Intervention de Jean Cabannes

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 janvier 2019 à 14h35
Audition de M. Jean Cabannes candidat proposé par le président du sénat aux fonctions de membre du conseil supérieur de la magistrature

Jean Cabannes, candidat proposé par le Président du Sénat aux fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature :

Tout d'abord, je vous remercie, monsieur le président, de vos propos introductifs.

La discipline et la déontologie me semblent constituer les deux versants du même sujet.

La discipline est toujours un sujet extrêmement délicat quand on parle de magistrats. Cette compétence historique du CSM - il a été créé pour cela à la fin du XIXe siècle - a été très fortement rénovée au cours de la dernière période. Ainsi, son mode de saisine a été élargi : à l'origine, seul le garde des Sceaux pouvait le saisir ; depuis 2002, les chefs de cour et de juridiction peuvent le faire, ce qui me paraît absolument essentiel ; depuis 2008 et la révision constitutionnelle, les justiciables le peuvent également, avec le résultat contrasté que j'évoquais tout à l'heure. Ainsi, le nombre des saisines s'est considérablement accru ; celui des sanctions disciplinaires n'a pas évolué de manière spectaculaire, mais il a tout de même évolué.

Il faut également souligner la remarquable transparence dont fait preuve le Conseil supérieur de la magistrature à ce sujet : non seulement toutes ses audiences sont publiques, mais il a aussi publié la totalité de ses décisions depuis le début de la Ve République.

Mais il me semble que l'évolution majeure dans ce domaine réside dans l'émergence des questions de déontologie et leur prégnance de plus en plus importante.

Il s'agit d'une tendance générale de la société et d'une exigence qui va bien au-delà du cas particulier des magistrats, mais cette exigence est sans doute encore plus légitime à l'égard de magistrats dont la société est fondée à attendre qu'ils soient exemplaires. Un certain nombre de décisions ont déjà été prises. À l'initiative du législateur, le CSM a publié un recueil des obligations déontologiques des magistrats : il est d'ailleurs intéressant de noter qu'il s'agit d'un guide, et non d'un code de déontologie, ce qui prouve à la fois la délicatesse du sujet et la prudence du CSM en la matière. Le CSM a élaboré un premier recueil en 2010, et est en train de finaliser une version actualisée qui devrait être publiée prochainement. Le CSM a aussi pris l'initiative de créer un service d'aide et de veille déontologique, qui fonctionne, d'après ce que l'on m'a expliqué, de manière extrêmement simple, c'est-à-dire par voie téléphonique ou par réponse à des e-mails. D'anciens membres du CSM sont ainsi à l'écoute des magistrats qui ont besoin d'un conseil en matière déontologique, de manière, en quelque sorte, préventive et pédagogique, afin de les aider à éviter des erreurs ou des faux pas. Ce service d'aide et de veille déontologique est complémentaire avec le collège de déontologie qui a été créé par la loi en 2016. L'écoute, les conseils et l'accompagnement me paraissent être la meilleure approche des questions disciplinaires. Il convient en effet de développer la prévention et la pédagogie si l'on veut réduire en amont les problèmes disciplinaires et donc limiter les sanctions en aval. C'est grâce à la pédagogie que l'on pourra faire évoluer les mentalités et les pratiques sur le plan éthique et moral. Enfin, il faut aussi souligner un élément statistique : sur dix recours disciplinaires concernant des magistrats, huit concernent des hommes ; or, si l'on regarde les dernières promotions de l'École nationale de la magistrature (ENM), huit magistrats sur dix sont des femmes. Il y a là peut-être un facteur de tarissement de la procédure disciplinaire à terme...

J'en viens à la mobilité des magistrats. Étudier les dossiers pour procéder aux nominations les plus adaptées représente une très grande part du travail d'un membre du CSM. C'est le coeur du métier de cette institution. Les phénomènes de mobilité ont pris une ampleur considérable ces dernières années, comme l'ont relevé la commission des lois ou le CSM dans son rapport d'activité de 2017. Cette année-là, on a compté 2 900 nominations pour environ 8 500 magistrats en activité, ce qui signifie qu'un tiers des magistrats ont changé d'affectation en un an, ce qui est considérable. La première raison est due aux vacances de postes. Ce problème est en train de se résoudre progressivement : on en comptait environ 600, il y a trois ou quatre ans ; il y en a encore plus de 250 aujourd'hui. Cela constitue un élément de désorganisation des juridictions. Un autre facteur est plus structurel : il s'agit des règles de gestion de la magistrature, qui font de la mobilité une condition, dans certains cas, de l'avancement. Il faut aussi évoquer les choix de carrière des magistrats qui peuvent souhaiter pour des raisons personnelles ou familiales poursuivre leur carrière dans une région donnée.

Cette forte mobilité des magistrats entraîne des changements très nombreux dans les cours, qui peuvent s'avérer particulièrement gênants dans les petits tribunaux. Cela peut nuire au suivi des dossiers, à la célérité des décisions et peut-être même à la qualité des décisions de justice. Je crois que cela sera l'un des sujets prioritaires de la prochaine mandature du CSM. Votre commission a fait des propositions, notamment l'établissement de durées minimales et maximales d'exercice des fonctions. Le CSM a aussi fait des propositions. Il conviendra de trouver le bon équilibre pour garantir la mobilité, qui est nécessaire, tout en évitant le nomadisme judiciaire.

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