Intervention de Nadia Sollogoub

Réunion du 16 janvier 2019 à 14h30
Solidarité intergénérationnelle — Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective

Photo de Nadia SollogoubNadia Sollogoub :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la délégation à la prospective du Sénat a adopté, le 11 octobre dernier, son rapport intitulé Inventer les solidarités de demain face à la nouvelle donne générationnelle. Quand on fait de la prospective, la question générationnelle est en effet centrale.

Notre réflexion sur les solidarités intergénérationnelles nous a entraînés dans tous les champs de la vie sociale et familiale.

J’évoquerai ici plutôt la question des transferts financiers, avec la réelle frustration de ne parler ni du monde du travail ni de l’éducation. Mes collègues, bien heureusement, compléteront mon propos.

Le Gouvernement est représenté aujourd’hui à travers le ministère chargé des solidarités et de la santé. J’évoque donc, en tout premier lieu, le champ de la protection sociale. Le pacte intergénérationnel issu de la Libération doit constamment s’adapter aux évolutions démographiques et économiques en cours.

Les nombreuses auditions que nous avons menées nous ont cependant montré que les projections d’évolution de dépenses sociales liées au vieillissement devraient, à l’horizon de 2030, se stabiliser. D’ici là, l’effort doit être équitable, supportable et efficace économiquement. Le principal défi est la prise en charge de la dépendance, mais comment et par qui ?

Ce constat me permet de faire le lien avec le sujet de la transmission patrimoniale. Les transferts intergénérationnels privés sont trop souvent dans l’angle mort des analyses, bien que jouant un rôle essentiel dans les solidarités entre générations.

Le pays est dans une situation totalement inédite. Le patrimoine des Français a vu sa valeur s’envoler : il représente huit années de revenu disponible aujourd’hui, deux fois plus qu’il y a trente ans.

Or ce patrimoine est dormant pour l’essentiel, puisqu’il est principalement constitué d’actifs immobiliers, ainsi que de placements financiers. Par ailleurs, ce patrimoine est extrêmement concentré entre les mains des seniors et se transmet de plus en plus de seniors à seniors. L’âge où l’on hérite va bientôt atteindre soixante ans. Enfin, les flux successoraux sont en passe d’atteindre un tiers du revenu national, comme à la fin du XIXe siècle.

Cette situation n’est pas saine économiquement ni socialement. Il est essentiel d’accélérer la transmission du patrimoine vers les plus jeunes et d’encourager son investissement dans l’économie productive.

Il est également essentiel de trouver des modalités de transmission du patrimoine qui, tout en respectant le projet légitime des Français de transmettre à leurs descendants leur capital, ne fassent pas exploser les inégalités intragénérationnelles. Il y a un vrai risque de voir se créer dans les prochaines décennies une société « héritocratique ».

Enfin, je voudrais signaler un aspect, à mes yeux fondamental, des inégalités de patrimoine : il s’agit des inégalités entre territoires. Dans certaines zones en déprise économique et démographique, la valeur du capital immobilier de nos concitoyens est en train de s’effondrer. Paris n’est pas la France !

Notre rapport formule donc plusieurs pistes de réflexion face à cette situation patrimoniale inédite. La première est de multiplier les incitations à transmettre le patrimoine de son vivant en facilitant les donations, les dons, les legs ou les investissements dans les fondations d’intérêt public. On peut également réfléchir à l’affectation des recettes de la taxation des transmissions à des programmes de soutien aux jeunes et à la solidarité intergénérationnelle, car il est important de lier le destin de ceux qui ont la chance de recevoir un patrimoine à celui de ceux qui n’en ont pas.

Notre troisième piste de réflexion est de développer des outils pour « liquéfier » le patrimoine, comme le disent les économistes. Il faut que le patrimoine « immobile » redevienne « liquide », ce qui passe par le développement de formes modernisées de viager. Il faut se défaire de l’image vieillotte et un peu malsaine du viager traditionnel de gré à gré. De nombreux acteurs du secteur financier, notamment la Caisse des dépôts et consignations, réfléchissent à des outils de viager intermédiés qui n’en auraient pas les inconvénients.

Je voudrais souligner que la condition préalable à toute réforme du patrimoine est de rassurer les seniors sur la dépendance. On ne pourra pas accélérer les transmissions sans protéger les seniors contre la perte d’autonomie. C’est la raison pour laquelle il faut penser ensemble la politique de la dépendance et celle des transmissions.

Notre réflexion s’est trouvée facilitée lorsque nous avons formalisé le fait qu’il ne faut plus réfléchir en trois âges de la vie – jeunesse, âge adulte, vieillesse –, mais bien en cinq âges – jeunesse, phase d’entrée dans la vie adulte, âge adulte, séniorité active et vieillesse –, ce qui démultiplie les possibilités d’interactions entre chaque classe d’âge et ouvre de nouveaux champs de réflexion.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion