Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant-hier soir, la Chambre des communes s’est prononcée à une très large majorité contre la ratification de l’accord de retrait. C’est une mauvaise nouvelle, que nous regrettons, d’abord parce que l’accord de retrait que Theresa May a soumis à ratification a été négocié pendant près de deux ans. C’est le seul accord possible, résultat du travail remarquable de notre négociateur européen, Michel Barnier, qui a exploré énormément d’options avec les Britanniques avant de parvenir à ce texte.
Vous le savez, cet accord de retrait et la déclaration politique sur les relations futures avaient fait l’objet d’un accord entre les négociateurs, avant d’être approuvés par les chefs d’État et de Gouvernement des vingt-sept États membres, réunis à l’occasion d’un sommet extraordinaire le 25 novembre dernier.
Conformément aux orientations du Conseil européen (article 50) pour les négociations sur le Brexit, adoptées le 29 avril 2017, le texte négocié visait à assurer un retrait ordonné du Royaume-Uni, en fixant les modalités selon lesquelles celui-ci se sépare de l’Union européenne. L’objectif principal était de réduire les incertitudes et de limiter les perturbations provoquées par le retrait, en particulier pour les citoyens, les acteurs économiques et l’ensemble des parties prenantes.
Les inquiétudes des parlementaires britanniques conservateurs, notamment, portaient principalement sur le mécanisme de backstop, de « filet de sécurité » pour éviter le rétablissement d’une frontière dure entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord si la nature des relations futures ne l’empêchait pas.
Pour y répondre, les présidents du Conseil européen et de la Commission européenne avaient, en amont du vote, confirmé à Mme May que, conformément aux conclusions du Conseil européen du 13 décembre et aux propos tenus à cette occasion par le Président de la République, le filet de sécurité, s’il devait être activé, aurait bien vocation à n’être que temporaire, dans l’attente de son remplacement par un accord ultérieur permettant d’éviter le rétablissement d’une frontière physique, et que, par ailleurs, l’Union européenne était prête à ouvrir aussitôt que possible les négociations pour parvenir à cet accord ultérieur. Cela n’aura de toute évidence pas suffi, et le rejet de l’accord, même s’il tient à des raisons différentes selon les bancs, est plus profond.
Mme May ayant remporté le vote sur la motion de censure qui a été organisé hier soir à la Chambre des communes, il lui revient de décider des conséquences qu’elle tire de ce rejet et de préciser ses intentions pour les prochaines étapes. Elle le fera dès lundi 21 janvier devant la Chambre des communes, après d’intenses consultations parlementaires dans le cadre d’un processus transpartisan. Si elle parvient à des avancées sur le fond, elle reprendra contact avec la partie européenne.
Ce n’est évidemment pas à nous Français, Européens, de dire aux Britanniques ce qu’ils doivent faire. En revanche, nous pouvons et, je crois, nous devons leur dire qu’il leur faut se dépêcher. Il ne reste effectivement guère plus que deux mois avant l’échéance du 29 mars et le moyen d’obtenir une séparation ordonnée, permettant que le Royaume-Uni, à l’avenir, reste proche de l’Union européenne, est connu : c’est la ratification de l’accord de retrait.
La plus grande incertitude pèse aujourd’hui sur les intentions britanniques. Aucune option ne peut être théoriquement exclue, y compris une demande de report de la date de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Celui-ci est juridiquement et techniquement possible, à condition qu’il y ait un accord à l’unanimité des vingt-sept États membres de l’Union européenne et que nous soit précisée par le Gouvernement britannique la nature de ce report, s’il devait le demander : jusqu’à quelle échéance ? En vue de quel type d’accord ? Avec quelles garanties que cette demande recueillera le soutien d’une majorité des parlementaires britanniques ? À quoi servirait, sinon, un report de quelques semaines ou de quelques mois, qui poserait la question délicate et baroque du mode de désignation de députés européens britanniques au parlement de Strasbourg ?
Un report aurait cependant du sens par exemple pour finaliser la ratification d’un accord de retrait, ou encore si le Royaume-Uni évoquait la possibilité de rester dans l’Union européenne. Notre porte reste bien entendu grande ouverte, mais la vérité oblige à dire qu’à ce stade il s’agit d’un scénario de politique-fiction, que rien ne vient conforter de la part du Gouvernement britannique.
Dans ce contexte délicat, deux points me semblent importants.
Le premier point, je le redis, c’est que le projet d’accord de retrait endossé en novembre dernier est le meilleur et le seul possible. Comme l’a rappelé le 13 décembre le Conseil européen réuni en format article 50, l’accord ne peut être renégocié dans sa substance. En conséquence, si un Brexit sans accord serait coûteux, d’abord et surtout pour le Royaume-Uni, mais aussi, dans une moindre mesure, pour les États membres, il resterait néanmoins préférable à un mauvais accord, qui ne respecterait pas l’intégrité du marché unique ou ne fournirait pas le « filet de sécurité » dont un pays comme l’Irlande a besoin.
Le second point, c’est donc que nous devons, plus que jamais, nous préparer à un retrait sans accord, à la fois au niveau européen et au niveau national.
Au niveau européen, les travaux préparatoires à une absence d’accord se sont accélérés à partir du mois de novembre 2018. La Commission a publié deux communications sur ce sujet, les 13 novembre et 19 décembre, ainsi que seize propositions de textes législatifs dans différents domaines : visas, efficacité énergétique, services financiers, transport aérien, transport routier, contrôles douaniers, climat, coopération régionale sur l’île d’Irlande, statistiques.
Au niveau français, vous le savez, nous avons également accru notre travail de préparation, avec le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre des mesures par ordonnances que je vous ai présenté en novembre. J’espère que ce texte sera tout à l’heure définitivement adopté dans votre hémicycle, ce qui permettra au Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que nous soyons prêts, même en l’absence d’accord.
Nous le serons, et c’est notre responsabilité politique de faire en sorte que les Français qui souhaiteraient revenir du Royaume-Uni, les Britanniques qui vivent en France, où ils sont appréciés, les entreprises qui travaillent avec le Royaume-Uni ou celles qui, installées en France et employant des Français, sont cependant de droit britannique n’aient pas à subir de trop lourdes conséquences d’une absence d’accord. Nous reviendrons sur ces questions ultérieurement. Je me tiens à votre disposition pour participer au débat que vous avez souhaité organiser.