Merci, monsieur le président, de votre invitation. Jean Jouzel l'a dit : il y a urgence. Jean-Pierre Raffarin, en 2003, avait déjà engagé la France sur la voie du facteur 4, voté à l'unanimité au Parlement. Nous étions alors tous d'accord pour diminuer par quatre nos émissions de CO2 à horizon 2050. L'objectif consensuel est de diminuer nos émissions de 3 % chaque année, régulièrement, afin de rester sur la bonne voie, et non d'attendre un sursaut à l'approche de la date fatidique de 2050. La Cour des comptes européenne a publié un rapport assez amusant, quoique au vitriol, dans lequel elle se dit lassée des scénarios qui se terminent toujours bien en 2050 grâce au miracle survenu en 2048 ! Si nous dépassons les 2 degrés, compte tenu des cercles vicieux qui se mettent en place - fonte des glaces, donc diminution de la surface blanche renvoyant la chaleur, donc décongélation du pergélisol dégageant du méthane, etc. -, il sera très compliqué d'arrêter le processus, nous disent les scientifiques : nous serons déjà au milieu du toboggan !
L'objectif de réduction de nos émissions de 3 % par an est-il tenu ? Non, selon le dernier bilan, elles ont même augmenté de 3,2 %. C'est catastrophique ! Certains pensent que nous allons un peu trop lentement dans le bon sens ; ils se trompent, même si plein de choses bougent, notamment sur les territoires, car nous allons en réalité dans le mauvais sens ! Et c'est ainsi dans toute l'Europe. Et tout le monde s'en fiche, la routine continue, chaque catastrophe climatique faisant couler quelques larmes de crocodile. C'est aussi pour cette raison que Nicolas Hulot a démissionné !
Avant de vous montrer, comme économiste, comment financer un vrai plan Marshall pour gagner la bataille, en s'appuyant sur ce que disent la Cour des comptes et d'autres experts, voyons ce que nous coûte notre inaction. Les calculs des sociétés d'assurance, qui se réassurent elles-mêmes pour ne pas faire faillite en cas de catastrophe - inondations, feux de forêt, etc. - permettent de l'illustrer : le nombre d'événements climatiques extrêmes qui ont des conséquences financières a été multiplié par 2,5 en 30 ans. La photographie est assez nette, même si elle reste floue sur la souffrance des femmes et des hommes des pays du Sud, qui sont très mal assurés, et même si le climat n'est pas seul en cause - il faudrait certes aussi moins construire en zone dangereuse. Le coeur du problème reste le nombre d'événements climatiques extrêmes, dont le nombre et la gravité augmentent.
Jean Jouzel a raison : ce ne sont pas d'abord les générations futures mais nos propres enfants qui sont concernés. Il y a deux ans, les inondations survenues en Île-de-France étaient amusantes pour les Parisiens, qui regardaient la Seine sortir de son lit, mais terribles pour les producteurs de blé français et belges, dont la récolte a baissé de 31 % cette année-là. Heureusement que l'Ukraine, deuxième grenier à blé de l'Europe, a connu de très bonnes récoltes, car si elle avait subi les mêmes pertes, nous aurions des tickets de rationnement ! À l'heure d'internet, nous avons tendance à croire que tout vient en un clic, mais il faut bien voir que notre stock de céréales est inférieur au tiers de notre consommation annuelle. Aux parlementaires aussi de veiller à notre sécurité alimentaire...
C'est dans les pays du Sud que les enjeux sont les plus importants. Je reviens d'ailleurs de Bamako, où j'en ai pris plein la tête... Là-bas, ils parlent du sida climatique, alors que le vrai sida, qui fait des milliers de morts, ils savent ce que c'est ! L'ONU nous annonce 150 millions de réfugiés climatiques dans les 30 ans qui viennent, dont 90 millions qui devront quitter l'Afrique pour survivre. Ce n'est pas un hasard si le GIEC a reçu le prix Nobel de la paix : c'est en effet assez rapidement la paix mondiale qui sera en jeu. Comment l'Europe accueillera-t-elle ces 90 millions de réfugiés climatiques de façon fraternelle, intelligente, démocratique et non violente ?
Repérons pour commencer la source des émissions de CO2. En France, le transport est le premier secteur émetteur : nous avons beaucoup trop de camions sur les routes, notre alimentation parcourt trop de kilomètres avant d'arriver dans l'assiette, nous utilisons trop la voiture et nos voitures, trop lourdes, consomment trop. Vient ensuite l'industrie, puis l'agriculture et l'habitat - Nicolas Hulot voulait ainsi mobiliser 7 milliards d'euros chaque année pour isoler les bâtiments, en commençant par les plus précaires, ce qui devait favoriser l'emploi dans nos villages. Nous connaissons également les cercles vicieux à l'oeuvre. À présent, il est temps d'y aller, n'ayons pas peur du chantier ! Lorsque les parlementaires ont voté l'école pour tous, d'aucuns y ont vu une folie ou estimé que nous n'en avions pas les moyens. En vingt ans pourtant, dans un pays beaucoup moins riche qu'aujourd'hui, tous les villages de France ont été dotés d'une école de filles, d'une école de garçons et d'une maison des maîtres. Quand Kennedy annonce un voyage sur la Lune, certains le croient dingue ; le projet est pourtant concrétisé sept ans plus tard, créant 400 000 emplois et des retombées technologiques bénéfiques au pays tout entier !
Si l'on prend le taureau par les cornes, nous créerons des emplois massivement sur tout le territoire. L'Association des maires ruraux de France (AMRF) et l'Association des petites villes de France (APVF) nous soutiennent d'ailleurs activement car, s'ils voient bien les problèmes de canicule, de sécheresse et d'accès à l'eau, ils voient aussi les perspectives de création d'emplois ouvertes par l'isolation des bâtiments et l'espoir de repeuplement que fait naître le travail à distance, qui n'exige pas de prendre sa voiture... L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) nous soutient également, qui juge notre projet solide et estime que nous pourrions créer 800 000 emplois ; dans un pays qui compte 4 millions de chômeurs et dans lequel la croissance ralentit, c'est plutôt une bonne nouvelle !
Le nerf de la guerre est en effet l'argent. Une partie de la solution est à rechercher au niveau européen. En Allemagne, le gouvernement se déchire sur les réseaux sociaux : Peter Altmaier, qui doit défendre un projet de loi sur l'efficacité énergétique en février mais ne sait pas encore comment le financer, a envisagé d'en réduire les ambitions ; la ministre de l'environnement l'a exhorté sur Twitter à ne pas baisser les bras ! La Fédération allemande de l'industrie, coeur du patronat allemand, a remis un rapport à Angela Merkel estimant que nous n'avions pas d'autre choix que de réussir la transition écologique, qui peut être une opportunité de créer des emplois, innover et prendre le leadership dans certains secteurs. Cela exigerait, toujours selon le patronat allemand, 50 milliards d'euros chaque année, 1 500 milliards sur 30 ans. La chancelière ne sait pas où les trouver... Aux Pays-Bas, même scénario : alors que l'État a été condamné par la justice pour son inaction, le Premier ministre Mark Rutte a avoué ne pas savoir comment financer l'isolation des bâtiments ou la construction de nouvelles digues. La Cour des comptes européenne estime à 1 115 milliards d'euros les besoins de financement annuels dès 2021. Ce chiffre est intéressant car il condamne deux utopies : celle qui compte sur des financements entièrement publics et celle qui compte sur des financements entièrement privés. Il nous faut des financements mixtes, et inventer de nouveaux outils.
Souvenez-vous que, pour sauver les banques, en 2008, la Banque centrale européenne (BCE) a mis 1 000 milliards d'euros sur la table en quelques jours, et la Réserve fédérale américaine 2 000 milliards - et heureusement qu'elles l'ont fait. À l'époque, Michel Rocard, Jean Jouzel et moi-même disions qu'il fallait faire pareil pour sauver le climat et créer des emplois. Certains nos soutenaient, d'autres disaient que la BCE ne l'accepterait jamais. En 2014, un tabou a été brisé lorsque la BCE a décidé de mettre à nouveau sur la table 1 000 milliards d'euros au moyen de ce que l'on a appelé le quantitative easing - c'est le mot chic pour désigner la planche à billets de notre enfance, ce qu'ignorent même de hauts responsables à Matignon à qui, semble-t-il, nous l'avons appris... En plus du quantitative easing, la BCE conduit parfois des targeted long term refinancing operations : le quotidien Les Échos, en mars 2017, nous informait qu'en une seule journée, la BCE avait ainsi créé et prêté aux banques 233 milliards d'euros à taux négatif ! Vous êtes, j'imagine, quelques-uns à passer des nuits blanches chaque année à déplacer quelques millions d'euros pour équilibrer votre budget local, et voilà que, sans aucun débat démocratique, la BCE octroie 233 milliards d'euros aux banques !
Nous pouvons démontrer, grâce à des agents de la BCE et de la Banque européenne d'investissement (BEI) qui n'ont pas le droit d'apparaître dans le débat public mais qui nous aident à y voir plus clair, qu'au total 2 600 milliards ont été créés par la BCE depuis avril 2015. Où est allé cet argent ? D'après les statistiques, 11 % sont allés vers l'économie réelle, via des prêts aux ménages et aux collectivités ; les 89 % restants sont allés aux marchés financiers. La dernière fois qu'une crise financière est survenue, le Dow Jones était à 14 000 points ; il est à présent à 26 000 points ! Tandis que Donald Trump exulte, le Fonds monétaire international (FMI) et sa présidente Christine Lagarde sonnent l'alerte tous les mois, craignant une crise plus grave, plus rapide, plus générale qu'en 2008. Les Échos ont repris une phrase du dernier rapport du FMI indiquant qu'une nouvelle crise pourrait provoquer dix fois plus de dégâts qu'il y a dix ans. Sommes-nous des homo sapiens sapiens ou des homo debilus debilus ? Voilà trente ans que le GIEC nous alerte, l'Ademe souligne le potentiel de création d'emplois dans les territoires, nous savons en lisant les journaux que les liquidités n'ont jamais été aussi abondantes, mais nous restons comme des lapins pris dans les phares d'une nouvelle crise mondiale, doublée par le chaos climatique !
Or, il n'est pas trop tard pour réagir. Angela Merkel et Emmanuel Macron, qui s'accordent pour prédire la fin de l'Europe à défaut d'une nouvelle vision, ont dit leur volonté de signer de nouveaux traités. Nous estimons que, née avec la mise en commun du charbon et de l'acier, l'Europe pourrait renaître avec un traité relatif au climat et à l'emploi. Le sommet du mois de décembre devait être le lieu des décisions historiques ; elles sont à présent repoussées au sommet de mars-avril...
Le traité que nous proposons contient deux outils. D'abord, la mise au service du bien commun et de la création d'emplois de la création monétaire. Il s'agit concrètement non de toucher à la BCE mais de créer une banque du climat, filiale de la Banque européenne d'investissement, chargée de financer les territoires des États membres à taux zéro, à hauteur de 2 % de leur PIB. Notre livre est postfacé par Philippe Maystadt, sorte de Raymond Barre belge, ancien ministre des finances qui a mis de l'ordre dans les comptes de la Belgique et ancien patron de la Banque européenne d'investissement. Le chiffre de 2 % vient des travaux de Lord Nicholas Stern, auteur du fameux rapport remis au Parlement britannique qui estime à ce niveau l'enveloppe à consacrer à la transition écologique en plus des mécanismes existants.
Pour la France, cela équivaut à 45 milliards d'euros. L'important est d'en garantir la pérennité, car ce qui tue toute action, dans le bâtiment par exemple, c'est l'instabilité : les aides publiques à la rénovation, modifiées tous les ans, concernent une année les portes, l'année suivante les fenêtres, etc. Pareil pour l'agriculture : alors qu'il n'y a plus aucun climato-sceptique parmi les agriculteurs, c'est de stabilité des aides que le secteur a besoin. Le président de la Fédération française du bâtiment, Jacques Chanut, ne dit pas autre chose, qui insiste sur le besoin de stabilité des financements pour garantir des recrutements. Garantir financements et stabilité : voilà l'objet du traité.
Les responsables de la BEI et du Bundestag que nous avons rencontrés nous ont dit que ce premier outil pouvait être mis en place en moins d'un an. Quand le mur de Berlin est tombé, il a suffi de six mois pour que Helmut Kohl et François Mitterrand mettent en place un outil nouveau pour financer la transition - elle n'était certes pas écologique, à l'époque -, qui a été la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).
Deuxième outil : un budget climat. Les prêts à taux zéro, c'est très bien, mais l'école n'a pas été rendue gratuite par des prêts à taux zéro aux parents d'élèves : on l'a déclarée gratuite une semaine avant de la rendre obligatoire. On ne peut certes pas tout rendre gratuit, mais pour accélérer la dynamique, un budget climat s'impose, comme il existe un budget éducation ou un budget défense. Un tel budget aurait trois grands volets : d'abord, un plan Marshall pour l'Afrique, à défaut de quoi le continent se disloquera. La plupart des Africains veulent élever leur niveau de vie, mais si cela signifie consommer davantage de fioul et de pétrole, nous sommes tous fichus. Les compétences existent en Afrique, dans la biomasse, le photovoltaïque ou l'éolien, ne manquent que les investissements. Voilà 18 mois qu'Angela Merkel a annoncé un tel plan Marshall pour l'Afrique, mais n'ont pas encore été trouvés 10 % des financements nécessaires... Nous proposons que l'Europe y pourvoie, ce qui suppose des relations financières renouvelées avec les pays d'Afrique.
Un deuxième volet de ce budget flécherait 10 milliards d'euros vers la recherche. L'Europe a consacré des milliards à Airbus, et ce fut un succès ; des milliards pour Ariane, et ce fut un succès ; des milliards pour chercher le boson de Higgs, et nous l'avons trouvé, après avoir inventé en chemin - on l'oublie souvent - internet et les écrans tactiles. L'Europe se donne-t-elle les moyens d'inventer dans quinze ans une voiture ou un ordinateur qui consomment moins ? Michel Spiro, ancien patron de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), nous soutient et estime que créer un vrai plan européen de recherche pour régler les questions climatiques aurait de l'allure... Troisième volet de ce budget climat : 50 milliards d'euros consacrés à l'aide aux travaux d'isolation, afin de diviser par deux toutes les factures qui s'y rapportent.
Emmanuel Macron disait à la Sorbonne vouloir une ambition pour l'Europe et un budget de plusieurs centaines de milliards d'euros. Nous répondons : chiche, c'est ce qu'il faut pour le climat ! Comment les trouver sans braquer des millions d'Européens ? La meilleure solution est celle que Jacques Delors a mise sur la table il y a trente ans, et que Mario Monti a reprise il y a deux ans : mettre fin à la concurrence fiscale. Depuis que le Royaume-Uni est entré dans l'Union européenne s'est engagée une course au plus faible impôt sur les bénéfices. Les bénéfices n'ont jamais été aussi élevés qu'aujourd'hui, mais chaque pays en abaisse le taux d'imposition pour doubler son voisin ! Le journal Ouest-France a montré que les États américains faisaient de même jusqu'à ce que Roosevelt ne crée en 1933 un impôt fédéral, dont le taux est resté stable, à 38 %, jusqu'à ce que Donald Trump le porte à 24 %... Le comble, c'est qu'il soit tombé à 19 % en Europe ! D'autant que le FMI nous alerte sur le fait que les bénéfices, loin d'être réinvestis, repartent vers les marchés financiers. Nous proposons, et Jean-Pierre Raffarin nous soutient, un impôt sur les bénéfices de 5 % en moyenne, ce qui serait une bonne chose sur le plan macroéconomique et permettrait de diviser par deux les factures des travaux d'isolation. Les gens feraient ainsi des économies, rembourseraient leur prêt à taux zéro sur dix ou quinze ans, et nous créerions entre 700 000 et 900 000 emplois sur les territoires !
(Mmes les sénatrices et MM. les sénateurs applaudissent.)