Intervention de François Villeroy de Galhau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 16 janvier 2019 à 10h05
Audition de M. François Villeroy de galhau gouverneur de la banque de france

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Je ne crois pas avoir employé le terme « rassurant ». Mon objectif n'est d'ailleurs pas de rassurer. J'ai indiqué la nécessité d'être vigilant, j'ai parlé de « mobilisation » à propos des créances douteuses. La situation conjoncturelle reste globalement satisfaisante dans notre pays. Mais nous devons rester totalement mobilisés face au risque financier qui existe. Si un jour un superviseur vient vous dire « dormons tranquille, il n'y a plus de risque de crise financière », il sera urgent de le remplacer. Il reste beaucoup de risques dans le paysage, financier, économique mondial.

Il y a des risques tenant aux déséquilibres de la politique américaine, laquelle consiste à doper sa croissance au prix de déséquilibres budgétaires extérieurs considérables. D'autres tiennent à la montée de l'endettement mondial, notamment dans les économies émergentes et en particulier en Chine. Les autorités chinoises ne manquent pas d'instruments pour maîtriser leurs propres risques. Cela reste un point que nous suivons. Enfin, il y a des risques plus près de nous en Europe que nous avons déjà évoqués. Si je vous disais que nous allions vers une crise financière mondiale, je ne croirais pas non plus faire mon travail. Il y a un certain nombre d'éléments à surveiller. Il n'y a jamais de certitudes sur le lieu ni la probabilité avec laquelle vont se produire les crises. J'étais à la BRI en fin de semaine dernière. L'économiste en chef ne m'a pas donné l'impression de tenir de propos aussi alarmistes, mais cela peut dépendre un peu du lieu où il s'est exprimé. Là où nous nous retrouvons, géographie par géographie, secteur par secteur, c'est sur la nécessité d'être extrêmement attentifs sur le risque. Je ne cherche pas à être rassurant. Je vous ai indiqué ce qui paraît relativement satisfaisant dans le paysage économique et bancaire français, ainsi que les risques sur lesquels nous devons rester mobilisés, voire renforcer les régulations.

Cela m'amène à la question du shadow banking. Je partage les chiffres que vous avez cités, et je vous remercie d'avoir rappelé les priorités que j'avais mises en avant dans la revue de stabilité financière publiée par la Banque de France au printemps dernier. Elle portait précisément sur ce sujet. Celui-ci, s'il n'est pas uniquement américain, concerne largement ce pays. Je crois qu'il s'agit aujourd'hui, pour beaucoup d'entre nous, de la priorité de la réglementation financière. Beaucoup a été fait concernant les banques. Un travail significatif a été également fait sur les assurances, notamment avec la réglementation « Solvabilité II ». Toutefois, sur ce que l'on appelle quelquefois le shadow banking - beaucoup moins a été fait. Ce ne sont pas les mêmes risques. En effet, si vous êtes souscripteur, épargnant d'un fonds, vous continuez à porter le risque. Si vous avez mis votre dépôt dans une banque, c'est cette dernière qui porte le risque. Nous ne devons pas avoir la même exigence en capital face à des fonds et face à des banques. En revanche, il y a un sujet sur lequel il faut travailler : la liquidité. Le principal risque face à ces fonds, qui sont une bonne partie des 45 trillions de dollars que vous avez cités, est un retrait massif, collectif et simultané de la part des épargnants. Cela ne s'est pas passé en 2009, mais nous devons pour l'avenir voir comment ces fonds pourraient gérer la liquidité. Cela nécessite des mécanismes d'interruption de retrait, ce que l'on appelle des « gates » qui sont prévus à l'avance. Une large majorité se dessine sur ce thème au Conseil de stabilité financière (CSF). Il se trouve que le nouveau président du CSF est un Américain, Randal Quarles, qui est le numéro deux de la Réserve fédérale des États-Unis (Fed). C'est un élément favorable, par rapport à une tentation d'unilatéralisme. Randal Quarles s'implique dans une réglementation multilatérale. Je me permets de vous renvoyer à l'analyse des risques que nous faisons deux fois par an à la Banque de France avec l'évaluation des risques systémiques (ERS). La dernière a été publiée à la fin du mois de décembre. Vous trouverez de façon plus détaillée certains des facteurs que vous avez cités, ainsi qu'un focus plus précis sur les risques français. Il est de notre devoir de publier cette étude deux fois par an, et d'analyser les risques quatre fois par an au sein du HCSF.

Je n'ai pas ici la réponse sur les encours de crédits étudiants. Je reviendrai vers vous avec ces éléments très prochainement. Je ne me prononce pas sur l'opportunité de créer de nouveaux crédits d'impôt. Il s'agit d'un débat de politique fiscale qui dépasse la Banque de France.

Pour les créances douteuses, tout est une question d'équilibre. Je crois qu'une banque qui n'aurait aucune créance douteuse serait une banque qui ne ferait pas son travail, car elle ne prendrait aucun risque. Nous ne pouvons pas demander aux banques à l'avance de garantir que 100 % des crédits qu'elles prennent seront remboursés à coup sûr. Les 3 % de créances douteuses que nous voyons aujourd'hui dans le bilan des banques françaises sont équivalents au niveau d'avant la crise. Si je disais qu'il s'agissait d'un niveau normal, cela apparaîtrait presque normatif. N'en déduisez pas qu'il y a à nos yeux un optimum. C'est un ordre de grandeur qui ne paraît pas déraisonnable. En outre, lorsque l'on regarde le détail de ces créances douteuses qui peuvent porter sur des entreprises comme sur des particuliers, nous ne voyons pas d'anomalies manifestes, c'est-à-dire la concentration sur tel type de crédits ou tel type de secteurs, sur lequel il y aurait eu des excès. La croissance du crédit est la même sur les ménages et les entreprises - entre 5 et 6 % par an - elle est un peu supérieure sur les PME que sur la moyenne des entreprises. Nous ne voyons pas d'anomalies dans la distribution du crédit et dans la répartition des risques.

L'assouplissement quantitatif ne se terminera pas cette année. Ce que nous avons annoncé, c'est la mise en place d'une phase de normalisation progressive de notre politique monétaire. Il y a trois étapes : nous avons franchi la première étape au mois de décembre. Nous avons arrêté les achats nets de titres : nous n'augmentons plus les stocks. Vous vous souvenez sans doute que dans les mois où cela était absolument nécessaire, nous avions acheté jusqu'à 80 milliards d'euros nets par mois. À l'automne dernier, nous sommes descendus à 15 milliards d'euros. Aujourd'hui, il n'y a plus d'achat. En revanche, nous maintenons le stock, grâce à des réinvestissements des tombées de titres arrivés à échéance. Cela reste un élément substantiel d'assouplissement.

La deuxième étape sera le relèvement des taux très favorables. Il y a même un taux négatif à 0,40 %, ce qui est une forme de taxe sur les liquidités des banques commerciales déposées à la banque centrale. Nous avions indiqué que cette remontée serait au plus tôt à partir de l'été prochain, et que cela dépendrait beaucoup de l'évolution des perspectives économiques et de l'inflation.

La troisième étape se fera après le relèvement de taux et sur une période suffisamment longue : cela consistera en une diminution du stock : la totalité des remboursements de titres ne sera pas réinvestie. La Fed, qui a suivi avant nous ce chemin de normalisation car la conjoncture américaine est en avance sur la conjoncture européenne, a franchi ces trois étapes.

Nous sommes très pragmatiques sur le calendrier. Ce processus prendra du temps. Il est de notre devoir, y compris dans notre mandat de stabilité des prix, de tenir compte de l'environnement dans lequel nous sommes. Selon des estimations convergentes, la politique dite non conventionnelle - les achats de titres et les taux d'intérêt très bas - a représenté un soutien de la conjoncture européenne de l'ordre de 0,4 % par an, ce qui est significatif. Elle a également représenté une contribution à l'inflation pour revenir à la cible de 2 %. Souvenez-vous, en 2016, nous parlions encore de risque de déflation, très grave pour l'économie. On estime que l'assouplissement quantitatif a contribué de l'ordre de 0,4 % par an, pour aller vers la cible d'inflation de 2 % par an. En ce qui concerne l'emploi, on peut noter qu'en 5 ans - de 2013 à 2018 -, depuis que cette politique non conventionnelle s'est déployée, la zone euro a créé 8 millions d'emplois. C'est le chiffre le plus élevé que nous ayons jamais connu. Ce n'est pas seulement lié à la politique monétaire, mais cette dernière a joué un rôle significatif. Cet assouplissement quantitatif a servi les citoyens de l'Europe et a été conforme à notre mandat.

Je ne sais pas dire aujourd'hui quelle est la probabilité la plus forte parmi les différents scénarios du Brexit. Le rejet d'hier est celui du projet d'accord. Toutefois, est ce que cela signifie l'absence de tout accord ? Il y a des sensibilités très variées au sein du Parlement britannique. C'est à la démocratie britannique de choisir, et si possible assez vite. Dans la situation la plus défavorable, nous avons étudié précisément avec le Trésor britannique les conséquences sur la stabilité financière et les établissements financiers. Pour ces derniers, elles nous paraissent toutes gérables. Pour autant, des mesures doivent être prises au niveau européen. Une a d'ores et déjà été annoncée par la Commission européenne : la reconnaissance temporaire des chambres de compensation. La compensation des transactions entre banques se passe aujourd'hui pour l'essentiel à Londres. Il y aura une reconnaissance temporaire, pour qu'il n'y ait pas de rupture le 29 mars prochain. Petit à petit, nous devrons développer ces capacités de compensation à l'intérieur de l'Union européenne. Sur tous les autres sujets, les établissements se sont globalement bien préparés. Nous restons extrêmement mobilisés. Nous prendrons un certain nombre de dispositions nationales, notamment dans le cadre de la loi d'habilitation qui revient devant le Sénat demain. Si nous sommes dans le scénario du No Deal, nous pourrons prendre rapidement des dispositions.

Je crois que nous pourrons être en situation où il n'y a pas de risques sur la stabilité financière, ni sur la protection des consommateurs, ce qui est très important en matière d'assurance. Pour les entreprises et l'économie de manière plus générale, je serai plus prudent. Il peut y avoir un effet significatif sur les entreprises et l'économie britannique. Vous avez vu les chiffrages réalisés par la Banque d'Angleterre. Néanmoins, il existe un aléa considérable sur la rupture que cela peut représenter, y compris sur les circuits d'approvisionnement. Les effets sur la zone euro devraient être beaucoup plus limités, ne serait-ce que pour une raison arithmétique. Lorsque vous regardez le poids des exportations vers l'Union européenne dans l'économie britannique, en relatif, celui-ci est cinq fois supérieur à ce qu'est le poids des exportations de l'Union européenne vers la Grande-Bretagne. Je pense que la préparation du secteur financier est plutôt meilleure que celle des autres secteurs économiques.

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