Intervention de Hubert Védrine

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 janvier 2019 à 10h00
« l'europe face au risque de chaos géopolitique : quelle architecture de sécurité ? ». — Audition de M. Hubert Védrine

Hubert Védrine :

Merci de votre invitation. Comme vous l'avez dit, je parle librement à partir de l'expérience longue qui est la mienne. Mes propos n'engagent que moi et si vous le permettez, j'irai droit au but.

Pour ce qui est du contexte, le monde actuel n'a aucun rapport avec ce que les Occidentaux ont cru au moment de la fin de l'URSS en 1992. On s'est fait alors des illusions énormes, sur la fin de l'histoire, le triomphe de la démocratie de marché, le leadership des Etats-Unis voire - dans la vision plus ingénue des européens - le rôle de la communauté internationale, la prévention des conflits, la place de la société civile etc. Tout cela n'a rien à voir avec le monde actuel. Pour reprendre les termes de mon ami le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, ce monde est un chaos. Attention, cela ne signifie pas guerre généralisée, et pour ma part je ne me sers jamais des comparaisons avec les années 30 ou les années 1910. Le chaos signifie que tout est instable et imprévisible. Aussi la plupart des grilles de lecture que nous avions coutume d'utiliser ne fonctionnent plus. Dans un tel monde, il ne sert plus à rien d'employer des mots-valises comme « le monde », « la communauté internationale », « la Méditerranée ». Ils ne veulent plus rien dire ! Il faut observer les acteurs réels. Que veut Trump, jusqu'où ? Que veulent les Chinois, sous quelles formes ? Que veut Poutine ? En fait, il n'y a pas beaucoup d'acteurs. Certes les Nations unies comptent 195 pays mais la plupart d'entre eux ne pèsent pas sur les grands équilibres. Il faut prendre les 10 ou 20 acteurs qui comptent, y compris les très grandes entreprises américaines ou chinoises et les puissances illégales comme les mafias ou les acteurs de l'économie de la traite qui s'est reconstituée en Afrique autour de l'immigration. Pour rappel, cette dernière génère plus de profit que le trafic de drogue. De même, lorsque l'on dit que l'Europe devrait faire ceci ou cela, de quel acteur veut-on parler ? Désigne-t-on les institutions européennes ? Mais alors, il faut distinguer le Conseil européen, d'une part et le Parlement, la Commission et la Cour de justice, d'autre part et même re-distinguer entre ces trois dernières. Désigne-t-on les 27 gouvernements ? Les 27 opinions publiques ? C'est complètement différent.

En matière de sécurité, il faut en revenir à l'histoire, c'est-à-dire à 1949 parce que depuis, rien n'a fondamentalement changé. Après la deuxième guerre mondiale, rappelons que ce n'est pas l'Europe qui fait la paix mais ce sont les Soviétiques à Stalingrad et les Américains avec le débarquement. Tout de suite après, les Américains repartent - comme à chaque fois. Ils laissent les Européens terrorisés par le fait que Staline ne respecte pas les promesses faites à Yalta. Dans la déclaration sur l'Europe libérée, il s'était engagé devant Roosevelt et Churchill à organiser des élections libres partout où l'armée rouge aurait écrasé les nazis. Il ne le fait évidemment pas et ce sont les Européens, France en tête, qui supplient les Américains de revenir. L'opinion publique américaine est sceptique et on assiste à un débat, finalement arbitré par le président Truman en faveur de l'engagement en Europe, alors même que le Sénat était initialement contre. Les Etats-Unis n'avaient en effet jamais contracté d'alliance permanente, et encore moins de clause telle que l'article 5 du Traité de l'Atlantique nord. Ce fut peut-être la plus remarquable époque de la politique étrangère américaine, combinant la recherche des intérêts spécifiques américains et une plus vision globale. Le traité d'alliance fut donc signé le 4 avril 1949.

Vient ensuite la guerre de Corée, qui fait craindre aux Européens de l'Ouest de subir le même type d'attaque de la part de l'URSS. C'est l'époque où le RPF du général de Gaulle dit que l'armée rouge n'est qu'à deux étapes du tour de France. On souhaite donc que les Américains puissent être là tout de suite. Ils refusent puis acceptent mais sous réserve que cette défense soit sous leur contrôle. Au traité de l'Atlantique Nord, ils ajoutent alors le O de « Organisation ». C'est logiquement un général américain, Eisenhower, qui en est le premier commandant en chef, les Etats-Unis assurant l'essentiel du financement de l'organisation ou encore de la logistique. C'est l'OTAN qui défend les Européens, la plupart d'entre eux n'ayant d'ailleurs pas réellement d'armée, même si la France et la Grande Bretagne conservent des moyens, notamment pour assurer la défense de leurs empires coloniaux.

Vient ensuite l'époque où le général de Gaulle, qui ne veut pas du tout sortir de l'organisation, envoie un mémorandum aux Américains et aux Anglais pour faire en sorte que l'alliance ne soit plus une simple courroie de transmission du Pentagone. Il le fait dès l'hiver 1958 et ne reçoit pas de réponse. Ce n'est que huit ans plus tard, en 1966, qu'il en conclura qu'il n'a pas d'autre choix que de sortir des organes intégrés. Il n'a jamais pensé une seconde à sortir de l'alliance. L'idée répandue par les antigaullistes en France qu'il s'agissait d'une sorte de mouvement d'humeur est donc complètement absurde. D'ailleurs, en 1969, Nixon est venu en France et, avec Kissinger, il faisait l'éloge du général de Gaulle et de la politique étrangère. Ils étaient complètement indifférents à la sortie des organes intégrés de l'OTAN.

Voilà pour l'histoire. Mais aujourd'hui, qu'est-ce qui défend l'Europe ? Fondamentalement, c'est toujours le système otanien, et les Américains continuent à le financer à hauteur de 70%. Trump ne l'a pas inventé et il n'est pas le premier à s'en plaindre même s'il le fait avec son style. Il y a cette plainte américaine ancienne sur le thème du partage du fardeau, ce à quoi, de temps en temps, la France dans sa phase gaulliste - je dirai même gaullo-mitterrandienne - répond que le partage de la charge devrait s'accompagner d'un partage de la décision. Mais pour les Américains, il n'en est pas question, au motif que cela recréerait de la confusion.

En réalité, chaque fois que la France a mis en avant cette idée d'Europe de la défense -ou de défense de l'Europe - elle n'a jamais été soutenue par aucun autre pays européen. On a du faire 200 ou 300 colloques, beaucoup de déclarations, de propositions ingénieuses -reprises récemment -, mais il ne s'est rien passé. Pas la peine d'ailleurs d'invoquer l'élargissement car la situation a toujours été celle-là, notamment de la part de l'Allemagne. Les autres Européens ont peur de l'idée que l'Europe ait à se défendre toute seule ; ça leur parait impensable, terrorisant. Même dans les moments de plus grande entente entre Mitterrand et Kohl, ce dernier nous disait qu'il ne disposait d'aucune marge. Outre qu'il était peu performant, le système militaire allemand était complètement intégré. On ne pouvait donc prendre des initiatives que symboliques, comme la brigade franco-allemande. Et encore, en quoi était-ce réellement symbolique si au final ça ne marche pas ?

L'an dernier, Angela Merkel a réagi à Trump en disant que, puisqu'on ne pouvait plus vraiment compter sur les Américains, il fallait que l'on s'organise mieux entre Européens. C'est considérable car jamais aucun chancelier allemand depuis la guerre n'avait dit cela. Le plus prêt à aller dans cette direction par le passé aurait pu être Schröder s'il était resté. Quant à Helmut Schmidt, il attaquait surtout la politique monétaire américaine jugée aberrante et dangereuse. Quoiqu'il en soit, les propos de Mme Merkel n'ont provoqué aucun mouvement en Europe. Je le redis : la situation n'a pas fondamentalement changé.

Il faut même y ajouter le fait que depuis l'élargissement, la Russie constitue une menace considérable et imminente aux yeux d'une grande partie de l'Europe, c'est-à-dire 7 ou 8 pays. Je ne dis pas que la Russie actuelle ne pose aucun problème, mais je pense surtout qu'on a complètement raté le coche après la fin de l'URSS et au moment des deux premiers mandats de Poutine. Avec le troisième mandat c'est objectivement beaucoup plus compliqué. Mais face à la menace permanente d'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine - donc à la Crimée, donc à la base de Sébastopol -, il n'était pas tout à fait surprenant qu'un jour ou l'autre Poutine ne bloque le mouvement. D'ailleurs même Brzezinski avant sa mort, ou Kissinger, ont considéré que c'était une erreur stratégique que de vouloir intégrer l'Ukraine dans l'OTAN et qu'il aurait fallu établir une sorte de neutralité un peu comme autrefois pour l'Autriche. Il y a toute une histoire ratée des relations avec Moscou. Aujourd'hui, en 2019, bien sûr qu'il faut prendre au sérieux la position dure, voire provocatrice de la Russie, mais je ne partage pas la plupart des analyses à ce propos. Elles me paraissent totalement disproportionnées par rapport à la capacité économique et militaire de la Russie et par rapport aux autres enjeux à commencer par le défi chinois et par les immenses convulsions au sein de l'islam sunnite dont nous ne sommes pas la cible principale, mais les victimes collatérales.

Passons maintenant aux scénarios.

Dans le premier scénario, les choses continuent comme elles sont. Les Etats-Unis continuent de ne plus vouloir payer mais le système perdure et les Européens demeurent terrorisés, sans le dire, à l'idée que les Américains les abandonnent. Tout continue, y compris les querelles transatlantiques sans fin, les gémissements sur le pourcentage des dépenses consacrées la défense etc. Ce scénario n'est pas tout à fait certain parce qu'il y a une vraie incertitude sur Trump. Au New York Times, dans cette partie de la presse qui à force d'haïr Trump quotidiennement finit par comprendre comment il fonctionne, il y a en effet des gens qui disent qu'il envisage vraiment de se désengager de l'OTAN. Mais jusqu'où ? Annoncerait-il ne plus vouloir financer l'organisation qu'à 20% contre les 70% actuels ? Irait-il jusqu'à dénoncer le traité ? Je ne le crois pas. Trump n'est guidé que par son électorat et sa vision des intérêts américains. Contrairement à ce que l'on dit, il n'est pas isolationniste. Il est unilatéraliste, brutal, court-termiste, etc, mais il n'est pas isolationniste. Il peut aussi bien bombarder que sortir de l'alliance.

J'en viens maintenant au second scénario, celui dans lequel les Etats-Unis lâchent l'OTAN. C'est une option à laquelle on n'aurait jamais pensé auparavant même pour faire du brainstorming. Mais aujourd'hui, on ne peut pas complètement l'écarter. Bien sûr, certains verraient cela comme une divine surprise et d'autres comme une catastrophe absolue.

Il y aurait alors plusieurs hypothèses. Dans l'une, ce retrait américain aboutirait à une confusion totale, une sorte de débat effrayant - de type Brexit -mais sur l'ensemble des questions d'architecture de sécurité. Cette confusion durable pourrait augmenter le poids des puissances extérieures sur l'Europe, considérée comme un ventre mou. C'est d'ailleurs déjà ce que considèrent les Etats-Unis, ne serait-ce que par leur politique unilatérale de sanctions économiques, que nous tolérons depuis des décennies alors qu'elle est insupportable. Il y a belle lurette que les Parlements nationaux aurait dû créer une commission d'enquête sur l'utilisation abusive par les Etats-Unis des lois extraterritoriales et des sanctions. Nous le voyons dans l'affaire de l'Iran, les Etats-Unis peuvent prendre en otage l'ensemble de l'économie. C'est d'autant plus vrai que cette dernière est mondialisée, financiarisée, dollarisée et numérisée. Une autre puissance profitant de la situation serait bien-sûr la Russie qui en profiterait pour pousser un peu ses pions, provoquer ou entretenir les conflits gelés. Il y aurait aussi le jeu de la Chine, déjà capable d'organiser des sommets 16 + 1 dans lesquels elle rassemble, d'une part, les pays de l'Union européenne qui espèrent des miettes du système des nouvelles routes de la soie, et d'autre part, des pays candidats que l'Union européenne serait incapable d'accueillir même si elle le voulait puisqu'il n'y a aucun traité d'élargissement qui serait ratifié aujourd'hui par l'ensemble des Etats membres. Confrontée à toutes ces menaces, nombreux Européens diraient sans doute « nous sommes une cible parce que nous incarnons des valeurs ». Mais ce ne serait que prétention nombriliste. Nous ne sommes nullement une cible. Les autres puissances se disent que l'Europe est un système mou et ils en profitent simplement pour pousser leurs pions.

Regardez la stratégie vis-à-vis de l'Europe d'Erdogan, de Netanyahou ou de l'Arabie saoudite qui finance depuis 30 ans la forme la plus archaïque et régressive de l'islam. Les islamistes eux-mêmes ont un plan, comme les trafiquants, les réseaux d'immigration illégale ou les grandes entreprises. Toutes ces entités se disent déjà que, de toutes façons, en Europe on fait un peu ce que l'on veut. Une décision américaine de retrait ou de diminution drastique de l'engagement dans l'OTAN ne ferait qu'aggraver cet état de fait.

Dans une telle situation de confusion, je n'exclus pas que se développe l'idée d'une neutralité de l'Europe. Il y aurait des gens, des pays, des mouvements pour dire que nous n'avons pas à prendre parti dans ce chaos mondial. C'est un courant auquel on ne pense pas du tout aujourd'hui mais qui peut apparaitre. Dans les années 80, dans la grande bataille sur les euromissiles, des élus des Pays-Bas ou de pays scandinaves préconisaient qu'au lieu d'opposer des missiles Pershing américains aux SS20 soviétiques, on achète plutôt des répondeurs automatiques qui diraient simplement « Nous nous rendons. » ! C'eut été à leurs yeux moins cher et beaucoup moins dangereux. Les « vrais gens » -comme on dit- ne pensent évidemment pas en priorité aux questions de sécurité. Beaucoup se disent en fait que ce n'est plus notre affaire. Dans nos sociétés, on s'intéresse davantage à ce qui touche aux conditions de vie ou au pouvoir d'achat. Cette idée que toute vision de puissance est dépassée, c'est ce que j'appelle la vision de « Bisounours » des Européens. C'est ne pas comprendre que si l'Europe ne devient pas une puissance pacifique - pas pacifiste, mais pacifique - elle sera alors dépendante des autres.

Une autre hypothèse est que l'attitude américaine provoque un choc. Un jour, Trump va trop loin et les Européens se disent que ce n'est plus possible, qu'il faut s'organiser. Au vu des opinions publiques, ce n'est pas le plus probable aujourd'hui mais on ne peut exclure une sorte de réaction des responsables européens face à des puissances extérieures qui nous manipulent, nous menacent ou veulent nous neutraliser. Or tomber dans la neutralité, c'est sortir du jeu et ne plus être à même de défendre les fondamentaux de notre civilisation. S'organiser mieux, cela signifie mettre davantage en commun nos capacités industrielles alors que pour la plupart des pays européens actuels il est aujourd'hui plus sûr, plus efficace et moins cher d'acheter américain, sans même parler de la pression du chantage et du donnant-donnant. Est-ce qu'on peut faire sauter ce verrou ? Dans l'hypothèse où les Etats-Unis nous lâcheraient pour de bon, il ne serait pas impossible que les 5 ou 6 pays disposant d'une capacité industrielle décident de s'unir.

Mais si l'on va au-delà des recherches en commun, il faut aussi créer une culture stratégique commune qui n'existe plus. Nous n'avons pas la même conception de la hiérarchie des menaces et de la meilleure façon d'y répondre.

Ensuite, on en arrive à la vraie question : qui nous défend ? On voit bien qu'il faudrait monter les budgets de la défense à 2% du PIB partout. Or la défense n'est une priorité absolument nulle part... Il faudrait aussi transformer ces forces nouvelles en forces combattantes, ce qui n'est pas évident du tout. En Europe, il y a en fait très peu d'armées capables de combattre efficacement avec le minimum de dégâts collatéraux. Il y a l'armée française qui est devenue excellentissime. Il y a encore l'armée britannique qui a eu du mal, non pas du fait du Brexit, mais à cause de l'Afghanistan et de l'Irak. A ceci s'ajoutent quelques forces spéciales dans 5 ou 6 pays et c'est tout. Si l'on y parvenait, il faudrait enfin décider qui va diriger tout ça. Quel général met-on à la tête de cet ensemble ? Aujourd'hui, c'est commode, c'est un général américain qui commande l'OTAN. Et puis, qui donnera des ordres à ce général, en tant que chef de la défense européenne ? Prenons l'exemple du Mali : qui lui dira ce qui est vrai, que les djihadistes, organisés, peuvent mettre la main sur Bamako très vite et qu'il faut les bloquer?

Dans l'état actuel du monde réel, il n'y a que la France qui est militairement et institutionnellement capable de le faire. Si vous transposez cela dans un monde où les Européens se seraient pris en charge, il faudrait un mécanisme de décision au niveau européen qui n'existe pas aujourd'hui. Aucune autorité européenne même éminemment respectable ne confère à qui que ce soit ce pouvoir-là.

Il reste enfin une hypothèse, qui est à mon avis la moins mauvaise et la moins inaccessible. C'est l'hypothèse du pôle européen au sein de l'alliance maintenue. Nous serions dans le cas où Trump n'irait pas au bout de ses menaces mais où l'on organiserait néanmoins quelque chose. C'est un peu autour de cette idée que s'organisent la plupart des propositions françaises, depuis Mitterrand et jusqu'aux propositions faites par le président Macron à plusieurs reprises, notamment dans les quatre grands discours européens du début de son mandat. Après tout, il y a des mécanismes qui existent dans les traités depuis très longtemps y compris dans celui totalement oublié d'Amsterdam. Ce dernier prévoit les coopérations dites renforcées, qui n'ont à peu près jamais fonctionné. Le pôle européen pourrait aussi être organisé par un groupe d'Etats hors du traité. Bien sûr, depuis qu'ils ont décidé de revenir en s'occupant de tout, les Américains ont tout verrouillé. Ils n'ont cessé de déclencher des campagnes violentes contre toute velléité de création de zones d'autonomie au sein de l'alliance. La machine américaine nourrit par exemple une sorte de haine hallucinante contre le gaullisme qui remonte à des erreurs d'analyse anciennes et ce n'est pas tout à fait fini.

Une fenêtre d'opportunité pour l'organisation d'un pôle européen de l'alliance aurait d'ailleurs existé si de Gaulle avait eu en face de lui Nixon et Kissinger. Il y a eu aussi un moment favorable au début de la présidence Obama. Lorsque François Hollande m'a demandé de faire un rapport sur la France et l'OTAN, il ne s'agissait pas de savoir si l'on allait revenir, car nous étions déjà revenus, ce qui, selon moi, n'était pas une bonne décision. Il s'agissait plutôt de savoir si nous devions ressortir. J'avais conclu que ressortir après être re-rentrés ressemblerait à une danse de Saint-Guy qui nous ferait perdre tout crédit. On l'a oublié mais je disais, en revanche, qu'il faudrait profiter du fait qu'Obama est le premier président des Etats-Unis à ne pas être hostile à ce qu'un pôle européen s'organise. Il avait quand même une intelligence extraordinaire du monde. Cela changeait de la période de Madeleine Albright ou de Colin Powell où la moindre réunion de trois ministres européens sur la défense européenne déclenchait une réaction extraordinaire du côté américain pour tuer l'initiative dans l'oeuf. Obama lui, était relativement ouvert mais ça s'est terminé après le deuxième mandat de Poutine. Ce dernier a mené la politique que l'on sait, qui est elle-même un sous-produit de l'accumulation de nos erreurs. Paradoxalement, dans la situation actuelle, si Trump devenait plus menaçant et que se répande l'idée qu'il est capable de sortir, cela pourrait avoir un effet positif. En revanche, s'il va jusqu'au bout, je crois que c'est plutôt le scénario de la confusion, une sorte de Brexit à l'échelle du continent, qui risquerait de se produire.

Toutes les idées mises en avant par Emmanuel Macron pourraient rebondir dans un contexte de risque crédible mais non réalisé. Je note qu'il prend garde à ne pas utiliser le terme d'« armée européenne » ; il ne l'a d'ailleurs fait qu'une fois ; car cette expression, impropre, a le mérite d'être parlante.

Tout ceci est une question de mental, comme on dit chez les sportifs. Si les Européens au fond d'eux-mêmes pensent qu'il ne faut pas reprendre le jeu des puissances mais lui préférer d'autres aspirations tout à fait légitimes, alors rien ne se fera. Les dirigeants sauront-ils les convaincre que l'enjeu est la défense de la civilisation européenne, qui est ce que l'on a vu de mieux ou de moins mauvais dans l'histoire de l'humanité ?

Je termine par le Brexit. J'ai sans doute mélangé l'an dernier le possible et le souhaitable. J'avais envisagé que cette absurdité serait arrêtée au bord du gouffre par une réaction des responsables concluant à l'impossibilité de négocier la sortie, donnant ainsi lieu à un second référendum. J'ai sous-estimé la difficulté à organiser ce nouveau référendum. Mais quoi qu'il en soit, qu'il y ait Brexit ou pas, l'essentiel est de maintenir notre relation avec le Royaume-Uni sur ces sujets. Je tiens à saluer à ce titre la proposition faite par Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Schuman, européen convaincu, consistant à élargir à l'Allemagne les accords de Lancaster House. Voilà une excellente idée pour la construction du pôle européen de l'alliance.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion