C'est en pleine conscience de la solennité de cette audition et de l'honneur qu'elle constitue que je me présente devant vous pour vous exposer mon parcours et répondre à vos questions.
Notre justice traverse d'importantes transformations, sur lesquelles votre assemblée a mené, mène et mènera des réflexions approfondies. Le CSM, s'il est le garant constitutionnel de l'indépendance de l'autorité judiciaire, a également un rôle à jouer pour accompagner ces transformations de la justice. Sa mission de nomination est essentielle, car ces transformations doivent être mises en oeuvre par des hommes et des femmes soigneusement choisis pour occuper le bon poste au bon moment. Ses missions déontologiques et disciplinaires ne sont pas moins capitales, car elles ont une incidence sur la qualité de la justice et sur la confiance que lui portent nos concitoyens. Ses missions d'information contribuent à une meilleure compréhension des difficultés concrètes auxquelles les magistrats sont confrontés. Elles favorisent la diffusion et la mutualisation des bonnes pratiques au sein des juridictions. Ses missions au titre des relations institutionnelles et internationales concourent à la visibilité de notre justice et de notre système de juridiction, ainsi qu'à l'attractivité du droit français.
Rejoindre le CSM serait pour moi un honneur, mais aussi une responsabilité et un défi personnel, car je suis consciente qu'il me reste beaucoup à apprendre pour pouvoir mener l'ensemble de ces missions.
Mon parcours d'enseignant-chercheur est relativement classique : après avoir soutenu ma thèse de doctorat en droit en 1999, j'ai passé et obtenu le concours de la maîtrise de conférences, qui m'a permis d'être nommée en cette qualité à l'université de Reims Champagne-Ardenne. J'ai rapidement passé le concours de l'agrégation en droit privé et sciences criminelles, au terme duquel j'ai été nommée professeur à l'université de Bretagne Sud en 2003. J'ai finalement rejoint, en février 2007, le poste que j'occupe toujours à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, à la faveur d'une mutation.
Ces bientôt vingt années de carrière universitaire m'ont permis, je l'espère, d'acquérir certaines des qualités attendues d'un enseignant-chercheur : l'éthique personnelle, le goût du travail, la capacité d'abstraction mais aussi de prise avec le réel, la pédagogie, le sens des responsabilités collectives et, plus généralement, le sens du service public, et je crois pouvoir faire usage de ces qualités au CSM.
La carrière universitaire m'a aussi permis d'appréhender le monde judiciaire, d'abord par l'étude théorique. Mon domaine d'expertise scientifique couvre le droit international privé et le droit du commerce international, avec une spécialisation plus marquée en droit des contrats internationaux et en contentieux international. Cette dimension internationaliste me permet de considérer le droit français et l'organisation judiciaire de notre pays avec un certain recul, non seulement d'un point de vue comparatiste, mais aussi en envisageant les interactions entre les systèmes normatifs, aussi bien dans une logique horizontale que dans une logique verticale. Bref, même si je ne saurais légitimement me décrire comme une spécialiste de la justice, mes recherches et mes activités d'enseignement m'ont conduite très tôt, parce qu'elles étaient et restent centrées sur le contentieux international, à analyser la fonction de juger.
Ma thèse de doctorat a d'ailleurs été consacrée au pouvoir d'injonction extraterritorial des juges pour le règlement des litiges privés internationaux. Elle m'a permis de prendre conscience de l'existence d'une véritable concurrence juridictionnelle en droit international, loin d'être anodine pour qui envisage les transformations de la justice française. Depuis lors, la fonction de juger constitue l'un des fils directeurs de mes travaux. J'ai réfléchi, enseigné et écrit sur des questions telles que l'office du juge, les modes alternatifs de règlement des différends, le dialogue des juges, le droit au recours effectif ou encore l'effectivité de la justice. Je dirige depuis treize ans une formation de master 2 intitulée « arbitrage et commerce international », dans laquelle le règlement des litiges internationaux occupe une place centrale. À l'heure actuelle encore, les deux principaux thèmes de recherche que je conduis, notamment dans le cadre des contrats de recherche dont j'assure la responsabilité, sont, d'une part, l'incidence des droits fondamentaux sur la fonction de juger et, d'autre part, le rôle social du juge dans la préservation de l'intérêt public. Les réflexions que j'ai menées et que je continue à mener dans le cadre de ces travaux pourraient contribuer au fonctionnement du CSM, en y apportant un regard qui est celui d'une civiliste et d'une internationaliste.
Mon parcours académique est moins classique si l'on envisage les responsabilités administratives - je préfère dire institutionnelles - qui l'ont accompagné. J'ai exercé de nombreux mandats électifs au sein des instances des deux universités auxquelles j'ai été affectée ; j'ai dirigé un centre de recherche, et présidé pendant plusieurs années la section disciplinaire de l'université de Bretagne Sud puis celle de l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, ce qui m'a donné un premier aperçu de ce que pourraient être les missions disciplinaires que j'aurais à exercer si j'intégrais le CSM.
Mais ce sont assurément mes fonctions de doyen de l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, fonctions que j'ai exercées de 2012 à 2017, qui ont le plus contribué à compléter ma formation académique en imposant l'acquisition de nouvelles compétences : c'est ainsi que j'ai appris à gérer ce qu'on appelle une composante d'un établissement public dans toutes ses dimensions - stratégique, financière, humaine, sans oublier les aspects de communication. J'ai appris à cette occasion à composer avec un personnel dont les statuts sont très divers et pour certains très particuliers : enseignants-chercheurs, enseignants, vacataires, agents administratifs, fonctionnaires, agents contractuels, etc. Je pense avoir acquis dans l'exercice de ces fonctions une certaine expérience de l'organisation et de la gestion des services et des administrations publics qui me sensibilisent à la situation des chefs de juridiction, des procureurs de la République et des procureurs généraux, et qui me semble donc pouvoir contribuer à l'exercice des missions de nomination exercées par le CSM.
C'est forte de cette expérience de doyen que j'ai été élue en 2014, et réélue en 2017, à la présidence de la conférence des doyens de droit et de science politique, fonction dont je retiendrai ici deux apports. D'abord, poursuivant le travail initié dans mes fonctions de doyen, j'ai entrepris d'accompagner l'ensemble des facultés de droit françaises et de coordonner leurs efforts pour leur permettre de s'adapter aux évolutions que l'enseignement supérieur a connues au cours de ces dernières années. C'est un véritable défi quotidien que de s'approprier ces changements, plus encore de les mettre en oeuvre dans des administrations dont la gestion est, il faut bien le dire, assez peu agile et où certains conservatismes sont, à tort, et parfois à raison, bien ancrés. Cette situation n'est pas propre à l'enseignement supérieur, je suis convaincue qu'elle caractérise aussi la justice, et j'espère très modestement que l'expérience que j'ai pu acquérir dans l'accompagnement du changement et que je renforce dans l'exercice des missions qui sont encore les miennes de responsable de la Law School de l'université Paris Saclay, université en construction, pourra être utile au CSM dans l'exercice non seulement de ses missions de nomination, mais aussi de ses missions transversales - et notamment d'information.
Ma fonction de présidente de la conférence des doyens m'a également conduite à me rapprocher du monde judiciaire. J'ai travaillé avec les directeurs successifs de l'École nationale de la magistrature sur le recrutement initial des magistrats, notamment sa démocratisation. Membre statutaire du Conseil national du droit, je travaille encore sur la féminisation de la magistrature, ainsi que sur la pacification des relations entre les magistrats et les avocats, au service d'une justice de meilleure qualité.
Même si je suis loin d'être une experte du statut de la magistrature, je suis ainsi sensibilisée à certains enjeux qui touchent le corps judiciaire. Je suis en outre prête à m'investir pleinement pour acquérir les connaissances et les compétences qui me manquent pour exercer au mieux les missions du CSM si j'y suis nommée.
J'espère que cette brève présentation vous aura convaincus, moins peut-être de ce que mes qualités professionnelles justifient ma nomination, que de ma capacité à oeuvrer à une mission collective en intégrant une équipe à laquelle j'apporterai une expérience, la mienne, qui ne pourra que s'enrichir de celle des autres membres. Je suis à présent prête à répondre à vos questions.