Les CRIAVS sont des structures publiques, dont la création résulte d'une circulaire du 13 avril 2006, et qui ont pour mission d'ameìliorer la preìvention, la compreìhension et la prise en charge des violences sexuelles. À l'origine interrégionaux, les CRIAVS se sont régionalisés pour mieux faire face aux besoins. Ils n'interviennent pas directement en matière de soins mais auprès des professionnels, tant dans le domaine sanitaire que judiciaire.
La circulaire précitée leur fixe six missions : la documentation, la prévention, la formation, la recherche, le développement des réseaux professionnels et le soutien aux professionnels.
Les CRIAVS, ce sont deux cents professionnels de santé issus de quinze disciplines. On aime parler d'un « alliage complexe au service d'une valeur ajoutée ». Les CRIAVS se sont réunis depuis dix ans au sein de la fédération que nous représentons. Celle-ci a pour vocation de soutenir les CRIAVS dans leurs partenariats, d'offrir une formation continue à leurs membres, de mutualiser leurs moyens, de développer un réseau documentaire commun, de représenter les CRIAVS devant les institutions publiques et, enfin, d'organiser des évènements nationaux, à l'instar de l'audition publique de juin 2018, ou internationaux.
Dr. Jean-Philippe Cano. - Qui sollicite les CRIAVS ? En premier lieu, les professionnels de la santé : psychiatres, professionnels des centres médico-psychologiques (CMP) ou exerçant en libéral, structures médico-sociales. Les CRIAVS leurs proposent de la formation, des conseils sur un signalement ou des conseils plus techniques, comme l'accompagnement dans la définition d'une stratégie de soins, ou encore des analyses de pratique.
Les CRIAVS interviennent également au profit des services de la justice, notamment les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Nous avons à cet effet conclu des conventions avec l'école nationale de la magistrature (ENM) et la direction de la PJJ.
Un travail partenarial est également réalisé avec l'Église. Certains diocèses, comme celui de Bordeaux, ont sollicité le CRIAVS pour effectuer un travail de sensibilisation et d'information auprès des prêtres, aumôniers et séminaristes. À Montpellier, le diocèse et le CRIAVS ont mis en place une cellule d'écoute et d'accompagnement pour les victimes et auteurs d'actes pédophiles, dotée d'une ligne téléphonique dédiée.
D'autres CRIAVS interviennent également au profit des lycées ou de publics étudiants. Il existe une diversité importante d'interlocuteurs et d'interventions selon les centres.
Les CRIAVS interviennent essentiellement dans la formation continue des professionnels. Je ne peux que déplorer la faiblesse de la formation initiale des professionnels de la santé, dont les volumes horaires et les maquettes de formation sont très insuffisants.
Enfin, les CRIAVS participent à l'information du grand public, en intervenant auprès des médias ou du public. Dernièrement, des professionnels des CRIAVS ont participé à des soirées-débats, à l'occasion de la projection du film « Les Chatouilles ».
Vous nous avez demandé notre appréciation des dispositifs de suivi socio-judiciaire et d'injonction de soins. Nous avons mené un projet de recherche visant à établir un état des lieux sur l'injonction de soins (ELIS), en partenariat avec l'ONDRP, en étudiant un échantillon très large de dossiers. Si nous pouvons connaître ainsi les caractéristiques de ces faits - plus de 70 % des victimes sont mineures et dans 70 % des cas, la victime connaissait l'auteur - il n'existe, à ce jour, aucune étude qualitative permettant d'apprécier l'efficacité ou les effets de l'injonction de soins.
S'agissant des échanges d'informations entre la justice et la santé, les CRIAVS sont au coeur du travail partenarial entre ces deux institutions. L'audition publique en a été une illustration puisque la Haute Autorité de santé (HAS) n'a pas souhaité en endosser les conclusions, au motif que l'avis de la ministère de la justice aurait été nécessaire. Dans ces domaines, la question du secret est très présente et complique les échanges d'informations. Force est de constater que les règles applicables ne sont pas très claires pour les professionnels eux-mêmes. Pour ces raisons, la deuxième recommandation de l'audition publique est la conception d'un livret sur le secret professionnel des intervenants auprès des personnes placées sous main de justice.
Dr. Jean-Philippe Cano. - Le médecin coordonnateur a une forte plus-value pour les patients, par sa connaissance des réseaux de soins. Il permet une évaluation dans la durée des personnes condamnées, qu'il peut transmettre au juge comme à l'intéressé. Il joue un rôle de conseil et d'interface entre les professionnels de la justice et ceux de la santé, notamment en cas de difficulté. S'il n'existe aucun fondement juridique à la communication entre le médecin coordonnateur et le SPIP, cela ne l'empêche pas d'avoir lieu dans les faits.
Qui sont les médecins coordonnateurs ? Il s'agit très souvent de psychiatres, essentiellement du service public. Ils bénéficient de formations ad hoc dispensées par les centres ressources. Des médecins généralistes peuvent également être médecin coordonnateur, sous réserve d'avoir suivi une formation de psychiatrie médico-légale. Si cette dernière solution répond à la pénurie de psychiatres, elle peut présenter des difficultés car ces médecins n'ont pas les mêmes connaissances en matière de psychothérapie ni un réseau aussi étoffé.
Vous nous avez demandé si les professionnels étaient suffisamment formés à la détection des infractions sexuelles, en particulier sur les mineurs, et à l'accompagnement des auteurs d'infractions. La réponse est non. Mais il s'agit d'un travail de longue haleine auquel les CRIAVS participent. Permettez-moi d'ajouter qu'un simple temps de formation ne suffit pas : il s'agit d'un sujet complexe nécessitant une formation adaptée, interactive, qui s'enrichit au fil du temps.
S'agissant de la législation relative au traitement et à l'accompagnement des auteurs d'infractions, qui a lieu dans un contexte d'obligation ou d'injonction de soins, il convient de souligner qu'elle est complexe à mettre en oeuvre, du fait de la pénurie de médecins coordonnateurs comme de l'évolution rapide du cadre législatif.
Nous identifions deux lacunes principales. La première est la systématisation des soins pour les auteurs de violences sexuelles. Ces derniers ne souffrent pas tous de troubles psychiatriques sévères. Pour éviter la récidive, les soins ne suffisent pas toujours : il faut mener également un travail sur les conditions socio-économiques. L'efficacité des thérapies prescrites est également très variable selon les patients, chacun ayant des besoins différents en matière de rythme ou d'approche.
Notons que les attentes envers les soins diffèrent selon les intervenants. Pour les médecins et les professionnels de santé, les soins ont d'abord pour objet que le patient aille mieux. Pour les professionnels de la justice, il s'agit avant tout de s'assurer que ce dernier ne récidive pas. C'est pourquoi nous avons recommandé, à l'issue de l'audition publique, de dissocier la durée du suivi socio-judiciaire de celle de l'injonction de soins.
La deuxième lacune, que mon collègue a déjà évoquée, est l'absence de fondement réglementaire aux interactions entre le médecin coordonnateur et le SPIP.
Dr. Jean-Philippe Cano. - Vous connaissez les enjeux de la prévention primaire, consistant en des actions d'ordre éducatif à destination du public, champ qui compte de nombreux acteurs
Le renforcement de la prévention tertiaire, c'est-à-dire la prise en charge des auteurs de violences sexuelles, passe par une réflexion sur les conditions de sortie de détention et la prise en charge à l'issue de celle-ci. J'ai en tête l'exemple d'une personne fraîchement libérée et qui était sans hébergement.
Il nous semble important que la prévention secondaire, plus ciblée sur les publics à risque, soit renforcée. Les pédophiles abstinents, les personnes ayant des tendances pédophiles ont beaucoup de mal, pour des raisons évidentes, à en parler et ne savent pas vers qui se tourner.
La prévalence de la pédophilie au sein de la population est mal connue. Certaines études estiment que 1 % de la population présente des symptômes, comme des fantasmes ou une attirance envers les enfants. Tous ne passent pas à l'acte, loin de là, la personnalité agissant comme un filtre.
Force est de constater que peu de dispositifs existent dans ce domaine : une association, l'Ange bleu, qui reçoit entre 50 et 300 appels par mois ; un site Internet dédié, Pedo.help ; enfin, certains CRIAVS participent au réseau écoute orientation (REO) mis en place par la fédération, à destination des personnes souffrant de fantasmes ou de comportements déviants. Nous pensons qu'il faut aller plus loin, en s'inspirant notamment de ce qui se fait en Allemagne.
En 2005, un institut de sexologie à Berlin a mis en oeuvre le dispositif Dunkenfeld à destination des personnes présentant des symptômes pédophiles. Il consiste en un service d'écoute téléphonique et une plateforme Internet permettant aux personnes concernées de s'informer et de prendre la mesure du caractère problématique de leurs symptômes. Son déploiement s'est accompagné d'une campagne publicitaire importante en direction du grand public. Entre 2005 et 2018, la plateforme téléphonique a reçu plus de 9 000 appels, qui ont donné lieu à l'évaluation de 2 900 personnes, dont 1 550 se sont vues proposer des soins.
Sur ce modèle, la FFCRIAVS propose de développer un numéro d'appel reposant sur les CRIAVS, adossé à un site Internet, où les personnes intéressées trouveraient des informations et la possibilité d'une auto-évaluation. Cela permettrait le cas échéant de les rediriger vers un CRIAVS en vue du soin.
Un dispositif plus ambitieux serait la mise en place d'une plateforme permanente, fonctionnant sept jours sur sept et 24 heures sur 24, et qui aurait l'avantage de pouvoir prévenir des crises aigües. Cela ne pourra se faire sans des financements adaptés.