Intervention de Jean Cabannes

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 janvier 2019 à 14h35
Audition de M. Jean Cabannes candidat proposé par le président du sénat aux fonctions de membre du conseil supérieur de la magistrature

Jean Cabannes, candidat proposé par le Président du Sénat aux fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature :

Je voudrais commencer mon propos, en vous disant que c'est un grand honneur pour moi d'être entendu aujourd'hui par votre commission. Je souhaite aussi exprimer ma reconnaissance au Président du Sénat pour avoir proposé mon nom parmi les deux personnalités qu'il envisage de nommer au Conseil supérieur de la magistrature.

Pendant de longues années, j'ai eu le privilège d'être assis aux côtés d'un président de commission permanente en tant que responsable de service, mais je ne mesurais pas à quel point il était intimidant et impressionnant de se retrouver de l'autre côté...

Je me propose de vous présenter tout d'abord mon parcours personnel, puis de vous dire comment je perçois les fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature.

En ce qui concerne mon parcours personnel, je dirais, en souriant, que ma formation a été d'emblée marquée par la séparation des pouvoirs, puisque, né dans une famille de juristes et de magistrats, je me suis orienté vers le pouvoir législatif, en intégrant l'administration parlementaire.

Cela étant, ma formation juridique est classique. Après un diplôme d'études approfondies de droit social, j'ai privilégié le droit public. J'ai rédigé une thèse de doctorat d'État sur le personnel gouvernemental sous la Ve République sous la direction de Pierre Pactet, auprès duquel j'ai également assuré, durant une dizaine d'années, des fonctions d'enseignement de droit constitutionnel parallèlement à mes fonctions d'administrateur.

En effet, après l'obtention du diplôme de l'Institut d'études politiques de Paris, j'ai intégré l'administration sénatoriale le 1er avril 1978. Ma carrière administrative s'est ensuite déroulée au Palais du Luxembourg conformément à nos règles de mobilité interne.

J'ai notamment assuré des fonctions d'administrateur à la direction des systèmes d'information et à celle des ressources humaines. Je suis donc sensibilisé depuis longtemps à deux sujets - les nouvelles technologies et la gestion des ressources humaines -, qui me semblent aujourd'hui essentiels au bon fonctionnement de la justice dans notre pays, quel que soit son manque de moyens.

J'ai effectué une grande partie de ma carrière au service des commissions. J'ai d'ailleurs souvenir d'avoir collaboré ponctuellement avec la commission des lois, par exemple sur le projet de loi relatif à l'organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon et des établissements publics de coopération intercommunale dite « PML » de 1982, mais j'ai surtout, durant deux fois huit ans, travaillé avec un très grand intérêt, et pour tout dire un brin de passion, à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

J'y ai d'abord été administrateur. J'ai ainsi contribué à l'examen des projets de lois de programmation militaire, qui étaient alors une spécificité de la défense. Je me réjouis d'ailleurs que cette catégorie de loi soit désormais étendue à la justice, car la mise en oeuvre des lois de programmation montre que, si elles ne sont pas toujours intégralement appliquées, elles tendent toujours à tirer vers le haut les budgets des ministères concernés. Elles permettent notamment d'inscrire dans la durée des programmes budgétaires pluriannuels, notamment en matière d'investissement. Pour en revenir à mon parcours, j'ai également été chef du service de la même commission des affaire étrangères, de la défense et des forces armées de 1992 à 2000, notamment auprès des regrettés présidents Jean Lecanuet et Xavier de Villepin.

J'ai ensuite été nommé directeur par le Bureau du Sénat à la fin de l'année 1999 et, depuis, j'ai occupé quatre fonctions successives.

J'ai d'abord été directeur du service de l'informatique pendant cinq annnées. Durant cette période, nous avons notamment mis en place l'application AMELI, que vous connaissez, puisque vous l'utilisez pour le dépôt en ligne de vos amendements. Nous avons aussi développé - j'en suis assez fier - le site Internet du Sénat, à une époque où cela n'était pas partout le cas, et nous en avons fait l'un des sites publics les plus consultés et les plus appréciés.

J'ai ensuite occupé, durant trois ans, les très denses et très intéressantes fonctions de directeur de cabinet du Président du Sénat. Cette période a notamment été marquée par la préparation, l'examen, puis l'adoption - à une voix de majorité au Congrès... - de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

J'ai ensuite pu suivre, de 2008 à 2011, de l'autre côté de la barrière administrative, la mise en oeuvre de cette réforme au Sénat, en tant que directeur du service du secrétariat général de la présidence.

Enfin, durant ces dernières années, j'ai exercé les fonctions de directeur en charge du Bureau, du protocole et des relations internationales qui résultait d'un regroupement de services.

J'évoquerai plus particulièrement deux missions que j'ai exercées dans la dernière décennie et qui me paraissent importantes au regard des fonctions juridiques auxquelles je suis aujourd'hui candidat.

Il s'agit tout d'abord du secrétariat de la délégation du Bureau en charge du statut du sénateur, qui instruit, en liaison avec le Président du Sénat, l'ensemble des questions, de plus en plus strictes, relatives aux incompatibilités et aux obligations déclaratives des sénateurs.

Il s'agit ensuite du secrétariat du comité de déontologie, que j'ai assumé à la demande du Président Larcher dès sa création en 2009, et sous l'autorité de quatre présidents successifs qui furent d'ailleurs tous membres de la commission des lois - je citerai notamment Robert Badinter et François Pillet. Je les remercie pour leur confiance constante.

Je me suis donc spécialisé progressivement sur les questions de déontologie, qui figurent, à côté de celles liées aux nominations et à la discipline, parmi les compétences essentielles du Conseil supérieur de la magistrature. En effet, le CSM est notamment chargé de l'élaboration du recueil des obligations déontologiques des magistrats et il a développé en son sein, proprio motu, le service d'aide et de veille déontologique, qui est à la disposition des magistrats.

À la lumière de cet itinéraire, je voudrais essayer de vous dire, en quelques minutes, comment j'appréhende le rôle et le fonctionnement du CSM.

C'est tout d'abord un organe constitutionnel important, puisqu'il contribue à l'indépendance de l'autorité judiciaire et qu'il représente de ce fait une garantie de l'État de droit dans notre pays. Il est le fruit d'une longue histoire, encore inachevée, et je reprendrai volontiers l'expression, connue et bienvenue, de Jean Gicquel, pour lequel il est une création continue de la République depuis 1883 et la loi d'organisation judiciaire - les lois constitutionnelles de 1875 ne disaient rien sur la justice. La IVe République en a fait un organe constitutionnel, même s'il n'a pas vraiment exercé toutes les missions qui lui étaient alors dévolues, et la Ve République en a progressivement accru les prérogatives sur la base des articles 64 et 65 de la Constitution, plusieurs fois modifiés, notamment à l'occasion des révisions constitutionnelles de 1993 et de 2008.

Les missions principales du CSM concernent d'abord les nominations et la discipline. Il est par ailleurs chargé de répondre aux demandes d'avis formulées par le Président de la République et le garde des Sceaux, mais l'essentiel de son travail touche bien aux nominations et à la discipline.

À ce stade, je formulerai deux observations sur les compétences du CSM.

S'il advenait - le choix vous appartiendra le moment venu - que les dispositions de l'actuel projet de loi constitutionnelle relative à la nomination et à la discipline des magistrats du parquet venaient à être adoptées, elles contribueraient, me semble-t-il, à mettre le droit en accord avec la pratique, puisque depuis une dizaine d'années les gardes des Sceaux successifs n'ont passé outre à aucun avis défavorable du CSM. Ces dispositions viendraient aussi conforter l'unité de corps des magistrats, en alignant pour l'essentiel la situation des magistrats du parquet sur celle des magistrats du siège en matière de nomination comme de discipline. Elles permettraient enfin de répondre, au moins partiellement, aux décisions successives de la Cour européenne des droits de l'homme et au débat récurrent sur l'indépendance des magistrats du parquet en France.

Ma seconde observation porte sur les résultats, apparemment modestes, de la disposition introduite en 2008 permettant la saisine directe du CSM par un justiciable. C'est un sujet qui revient fréquemment dans les débats et que le Président de la République a évoqué il y a un an devant la Cour de cassation. Sur le plan des principes, cette réforme est tout à fait bienvenue, puisqu'elle permet de faire sanctionner un comportement susceptible de recevoir une qualification disciplinaire, mais c'est aussi à juste titre que le législateur organique a encadré ce principe pour éviter que cette nouvelle procédure ne devienne, en quelque sorte, une nouvelle voie de recours pour un justiciable déçu. De ce fait, on ne peut donc pas être trop surpris ni déçu que, sur l'ensemble des plaintes - entre 250 et 300 sont déposées chaque année -, la plupart, pour tout dire la quasi-totalité, est déclarée irrecevable ou infondée. À la réflexion, il me semble que les chefs de cour sont sans doute les mieux placés pour saisir le CSM sur le plan disciplinaire de manière fondée et en fonction du comportement effectif du magistrat en cause.

Dans le cadre général des missions du CSM, il est clair que sa compétence centrale, son « coeur de métier », concerne la nomination des magistrats. En effet, il intervient systématiquement pour tout changement de fonction d'un magistrat. Il s'agit d'une mission lourde, en particulier pour les personnalités dites qualifiées, puisqu'elles participent à chacune des formations du Conseil supérieur de magistrature.

C'est un système différencié, puisqu'il débouche, selon les cas, sur une proposition du CSM lui-même - c'est le cas pour les principaux postes de magistrats du siège -, sur un avis conforme, ou non, pour les autres magistrats du siège et sur un avis simple, favorable ou défavorable, pour les magistrats du parquet. Au travers des avis non conformes ou défavorables, le CSM dispose en réalité d'un droit de veto de fait ou de droit et ce droit de veto n'est pas une vue de l'esprit, même s'il est utilisé de manière parcimonieuse - il y a une vingtaine d'avis défavorables ou non conformes chaque année.

Pour influer sur les nominations, le CSM dispose d'autres instruments, qui se situent dans un registre différent dans les relations qu'il entretient avec la chancellerie. Je pense notamment à la pratique de la recommandation, qui permet de souligner les mérites particuliers d'un magistrat non retenu, et à la pratique du signalement, qui permet de souligner la situation personnelle difficile d'un magistrat.

Le CSM doit prendre ses décisions en toute objectivité et indépendance, ce qui signifie qu'il doit mettre de côté les influences de toute sorte qui peuvent éventuellement se manifester, qu'elles soient de nature politique, médiatique, personnelle, professionnelle, syndicale ou autre.

Le Conseil doit en outre prendre en considération de multiples facteurs. J'en citerai simplement deux.

Tout d'abord, la parité : le corps des magistrats est très fortement féminisé - il suffit de regarder les promotions récentes de l'École nationale de la magistrature -, mais il l'est beaucoup plus à la base de la hiérarchie judiciaire qu'à son sommet. Même si des progrès ont récemment été réalisés en ce domaine - par exemple, les postes de premier président et de procureur général près la cour d'appel de Paris sont aujourd'hui occupés par des femmes, globalement la hiérarchie judiciaire reste très fortement masculine.

Ensuite, les questions géographiques ont souvent une importance pratique majeure dans les mouvements ou les perspectives de carrière des magistrats. En regardant dans vos archives, j'ai retenu à cet égard la réflexion faite par un ancien garde des Sceaux devant votre commission : il estimait que la principale qualité d'un membre du CSM est la connaissance de la géographie ! Je m'efforcerai donc de faire les progrès nécessaires en la matière...

Je me réfèrerai aussi de manière plus générale l'observation de votre ancien et regretté collègue Pierre Fauchon qui, lorsqu'il avait été entendu par votre commission avant de rejoindre le CSM, avait cité La Bruyère, en soulignant que la principale qualité d'un magistrat est le discernement, ce qui est en effet, au bout du compte, la meilleure garantie d'un bon fonctionnement de la justice.

Le travail, délicat, du CSM en matière de nomination a été accru au cours des dernières années par un phénomène de très forte mobilité des magistrats. Votre commission a parfaitement analysé ce phénomène dans différents rapports. Je crois qu'il sera important que le CSM, dans sa prochaine mandature, trouve le meilleur équilibre possible entre la nécessaire mobilité des magistrats et ce que le CSM lui-même n'a pas hésité à qualifier dans l'un de ses rapports d'activité de risque de nomadisme judiciaire.

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