteindre votre objectif de 500 000 étudiants internationaux d’ici à 2027. Au contraire, eu égard à la structure des étudiants étrangers dans l’enseignement supérieur français, l’effet d’éviction risque d’être massif ; et ce n’est aucunement l’octroi de 30 000 bourses, lesquelles représentent à peine 6 % des objectifs que vous vous êtes fixés, qui de mon point de vue compensera cet effet. En revanche, vous affecterez la provenance des jeunes et provoquerez une substitution partielle tendant, comme je l’ai dit à l’occasion d’une autre intervention, à « attirer les étudiants les plus riches et, en même temps, à écarter les plus pauvres ».
Ensuite, comme le révèle le baromètre de Campus France, le premier facteur d’attractivité demeure la qualité de la formation. Or cette dernière nécessite des ressources pédagogiques substantielles et oblige à créer et à adapter en permanence les contenus, afin qu’ils soient en adéquation avec les transformations de la société, aujourd’hui multiples et très rapides.
Par conséquent, les universités ont besoin de moyens humains et financiers pour développer des filières attractives, spécifiques et reconnues. Pour le Gouvernement, la hausse des frais d’inscription des étudiants extracommunautaires est une manière d’accroître les ressources propres des établissements ; mais n’est-elle pas également le signal d’un désengagement à venir de l’État en matière de financement du service public de l’enseignement supérieur ?
Quelles garanties offrez-vous, madame la ministre, afin que cette mesure n’ait pas pour corollaire une baisse égale du budget de l’État alloué aux universités qui provoquerait un renforcement des disparités entre celles-ci ?
Par ailleurs, la question de l’attractivité est intimement liée à celle de l’accueil, d’autant que les étudiants internationaux sont nombreux à pointer du doigt le maelstrom administratif et le coût de la vie en France. S’il est heureux que l’exécutif ait prévu de simplifier la politique de visas dans le cadre du plan Bienvenue en France, il est regrettable que si peu ait trait au quotidien des étudiants étrangers, singulièrement à la question du logement.
Enfin, évoquer l’attractivité d’un pays, c’est aborder son image et plus profondément sa consistance, ce que j’appelle son « âme ». Il est tellement significatif que la culture et le patrimoine français soient le deuxième motif invoqué par les étudiants étrangers pour justifier leur choix de venir étudier dans notre pays ! La France continue à être perçue, je l’espère pour longtemps encore, comme accueillante et attractive.
Or je crois que l’impact le plus négatif de la mesure considérée concerne l’image de la France qui se trouve écornée dans son aire d’influence, la francophonie. Mes collègues y reviendront dans la suite du débat.
La tradition d’ouverture de l’université française, pourtant séculaire, est mise à mal. C’est le fondement philosophique même de notre identité politique – l’égalité républicaine, l’accès universel aux savoirs et aux connaissances indépendamment des conditions matérielles initiales – qui est remis en question. La France doit tout simplement rester elle-même, sans chercher à entrer dans la logique anglo-saxonne, car c’est à la fois son honneur, sa singularité et sa force d’attractivité. Les étudiants étrangers d’aujourd’hui sont les futurs ambassadeurs itinérants de la France.
J’espère, madame la ministre, que vous reviendrez sur votre mesure et que le principe d’autonomie des universités ne servira pas de paravent au Gouvernement pour se départir de sa responsabilité, y compris sur le plan diplomatique, car il y a, là aussi, un enjeu majeur pour demain.