Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où bon nombre de nos concitoyens occupent les routes et les ronds-points pour dénoncer un ras-le-bol général, une préoccupation revient régulièrement dans les débats : l’abaissement de la vitesse maximale autorisée sur les routes secondaires de 90 à 80 kilomètres par heure. Cette mesure, entrée en vigueur le 1er juillet dernier, a suscité la colère de nos élus et de nos concitoyens dans beaucoup de territoires.
C’est un fait que les excès de vitesse les plus faibles sont les plus nombreux, et cela ne concerne pas uniquement la vitesse sur les routes secondaires. Aussi, lorsqu’ils sont flashés pour deux ou trois kilomètres par heure en trop, sommés de régler une amende et de perdre un point sur leur permis, beaucoup de nos concitoyens le vivent comme une injustice.
Estimant que cette réduction de vitesse contribuera à faire « exploser » les amendes pour excès de vitesse inférieurs à 10 kilomètres par heure, les auteurs de la présente proposition de loi justifient dès lors de réduire le délai de récupération de points pour les petits excès de vitesse, en le faisant passer de six mois actuellement à trois mois, en l’absence de nouvelle infraction durant ce laps de temps. En outre, ceux-ci s’interrogent sur l’intérêt pédagogique du permis à points pour motiver ces aménagements. Je propose plutôt de nous interroger sur la portée de ce texte et sur sa réelle motivation.
Sacrifier la sécurité routière au pouvoir d’achat n’est pas une bonne solution. Or modifier la procédure de récupération de points du permis de conduire va clairement à l’encontre de la politique de sécurité routière menée ces dernières années. Celle-ci a pourtant largement porté ses fruits depuis les années soixante-dix et, plus récemment, ces deux dernières années, au cours desquelles on a enregistré une forte baisse de la mortalité sur les routes.
Faire passer le délai de récupération de points à trois mois pourrait aisément inciter les conducteurs à relâcher leur vigilance et à ne plus se soucier de commettre un excès de vitesse, puisque le désagrément ne serait finalement que très bref. Mes chers collègues, souvenez-vous que, avant 2011, il fallait attendre un an avant de récupérer le point perdu. Le passage de ce délai à six mois a été adopté contre l’avis du gouvernement et du ministre de l’intérieur de l’époque, Brice Hortefeux. Assouplir de nouveau ces règles à l’excès conforterait effectivement les mauvaises habitudes de conduite, même si elles ne concernent qu’une minorité de conducteurs.
Les auteurs de la proposition de loi stigmatisent en outre l’intérêt des stages de récupération de points, assimilés à une politique de sécurité routière répressive, et affirment que les points perdus ne sont jamais récupérés, sauf à effectuer – et donc à payer – un tel stage. Cela est faux. Certes, ces stages ont un coût financier et présentiel – c’est indéniable –, mais leur utilité en termes de prévention et de rétribution ne saurait être niée : quatre points en deux jours, tout de même ! Sans compter que cette récupération est automatique.
Par ailleurs, le stage ne constitue pas la seule possibilité pour récupérer ses points. Il suffit d’attendre tout simplement la fin du délai de récupération sans commettre de nouvelle infraction, ce qui encourage de facto les bons comportements sur les routes.
Plus qu’un réel souci pour le pouvoir d’achat des Français, ce qui semble avoir motivé les auteurs de ce texte reste la dénonciation de la réduction de la vitesse à 80 kilomètres par heure. Ici, au Sénat, cette décision avait, il est vrai, suscité beaucoup d’oppositions. Nous qui sommes pour la plupart élus de territoires ruraux, nous savons que cette mesure avait renforcé le sentiment de déclassement de nos concitoyens qui n’ont pas d’autre choix que d’emprunter ces routes secondaires.
Ce désaccord s’est traduit par la création au mois de janvier 2018 d’un groupe de travail sénatorial sur la sécurité routière, sur l’initiative de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des lois. Plutôt que d’appliquer la réduction de vitesse de manière uniforme, ce groupe de travail a proposé que cette décision soit décentralisée au niveau des départements, afin de l’adapter aux situations locales et aux réalités des territoires. Cette conclusion convient à la plupart des maires et des élus.
Je me félicite bien sûr que, à la suite du mouvement des « gilets jaunes », le Président de la République lui-même ait fait des annonces qui vont dans le même sens. En concertation avec les maires et les collectivités locales, l’application de cette mesure de réduction de la vitesse pourrait ne pas être généralisée, mais étudiée au cas par cas. Cependant, comme l’a dit mon collègue Michel Raison, il est vraiment dommage que les conclusions du groupe de travail sénatorial n’aient pas été entendues plus tôt par le Gouvernement.