La première question est gentille pour un technicien du droit, plus sensible sur le plan politique. La situation du parquet, sorte de serpent de mer, n'est pas si problématique du point de vue du juriste. Je ne méconnais certes pas l'émotion provoquée, notamment chez les membres du parquet, par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui considère que les magistrats du parquet ne sont pas des magistrats au sens de l'article 5 paragraphe 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le projet de révision constitutionnelle renforce utilement les garanties d'indépendance par l'intervention du CSM sur les nominations comme en matière de déontologie, tout en préservant le lien entre l'exécutif et le parquet. Mais ce lien ne me choque pas, et le rompre ne réglerait pas même tous les problèmes, car la Cour critique également le fait que le ministère public soit une partie poursuivante - ce qui ferait obstacle à la reconnaissance de l'indépendance et de l'impartialité des magistrats.
Il y a d'autres enjeux que les enjeux proprement juridiques, à commencer par le ressenti des magistrats du parquet sur ce manque supposé d'indépendance, dont s'est ému hier encore le procureur général François Molins lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation. Et si le corps lui-même ressent cette suspicion comme une difficulté, que doit en penser le justiciable ? À cet égard, je doute que la révision constitutionnelle change grand-chose. Le problème est ici davantage symbolique que technique. Les modalités de fonctionnement du CSM - avis simple, avis conforme, proposition... - restent complexes à comprendre pour nos concitoyens, et je doute que des réformes techniques seules y remédient.
Je suis favorable à l'ouverture du recrutement des magistrats, pour de nombreuses raisons. D'abord car la confiance dans la justice implique la proximité, qui passe par la proximité physique du tribunal sans doute, mais aussi par la possibilité pour les non-magistrats de le devenir un jour, dans un jury de cour d'assises par exemple, mais pas seulement. Cela apporte en outre de la maturité dans le corps des auditeurs de justice, souvent très jeunes, et l'expérience d'une vie professionnelle antérieure. Pour préserver le niveau de qualification juridique, il faut veiller aux procédures de recrutement. Le CSM pourrait d'ailleurs jouer un rôle dans le contrôle et le suivi de ces procédures - et pour tout vous dire, en me penchant sur ses fonctions, je me suis étonnée qu'il intervienne si peu en la matière.