Intervention de François Villeroy de Galhau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 janvier 2019 à 10h05
Audition de M. François Villeroy de galhau gouverneur de la banque de france

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Vous m'interrogez sur les créances douteuses et la situation italienne. J'en profite pour dire un mot sur la solidité des banques françaises. C'est un élément important et positif. La moyenne européenne de créances douteuses est autour de 3,5 % ; le ratio de créances douteuses des banques françaises a constamment baissé. Il est aujourd'hui de l'ordre de 3 %. Il est inférieur à la moyenne européenne et a retrouvé son niveau d'avant crise. Il me semble que l'on peut se féliciter de la solidité des banques françaises. Pour les banques italiennes, ce ratio est de 10 %. Je souhaite néanmoins relever que lui aussi a beaucoup baissé ces dernières années. Il y a eu l'effet de l'amélioration de la conjoncture, mais il y a également eu un effort de renforcement et de traitement de la part des banques italiennes.

Comme régulateur et superviseur, nous devons avancer selon deux chemins parallèles.

Le premier concerne le renforcement de la réglementation et des exigences de sécurité financière qui s'appliquent à toutes les banques. C'est le débat que nous avons eu à plusieurs reprises dans cette commission sur l'accord dit de « Bâle III ». Je n'y reviens pas. Je considère qu'il a été finalisé de façon satisfaisante et que la France s'était beaucoup battu en liaison avec les parlementaires, pour parvenir à l'accord de décembre 2017. Il s'agit désormais de le transposer dans la législation européenne, en modifiant la directive sur les fonds propres réglementaires dite « CRD IV » du 26 juin 2013 et le règlement du même nom et du même jour dit « CRR ». Cela ne doit pas conduire à une augmentation significative des fonds propres des banques françaises, pesant sur le financement de l'économie. Si on regarde les ratios de capital des banques françaises, rapportés à leurs actifs pondérés, ils ont plus que doublé depuis la crise de 2008.

Le deuxième chemin est celui de la supervision microprudentielle, établissement par établissement. Particulièrement en Italie, il faut poursuivre l'effort de redressement. Cet effort a été plus poussé qu'on n'a pu l'affirmer parfois. Certes, il reste des banques qui sont en situation difficile, mais elles sont de taille moyenne, comme Carige - la caisse d'épargne de Gênes -, pour laquelle la Banque centrale européenne (BCE) a dû mettre en place une administration provisoire. Mais il s'agit plutôt d'une exception que la règle en Italie. Tout le monde doit rester vigilant, mais les choses vont dans le bon sens en matière de renforcement du système bancaire européen, y compris italien.

Depuis 2014, l'union bancaire a été mise en place autour de trois piliers : le premier est celui de la supervision harmonisée, désormais à l'oeuvre avec le mécanisme de supervision unique. Le deuxième pilier concerne la résolution, c'est-à-dire le traitement des banques en difficulté. Le troisième pilier est l'éventuelle garantie des dépôts. Le deuxième pilier, dont on parle plus rarement, est probablement encore plus important pour la solidité durable du système que le troisième - en tout cas il doit venir avant. Le paquet bancaire de décembre contient un certain nombre de progrès pour renforcer ces mécanismes de résolution. Je pense notamment au filet de sécurité, ou « back-stop ». Il est important d'aller au bout de ce progrès, et qu'il n'y ait pas des dispositions trop restrictives ou trop lentes de mise en oeuvre de ce filet de sécurité. Si nous avons une résolution rapide, efficace et suffisante, un mécanisme complet de garantie des dépôts est moins indispensable.

La question des nouvelles technologies est essentielle. Ces éléments vont être un facteur de mutation très important. J'ai réagi dans mon propos introductif sur le terme de cryptomonnaie, car le Bitcoin ou l'Ethereum n'ont pas les caractéristiques d'une monnaie. Ce ne sont pas un instrument de paiement, car ils n'ont pas de pouvoir libératoire et supposent l'accord des deux parties. Ce ne sont pas non plus une bonne réserve de valeur, car il n'y a pas plus volatile que la valeur du Bitcoin - on l'a vu au cours de l'année 2018. Soyons clair : il s'agit d'actifs assez hautement spéculatifs. Ceux qui investissent dans cet actif le font à leurs risques et périls. Nous avons eu l'occasion de recommander fermement, y compris avec l'Autorité des marchés financiers (AMF) ; vous vous souvenez de cette discussion il y a quelques semaines sur les distributions de bitcoins dans les bureaux de tabac : il convient que cela soit réservé à des investisseurs très spécialisés.

Il y a des évolutions technologies majeures. La blockchain est probablement un élément prometteur. La Banque de France a été la première banque centrale de l'eurosystème à développer une blockchain avec les établissements de la place. Il s'agit du projet MADRE sur les identifiants SEPA.

Au-delà se pose la grande question de l'intelligence artificielle. L'ACPR a publié un premier rapport à ce sujet, issu d'un travail avec la place. Il faut l'aborder avec ouverture et humilité. L'ouverture est nécessaire, car cela ne sert à rien d'arrêter l'innovation, et en général cette dernière est positive. En même temps, nous avons à prendre des leçons et essayer de distinguer le meilleur du pire, au fur et à mesure des évolutions technologiques. Un des points très importants de ce rapport est que les établissements qui recourent à l'intelligence artificielle, dans la cotation des entreprises, l'analyse des risques, doivent garder la maîtrise complète de ces systèmes experts ou de l'intelligence artificielle. Un des très grands risques que nous identifions est celui de la « boite noire », où vous confiez les clés de votre management des risques à un algorithme que vous ne maîtrisez plus. Nous regarderons comment nous, superviseur, pourrons utiliser l'intelligence artificielle. Comme toujours, cela doit rester un outil au service de la décision elle-même et pas un maître obscur.

En matière de lutte anti-blanchiment, il y a eu un certain nombre d'affaires au cours de l'année 2018 qui ont révélé des failles dans le dispositif européen. Je pense notamment à l'affaire Danske Bank qui mettait en cause une maison mère danoise et sa filiale estonienne, pour des transferts d'argent d'origine russe. Dans l'union bancaire, il a été clairement choisi de laisser la lutte anti-blanchiment aux autorités nationales. Il y a de bonnes raisons pour cela : cette dernière suppose la coopération au quotidien avec des autorités de police et de justice qui sont elles-mêmes nationales. Dans beaucoup de pays de l'Union européenne, à commencer par le nôtre, la lutte anti-blanchiment fonctionne de façon très satisfaisante. L'ACPR est extrêmement mobilisée sur la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment. Nous avons entre 20 et 30 missions chaque année sur ce sujet, nous prenons des sanctions fortes.

Il nous semble pour autant qu'il faille prévoir un filet de sécurité très actif pour les trous nationaux pouvant exister dans le dispositif. Il serait contreproductif de tout transférer à l'échelle européenne, car on perdrait le réseau de coopération efficace avec la police et la justice. La Commission européenne a fait des premières propositions visant à renforcer les pouvoirs de l'Agence bancaire européenne, qui sera désormais établie à Paris. Nous pensons même qu'il faut aller plus loin. Nous avons proposé que l'Agence bancaire européenne puisse mener des enquêtes assez précises sur le fonctionnement des dispositions anti-blanchissement, pays par pays, faire des comparaisons, et avoir des pouvoirs de substitution lorsque les dispositifs nationaux seraient défaillants. C'est une proposition forte. Toutefois, je dois dire qu'aujourd'hui, il n'y a pas encore de consensus européen. Nous allons continuer à pousser dans ce sens. Le secrétaire général de l'ACPR, Édouard Fernandez-Bollo, est chargé d'animer un groupe pour renforcer la coopération entre autorités nationales.

En matière de taux d'intérêt, je relève tout d'abord que le crédit a été dynamique en France au cours de ces dernières années. C'est d'abord une bonne nouvelle. Le système bancaire français a fait son travail. Nous avions eu l'occasion les années précédentes de partager un certain nombre d'inquiétudes sur l'accès des PME au crédit. Je crois que la situation est désormais globalement satisfaisante. Je redis au passage que si vous entendez parler d'une difficulté d'accès au crédit pour une très petite entreprise (TPE) ou une PME, il ne faut pas hésiter à saisir le médiateur du crédit. Il s'agit du directeur de la succursale de la Banque de France dans chaque département. Nous voyons de moins en moins de dossiers chaque année. Il y en a eu 1 300 l'an dernier.

Comme toute bonne nouvelle, il faut se garder de ses excès. L'endettement privé, des ménages et des entreprises, était traditionnellement en France inférieur à la moyenne de la zone euro. Mais, comme le crédit y a été plus dynamique, il est aujourd'hui passé au-dessus de cette moyenne. La bonne façon de traiter ce sujet ne tient pas à des réglementations structurelles, mais à un outil conjoncturel : le « coussin contracyclique ». Ce dispositif est appliqué par beaucoup de collègues européens. Il consiste, lorsque le cycle du crédit est dynamique, à demander aux établissements de mettre des réserves de côté, qui puissent être relâchées lorsque le cycle se retourne. Le danger pour les crédits des PME n'est pas pour aujourd'hui. Lorsque vous augmentez le coussin contracyclique, vous ne ralentissez pas le crédit aux PME. Le danger est demain, en cas de retournement du cycle : les risques des banques ayant augmenté, elles vont freiner les crédits nouveaux aux PME. Or, nous pouvons à ce moment-là relâcher les réserves pour préserver le crédit. Ce coussin contracyclique a été introduit à la quotité minimum de 0,25 point en juin dernier. Il s'agissait d'une décision du Haut conseil de stabilité financière (HCSF), présidé par le ministre de l'économie et des finances Bruno Le Maire et dont je suis le rapporteur. Compte tenu de la croissance du crédit, nous avons indiqué que nous étions prêts à augmenter de façon modérée ce coussin dès que cela sera nécessaire.

Dans quelle mesure l'économie française pourrait faire face à un relèvement des taux d'intérêt ? Nous avons un grand atout du côté des ménages : l'endettement immobilier est à taux fixe. C'est une grande différence avec beaucoup de nos voisins qui ont un endettement à taux variable. Je ne parle même pas des États-Unis où la crise des subprimes est née du relèvement de taux. Du côté des entreprises, il y a une part plus significative de crédits à taux variable. Mais, je note que les taux sont aujourd'hui extrêmement favorables. S'il doit y avoir un relèvement de taux, ce sera au plus tôt à partir de l'été prochain et il sera extrêmement progressif et dépendant de la situation économique. La situation économique actuelle pousse au pragmatisme.

En ce qui concerne le rapport de la Cour des comptes, j'ai relevé tout à l'heure que la Cour avait salué les efforts de transformation de la Banque de France. Cela ne m'empêche pas d'avoir un désaccord avec ce rapport. Je l'ai écrit et je note que le ministre de l'Économie et des Finances a exprimé le même désaccord. Ce dernier porte précisément sur le point que vous avez soulevé. Il s'agit d'une interrogation de principe de la Cour des comptes pour savoir si nous devons garder les missions pour le compte de l'État, dont la gestion des dossiers de surendettement. Un de ses arguments est de dire que cette mission n'existe pas dans les autres banques centrales de l'eurosystème. Or, dans les autres pays, la loi Neiertz sur le désendettement n'existe pas. Je suis persuadé que cette loi est un avantage pour notre pays. Le ministre a été très clair sur le fait que cette mission resterait confiée à la Banque de France.

La Cour des comptes a une interrogation un peu théorique sur la présence territoriale. Elle s'interroge sur la nécessité de conserver une succursale par département. Je souhaite le dire extrêmement clairement : nous resterons durablement avec au moins une succursale de la Banque de France par département. Les Français veulent des services publics de proximité. Je pense qu'il y a des besoins en proximité, qui ne se limitent pas à l'accueil des personnes surendettées : la présence auprès des entreprises, la présence auprès des élus et des responsables administratifs, l'analyse de la conjoncture.

Il faut rendre compatible deux aspirations des Français : des services publics de proximité et des services publics qui coûtent moins chers. Nous le faisons, car nous maintenons des succursales partout qui assurent des fonctions de services, de présence, de guichet. Mais nous regroupons un certain nombre de traitements, dans des centres de traitements partagés, qui nous permettent de réaliser des économies significatives au fur et à mesure des départs en retraite.

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