Madame la ministre, vous tirez de la première année de Parcoursup comme de l’essentiel de votre politique un bilan extrêmement positif, mais qui, je le crois, est en contradiction avec ce qu’exprime notre pays. Rappelons-nous que, voilà encore quelques jours, les étudiants et les lycéens se mobilisaient contre cette réforme.
Vous le savez, pour notre part, nous regrettons qu’aucune enquête de satisfaction des lycéens n’ait malheureusement été lancée. Mais les remontées de nos territoires indiquent clairement que l’accès à l’enseignement supérieur se dégrade.
La non-hiérarchisation des vœux et les délais de réponse qu’elle a entraînés ont en effet conduit un grand nombre de lycéens à se rabattre progressivement sur les offres de formation qu’ils avaient indiquées non pas en premier choix, mais plutôt en dernier recours, par sécurité.
Cette tendance a d’ailleurs été encouragée par votre ministère. Au cours de l’été, les règles de fonctionnement de la plateforme ont évolué, afin de pousser les inscrits à accepter le plus rapidement possible des propositions alors qu’ils avaient d’autres vœux en attente. Ainsi, à partir de la fin du mois de juin, les lycéens n’avaient plus que trois jours pour accepter une proposition. Passé ce délai, tous leurs vœux étaient supprimés. De même, à partir de la mi-juillet, un taux de remplissage des formations prenant en compte les « oui » en attente était indiqué – il oscillait logiquement entre 95 % et 100 %, de manière quasi systématique –, décourageant de fait les jeunes en attente et les poussant à accepter des propositions qui leur avaient déjà été adressées.
La plus grande partie des inscrits sur Parcoursup ont donc bien trouvé une formation, mais rien ne dit que celle-ci leur correspond réellement. Cela risque de se traduire par un grand nombre d’abandons ou de réorientations au cours de l’année. C’est pourtant ce motif qui avait justifié la réforme.
De même, des lycéens plongés dans l’incertitude en toute fin d’été semblent se tourner de manière plus massive vers l’enseignement privé – les chiffres sont difficiles à mesurer pour le moment, mais ils sont attendus en hausse.
Pour les autres, qui obtiennent une réponse définitive bien tardivement, il faut s’organiser, trouver un logement, souvent, un emploi, parfois, et ce quelques semaines, voire quelques jours avant la rentrée. Le rapport du comité éthique et scientifique de la plateforme a d’ailleurs lui-même souligné que cette attente avait « créé un biais social et territorial ».
Face à cette situation, vous avez indiqué vouloir resserrer ce calendrier. Nous saluons cette volonté. Cependant, il reste à savoir comment cela sera rendu possible sans réintroduire la hiérarchisation des vœux – ce à quoi vous semblez en partie renoncer, madame la ministre, et qui est clairement suggéré par le rapport du comité éthique et scientifique – et sans renforcer la pression subie par les inscrits sur la plateforme pour accepter les premières propositions qui leur sont faites, d’autant que la réforme du lycée va considérablement réduire les marges de manœuvre.
La question de l’articulation entre cette sélection à l’entrée du supérieur et la réforme du lycée est en effet posée. Les familles sont nombreuses à s’inquiéter des prérequis demandés par les formations, notamment l’exigence, plus ou moins explicite, d’avoir suivi certaines des options proposées en lycée. Cela implique d’avoir une idée de la licence visée dès la seconde, alors même que le ministre de l’éducation nationale indique régulièrement que les orientations en filière se font aujourd’hui trop précocement. Au vu de l’inégal accès aux différentes options selon les territoires, c’est vers une discrimination inédite des lycéens des territoires ruraux que nous risquons d’aller. La réforme du lycée ne permettra donc pas de mieux orienter les jeunes, mais pénalisera les familles qui ne sauront pas quelle stratégie adopter dès la seconde et les lycéens des territoires ruraux, qui ne trouveront pas toutes les spécialités accessibles dans leur lycée de proximité.
Vous l’aurez compris, il nous semble que cette réforme aggrave plus qu’elle ne résout les problèmes d’accès à l’enseignement supérieur. Sans surprise, quand on prend le problème à l’envers, on peine à le résoudre. Pour nous, le principal problème, dans l’enseignement supérieur comme dans bien d’autres secteurs de la société, réside dans les restrictions budgétaires continues depuis dix ans, qui ont fait chuter le budget de l’enseignement supérieur par étudiant de plus de 10 %. Les taux d’échec en première année de licence doivent effectivement conduire à agir, mais il faut s’attaquer à leurs causes réelles en mettant en place un service public de l’orientation plus efficace, en investissant pour améliorer les conditions d’accueil des étudiants ou encore en offrant des réponses à la question du salariat étudiant, qui est, chacun le sait, une des causes majeures de l’échec.
Autant de choix politiques qui nécessitent de sortir d’une logique d’austérité simpliste, faute de quoi le débat se résume toujours à la meilleure option technique pour gérer la pénurie. À cet égard, celle que vous avez choisie, qui consiste à généraliser le principe de la sélection, aggrave considérablement la situation.