Intervention de François Villeroy de Galhau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 janvier 2019 à 10h05
Audition de M. François Villeroy de galhau gouverneur de la banque de france

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

La Banque de France est une institution de la République au service de nos concitoyens et présente dans chacun de vos départements - nous y resterons durablement et j'insiste sur ce point. Nous devons donc rendre compte régulièrement de notre action, et d'abord devant vous, les représentants de la Nation.

Je voudrais dans un premier temps évoquer la conjoncture économique en France sur laquelle il y a un certain nombre d'interrogations en début d'année, et ses implications pour nos finances publiques. Je dirai ensuite quelques mots sur le projet de loi « Pacte » qui sera examiné par le Sénat en commission à partir de cet après-midi, et en séance publique à partir du 29 janvier. Je répondrai bien évidemment à vos questions sur les sujets plus spécifiques que vous souhaiterez aborder concernant le secteur financier, la réglementation bancaire et des assurances, les politiques monétaires.

Je commencerai donc avec la conjoncture économique. Celle-ci reste encore assez satisfaisante dans un contexte d'incertitudes. D'après nos prévisions indépendantes, et je souligne ce fait, l'activité devrait avoir progressé en France de 1,5 % du PIB en 2018 et la croissance pourrait être à nouveau de 1,5 % du PIB en 2019. Ce rythme est encore supérieur à ce que les économistes appellent la croissance potentielle, c'est-à-dire la « vitesse de croisière » de l'économie française. De manière plus précise, les perturbations de l'activité économique induites par la crise des « gilets jaunes » ont des conséquences significatives à court terme : nous avons ramené notre estimation de la croissance du quatrième trimestre 2018 de 0,4 % à 0,2 % du PIB. Nous avions annoncé ce chiffre au début du mois de décembre et nous l'avons confirmé avec un bon degré de sécurité début janvier 2019. Le commerce, la restauration, les transports ont été particulièrement pénalisés. L'impact final dépendra aussi de la durée de ce mouvement.

Les mesures d'urgence annoncées par le Président de la République et adoptées par le Parlement le 21 décembre dernier, devraient avoir un impact positif sur l'activité économique en 2019, que nous estimons actuellement à hauteur de 0,1 à 0,2 point de PIB. Le pouvoir d'achat par habitant - un élément important du débat actuel - devrait croître de plus de 1,5 % cette année, soit le chiffre le plus élevé depuis douze ans. Sur cinq ans, de 2015 à 2020, le pouvoir d'achat moyen pourrait croître d'environ 6 %. Bien sûr, cette moyenne ne rend pas compte de la situation individuelle de chacun, à laquelle les Français sont d'abord sensibles. Il faut rester très attentif aux effets de distribution et aux inégalités. Mais cette hausse moyenne est une bonne nouvelle d'ensemble. L'inflation restera maîtrisée à moins de 2 % par an, et même 1 % sur certains mois de 2019.

Il est important d'éclairer les facteurs économiques qui soutiennent cette progression du pouvoir d'achat, cette dernière soutenant elle-même la consommation et la demande intérieure. C'est d'ailleurs le principal moteur du dynamisme de notre économie en 2019.

Je souhaite revenir sur les facteurs de gain de pouvoir d'achat. De 2016 à 2018, les gains de pouvoir d'achat ont notamment été fortement tirés par les créations d'emplois. Notre pays a créé plus de 750 000 emplois nets en trois ans, avec à l'inverse une croissance faible de la productivité. Aujourd'hui, nous voyons cette productivité par salarié dans les entreprises redémarrer - entre + 0,8 % et + 0,9 % par an. Cela signifie que la croissance se traduit dorénavant par un peu moins d'emplois mais plus de salaires. Le chômage baisserait plus graduellement mais le salaire moyen par tête accélérerait, jusqu'à + 2,4 % en 2020.

Ces perspectives encore satisfaisantes sont entourées cependant d'incertitudes croissantes, liées à notre environnement européen et international. Les postures protectionnistes, initiées par l'administration américaine, menacent partout la confiance et donc l'investissement des entreprises avant même une augmentation effective des tarifs douaniers. La croissance américaine est temporairement « dopée » par de grands déséquilibres budgétaires. Elle est certes plus résistante que les marchés ne l'ont craint avant Noël, mais la croissance chinoise apparaît plus aléatoire. Plus près de nous, le rejet hier par le Parlement britannique du projet d'accord sur le Brexit augmente évidemment l'incertitude sur l'économie britannique : si les conséquences sur l'économie de la zone euro sont beaucoup plus limitées, nous devons et nous pouvons prendre avec les autorités européennes et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) toutes les mesures de sécurité financière face à un éventuel Brexit sans accord.

Pour la zone euro elle-même, nous prévoyons non pas un retournement de la croissance mais un ralentissement. Notre chiffrage en décembre dernier était de + 1,7 % cette année, après + 1,9 % en 2018. La montée des incertitudes pourrait néanmoins s'être traduite par une activité plus faible que prévue en fin d'année dernière : en Allemagne et en Italie, la production industrielle a continué de reculer en octobre et novembre, alors que dans ces deux pays le PIB avait déjà diminué ou stagné au 3ème trimestre. La France qui a longtemps été en retard sur la moyenne européenne - notre écart négatif était de - 0,6 % de croissance par an entre 2014 et 2017 par rapport à la moyenne européenne - devrait donc croître comme l'Allemagne en 2018, et rattraper prochainement la moyenne européenne. Il y a là notamment un effet favorable des réformes appliquées par notre pays ces dernières années, et qu'il est donc souhaitable de poursuivre résolument.

Je termine ce tour d'horizon économique par les finances publiques. Les mesures d'urgence économique et sociale portent la prévision de déficit pour 2019 à 3,2 % du PIB. Ce retour exceptionnel au-delà du seuil de 3 % de déficit public est lié aussi au cumul cette année du paiement du dernier crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) - au titre de 2018 - et de la baisse de charges pour les entreprises - au titre de 2019 -, soit une charge temporaire de 0,9 % du PIB. Mais dans la durée, réduire les déficits et la dette publics reste indispensable pour assurer l'équité entre générations de Français et notre développement durable. Nous ne pourrons pas continuer à régler nos problèmes en reportant les efforts sur nos enfants et petits-enfants. Il sera donc souhaitable de redescendre autour de 2 % de déficit en 2020, pour amorcer enfin une décrue de la dette publique rapportée au PIB, aujourd'hui très proche de 100 %. Ceci vaut aussi pour le débat fiscal ouvert dans notre pays. Je n'ai pas à en préjuger. La France semble souhaiter, au-delà des baisses substantielles déjà décidées, des diminutions supplémentaires d'impôts. Nous devons alors être cohérents collectivement : nous devons absolument réussir à stabiliser les dépenses publiques en volume, qui croissent encore de 0,5 % environ par an. Faute de quoi les baisses d'impôts seront remises en cause au prochain retournement de conjoncture, et donc ne seront pas crédibles : c'est ce que la France connaît depuis trop longtemps.

Je terminerai ce propos liminaire par un mot plus bref sur le projet de loi « Pacte ». Je me limiterai ici au chapitre II et aux dispositions sur « des entreprises mieux financées ». Ces dispositions sont importantes, car en France et en Europe, nos entreprises ne manquent pas de crédits, mais de fonds propres, qui sont plus adaptés au financement de l'innovation. L'innovation est plus risquée ; elle a donc besoin de fonds propres. Or, ceux-ci ne représentent pourtant que 77 % du PIB dans la zone euro - et 76 % en France - contre 124 % aux États-Unis. Ce n'est pas la seule explication du retard de l'innovation des pays européens, mais il s'agit quand même d'une explication significative. L'attachement des Français et des Européens à la sécurité peut expliquer en partie cette insuffisance des placements en actions. Mais il est possible de mieux concilier actions - et donc rendement plus élevé - et sécurité, en faisant le choix du long terme, plutôt que de la liquidité. C'est pourquoi nous tenons à saluer les diverses mesures dans le projet de loi « Pacte » visant d'une part à développer les contrats d'assurance-vie eurocroissance, d'autre part à renforcer l'attractivité des produits d'épargne retraite. Les produits d'épargne retraite permettent les investissements les plus longs chez les assureurs - 20 ans contre 10 ans ou 12 ans pour un contrat d'assurance en euros classique. Le texte rend ces dispositifs plus lisibles et sécurise les assurés sur le long terme, avec notamment la généralisation de la « gestion pilotée par horizon ». Il est positif par ailleurs que la possibilité de sortie en rente ait été préservée, partout, et surtout que le principe d'un produit destiné à la rente l'ait également été : un revenu viager dans la durée correspond mieux à un produit de retraite, et cette durée-même permet plus de placements en actions.

Sur la question des actifs numériques ou « crypto-actifs » - article 26 bis A du projet de loi - je souligne que ce terme est bien plus approprié que celui abusif de « crypto-monnaies » -, ne confondons pas l'innovation technologique souhaitable autour de la blockchain et ce que serait une déréglementation spéculative. À cet égard, il ne faut pas avoir peur de mieux encadrer le Bitcoin, qui a beaucoup des caractéristiques d'une bulle. De ce point de vue, le projet de loi « Pacte » pourrait évoluer sur deux points. Tout d'abord, et il me semble qu'il y a des amendements en ce sens, il faut se conformer à la nouvelle recommandation du Groupe d'action financière (GAFI) : tous les prestataires de services « d'actifs virtuels » doivent être assujettis à un enregistrement obligatoire. Ensuite, il pourrait être plus pertinent d'établir un agrément obligatoire et non pas optionnel des prestataires au-delà d'un certain seuil.

Je voudrais terminer par quelques mots sur la Banque de France. Notre institution est fortement engagée dans une transformation qui a pour ambition de fournir un service public exemplaire, toujours présent en proximité mais encore plus performant et plus innovant. Cette transformation a été saluée par la Cour des comptes et le rapport que vous avez cité. En 2018, la Banque de France a déjà réduit de 8 % ses dépenses nettes d'activité par rapport à 2015, et rendu ainsi à la collectivité 100 millions d'euros par an, tout en maintenant notre présence territoriale. Ce sont 86 % de nos clients particuliers et petites et moyennes entreprises (PME) qui se déclarent satisfaits des services rendus. Nous allons marquer cette année les dix ans de la médiation du crédit, et surtout les trente ans de la loi Neiertz contre le surendettement - avec beaucoup de progrès récents. Vous pouvez aussi compter - et c'est un engagement que je prends auprès de vous - sur la Banque de France et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour faire appliquer fermement les engagements de plafonnement des frais bancaires sur les 3,5 millions de clients en situation de fragilité financière, obtenus des banques fin 2018.

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