Intervention de Catherine Geindre

Commission des affaires sociales — Réunion du 23 janvier 2019 à 9h35
Audition de Mme Catherine Geindre présidente de la conférence des directeurs généraux de chu sur le rapport « le chu de demain »

Catherine Geindre, présidente de la conférence des directeurs généraux de CHU :

Je vous remercie pour votre invitation et pour l'intérêt que vous portez à notre rapport sur le CHU de demain.

Je suis accompagnée de trois des quatre vice-présidents de la conférence des directeurs généraux de CHU que je préside aujourd'hui. Permettez-moi de vous dire comment nous avons travaillé dans le cadre de la commande qui nous a été passée et les enseignements que nous en tirons, en écho aux deux rapports que la Cour des comptes vous a remis.

Les CHU viennent de fêter leurs 60 ans. C'est l'âge de la maturité et des bilans, mais c'est aussi l'opportunité de définir les priorités de demain. C'est le sens de la mission confiée conjointement aux six conférences du monde hospitalo-universitaire, à savoir la conférence des présidents d'universités, la conférence des directeurs généraux de CHU, la conférence des présidents de CME-CHU, les conférences des doyens de médecine, de pharmacie et d'odontologie, par la ministre de la solidarité et de la santé et la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

Cet exercice conjoint était totalement inédit : tout en tenant compte de sensibilités et des prismes différents, il nous a permis de partager le constat qu'il ne fallait pas remettre en cause le modèle des CHU, mais l'adapter. En effet, les ordonnances de 1958 ont posé les bases d'un hôpital universitaire qui a transformé la santé en France et fait rentrer la médecine française dans l'ère moderne. Ce modèle a incontestablement, en introduisant l'enseignement et la recherche dans l'enceinte de l'hôpital, permis d'améliorer considérablement le service rendu à la population en faisant évoluer la médecine française vers l'excellence. Les CHU demeurent aujourd'hui des lieux d'expertise et de référence, un creuset de formation, des locomotives de recherche et d'innovation, des animateurs de la coordination territoriale au sein de leur région d'attraction. Les CHU sont souvent les premiers employeurs de la région, les premiers acteurs économiques, les premiers offreurs de soins, parfois d'importants propriétaires immobiliers, et donc des acteurs incontournables de la vie de la cité et de la métropole.

Ce modèle a été suffisamment robuste pour absorber les évolutions majeures qui ont percuté le monde de la santé depuis plusieurs décennies et auxquelles les CHU n'ont pas échappé : ainsi en est-il des besoins de santé qui ont très fortement évolué depuis la guerre ; des évolutions, voire des révolutions technologiques et scientifiques qui ont profondément modifié les modes de prise en charge et augmenté les besoins de financements structurels dans un contexte macro-économique de plus en plus contraint ; des évolutions sociales et sociétales très profondes, qui font évoluer le niveau d'exigence et d'acceptabilité entre les contraintes des missions de service public, les aspirations à un équilibre entre vie personnelle et professionnelle, mais aussi les besoins et les attentes spécifiques des patients.

De nombreuses réformes sont venues modifier l'organisation de l'hôpital, son environnement, sa gouvernance, son financement, les relations territoriales, sans modifier ni le rôle de pivot du système de santé, ni les missions spécifiques qui sont confiées au CHU, sauf peut-être pour les étendre, sans toujours que les 55 grandes lois qui ont présidé à ces changements aient été marquées par la continuité et la cohérence

Ces évolutions ont nécessité une capacité d'adaptation majeure, avec un sentiment de pression toujours plus forte. Elles ont provoqué une crise de valeurs, d'identité, une forme de désenchantement des professionnels, illustrant ainsi la place de l'hôpital public en tant que miroir de la société, de ses richesses mais aussi de ses limites. Les valeurs qui le sous-tendent sont le reflet de celles qui fondent notre pacte social : humanisme, égalité, solidarité. Ces valeurs sont percutées par des contraintes de performance parfois incompatibles avec cet idéal.

Les CHU n'ont pas échappé à ces contradictions ni aux tensions qu'elles ont générées.

Le CHU constitue un modèle d'excellence qui a fait ses preuves, un lieu d'expertise, de savoir-faire, d'apprentissage, mais qui aujourd'hui présente des zones de fragilité qui ont été relevées dans les deux rapports de la Cour des Comptes. Ce modèle doit donc s'adapter pour maintenir cette exigence d'excellence en anticipant les enjeux de demain.

Les propositions du rapport sont construites autour de cinq axes thématiques, dont je vais maintenant développer les principales idées.

Le premier axe, indispensable pour faire évoluer favorablement le modèle, propose de renforcer le U du CHU en confortant les liens entre l'hôpital et l'enseignement supérieur. Il convient de favoriser les synergies, notamment par une représentation croisée des gouvernances entre les CHU et l'université pour garantir la cohérence stratégique hospitalo-universitaire.

Le deuxième axe, au coeur de la stratégie de transformation du système de santé, pose le principe d'une responsabilité territoriale conjointe entre le CHU et l'université. Le CHU doit être le pivot de son territoire, il doit continuer à investir sa mission de soins de proximité en lien avec les autres acteurs y compris le médico-social ; il doit assurer les soins de recours, développer l'innovation, diffuser les bonnes pratiques, participer avec l'université à l'organisation de la formation des professionnels sur le territoire, et s'inclure dans une organisation de la recherche en santé.

Loin d'être une fragilité, contrairement à ce que dit la Cour des comptes, cette coexistence de missions de soins de proximité et de recours, de formation et de recherche au lit du patient ou autour de plateaux techniques très innovants, tirent les CHU vers l'excellence tout en assurant dans les métropoles dans lesquelles ils sont implantés, de manière quasi-exclusive, la permanence des soins dans toutes les spécialités.

Les CHU devront être les moteurs d'une indispensable transformation systémique pour redonner du sens aux politiques publiques en organisant une réponse globale, incluant la prévention, à partir des besoins des patients, sur des logiques de parcours de santé autour de quatre niveaux de gradation.

Cette nécessaire compétence d'organisation territoriale des soins, soulignée par la Cour des comptes, nécessite une structuration en réseau des CHU, régionale ou inter-régionale, privilégiant la complémentarité, sur un mode résolument collaboratif, adapté aux spécificités des territoires et des régions concernés. Nous sommes tous les quatre des directeurs généraux avec une certaine expérience : nous estimons nécessaire une certaine liberté d'adaptation des territoires et des régimes.

Le troisième axe, celui des ressources humaines, propose de rénover l'exercice et les carrières en CHU pour répondre aux défis de l'attractivité, redonner confiance aux professionnels et développer une synergie des attentions en prenant soin des professionnels pour prendre soin des patients.

Le quatrième axe est consacré aux enjeux de la transformation des études de santé et promeut une responsabilité conjointe entre l'université et le CHU dans l'élaboration et la mise en oeuvre d'une politique territoriale de formation en intégrant de nouveaux besoins, de nouveaux outils, de nouveaux lieux et de nouveaux modes d'exercice.

Le cinquième axe affirme le rôle moteur des CHU et des universités dans le développement de l'innovation et de la recherche biomédicale mondiale. Il propose de réorganiser la recherche et de développer l'innovation à partir de stratégies partagées, tant au niveau de chaque site universitaire qu'au niveau inter-régional, sous l'égide d'une gouvernance nationale revisitée.

S'agissant enfin des problèmes de financement, nous partageons l'analyse de la Cour des comptes sur l'insuffisance d'autofinancement et la décroissance des investissements qui en découle au sein des CHU. Le rapport ne consacre pas un chapitre spécifique à cette question, mais il souligne la nécessité de financer à leur juste niveau les missions spécifiques des CHU et en particulier l'ultra recours et les prises en charge complexes, et il renouvèle la proposition faite il y a deux ans aux assises hospitalo-universitaires de Toulouse, de sanctuariser une enveloppe dédiée à la recherche et à l'innovation, financée par l'assurance maladie hors Ondam.

Voici donc quels sont les principaux constats et propositions que nous formulons conjointement. De cette expérience commune, nous conservons la fierté d'avoir démontré la capacité collective de nos conférences à poser les bases d'une stratégie commune pour le CHU de demain, la volonté partagée de poursuivre nos réflexions, et d'avoir amorcé ce travail ensemble qui ne doit être que le point de départ d'une démarche consolidée et approfondie, élargie dorénavant à d'autres acteurs conformément aux annonces faites par les deux ministres, lors de la remise de ce rapport à l'occasion des assises de Poitiers.

Je terminerai par cet aphorisme d'Henry Ford en 1934 : « Se réunir est un début, rester ensemble est un progrès, travailler ensemble est la réussite ».

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