Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le scénario tant redouté est donc advenu. La Grande-Bretagne et l’Union européenne entrent en territoire inconnu. La tonalité générale de notre débat témoigne bien d’un profond désarroi, même si nous pouvions nous attendre à cette issue.
L’Union européenne et ses États membres, dont la France, ont préparé ces derniers mois des dispositions d’urgence pour faire face à une telle éventualité. Nous espérions tous, en notre for intérieur, que ces précautions indispensables n’auraient pas à s’appliquer. Nous péchions sans doute par excès d’optimisme.
Aussi précises soient-elles, ces mesures n’empêcheront cependant pas l’impact désastreux que la décision du Parlement britannique aura pour les deux parties. On sait que plusieurs secteurs économiques seront directement touchés par la sortie du Royaume-Uni. L’industrie française est concernée au premier chef et devra relever plusieurs défis.
Un défi logistique, d’abord, avec l’augmentation du délai des formalités douanières à la frontière, qui provoquera des goulets d’étranglement. Un défi des tarifs douaniers, ensuite : en l’absence d’accord de libre-échange, le Royaume-Uni pourrait instaurer des tarifs douaniers élevés, par exemple dans le secteur automobile, comme autorisé par l’Organisation mondiale du commerce. Cette organisation, bien qu’elle soit chancelante en ce moment, va en effet devenir, pour la Grande-Bretagne, le cadre naturel des négociations commerciales sur les tarifs douaniers et les barrières non tarifaires, dans l’hypothèse d’un Brexit « dur ».
Que dire, enfin, sur l’avenir de la pêche européenne, et en particulier de la pêche française ? Une fermeture des eaux britanniques induirait une perte de revenus, pour la flotte européenne, de l’ordre de 50 %. Certes, le choix de ne pas rester dans l’Union européenne n’implique pas une rupture totale de nos relations avec le Royaume-Uni. Nous devrons, au contraire, maintenir un lien très étroit, en particulier dans le domaine de la recherche ou celui de la sécurité et de la défense.
Comment trouver désormais une solution acceptable par tous en ce qui concerne la frontière physique entre l’Irlande et l’Ulster, qui devient désormais « la » frontière terrestre entre l’Union et le Royaume-Uni, alors même que, depuis 1998, l’Union est, avec les États-Unis, l’un des parrains de l’accord de paix historique du Vendredi Saint, qui posait comme condition essentielle la suppression de toute frontière « dure » entre les deux Irlande ? On a souvent dit que l’Union européenne était un facilitateur de paix. Souvenons-nous que, en 1998 encore, une guerre civile faisait rage au cœur même de l’Union européenne, laquelle aura contribué à la résolution de ce problème.
Pour conclure, je voudrais souligner un point positif dans cet environnement bien morose : l’unité sans faille de l’Union et des Vingt-Sept durant ces longs mois de difficiles négociations. Elle a tenu bon, et nul n’est parvenu, malgré quelques tentatives, à en ébranler la solidité. J’y vois deux raisons essentielles.
La première est la qualité du négociateur en chef Michel Barnier. Il faut lui faire crédit d’avoir contribué, avec beaucoup de patience et de talent, à créer et, surtout, à maintenir cette solidarité politique des Vingt-Sept, qui était loin d’être acquise de prime abord.
La seconde raison est que la lucidité, l’honnêteté politique et la clarté des principes de base de la négociation auront été, durant ces mois, beaucoup plus présentes du côté des Vingt-Sept que de l’autre. Ce sont là des qualités dont on crédite trop peu souvent l’Union européenne et ses institutions ; c’est l’occasion de le faire.
Le résultat du vote de mardi est un revers pour tout le monde : pour les Britanniques d’abord, mais aussi pour l’Union. C’est aux Britanniques désormais et à eux seuls, en particulier à leur Parlement, qu’il revient d’inventer un « plan B » pour baliser le chemin qui mène au 29 mars. Pendant deux ans, ils n’ont pas beaucoup réfléchi et absolument rien écrit sur ce sujet. Il leur reste trois jours pour le faire. Mme la ministre vient de préciser à quelles conditions les Vingt-Sept pourraient répondre favorablement à une demande du Gouvernement britannique de reporter l’échéance pour la mise en œuvre de l’article 50 au-delà du 29 mars : un report, pour quoi faire et pour quelle durée ?
Au-delà de cet écueil, il reviendra aux Vingt-Sept, à la Commission européenne et au futur Parlement européen de continuer et d’amplifier le travail de refondation de l’Union. Le Conseil européen de Sibiu, en mai, sera une première étape importante.
Enfin, comme son intitulé l’indique, notre groupe sénatorial de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l’Union européenne, que Christian Cambon et moi-même avons l’honneur de présider, n’a jamais dissocié les deux enjeux. Il poursuivra ses travaux avec une ambition intacte et un sentiment d’urgence renouvelé.