Intervention de Jacques Bajon

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 23 janvier 2019 à 10:5
Audition conjointe sur le piratage des retransmissions sportives : M. Jacques Bajon directeur médias et contenus numériques du groupe de réflexion idate digiworld auteur du rapport piratage des médias un risque majeur pour le sport et le linéaire ? M. Carlos Eugénio secrétaire général de l'association portugaise mapinet directeur de l'association portugaise visapress M. Mathieu Moreuil directeur des affaires européennes de l'english premier league Mme Sophie Jordan directrice générale adjointe de bein sports france M. Didier Quillot directeur général exécutif de la ligue de football professionnel lfp et M. Denis Rapone président de la hadopi

Jacques Bajon, directeur médias et contenus numériques, Idate Digiworld :

Mon groupe a établi, l'an dernier, un rapport sur les enjeux du piratage audiovisuel, ses conséquences sur le live et en particulier sur le sport. Médiamétrie nous a fourni les chiffres les plus récents disponibles - jusqu'à septembre 2018. Le piratage du sport en France apparaît très important : 1,5 à 2 millions de pirates par mois, c'est-à-dire les personnes se livrant à un acte de piratage dans le mois. La tendance est globalement, dans l'audiovisuel, à la baisse, mais pas pour les programmes sportifs, au contraire. Ainsi en septembre dernier, lorsqu'a démarré RMC Sports en France, les nombreux problèmes techniques, donc le mauvais fonctionnement du service, ont favorisé un piratage supplémentaire. Un nouvel acteur - la démarche est légitime - accroît en outre la fragmentation de l'offre, propice au piratage puisque le budget d'abonnement augmente pour le consommateur qui voudrait avoir accès à toutes les retransmissions... On peut se demander si l'arrivée de MediaPro, avec l'achat des droits de la Ligue de football, ne risque pas de produire un effet similaire. Peut-être les acteurs pourraient-ils réfléchir ensemble à une offre cohérente pour les abonnés ?

Le football, dans le piratage audiovisuel des diffusions sportives, occupe une place particulière : les grands matchs, comme ceux du PSG actuellement, correspondent à des pics d'activité de piratage.

Notre inquiétude, lorsque nous avons entrepris ce rapport, était de voir le marché du piratage devenir un marché de masse. Au cours de la période récente, ces craintes sont nourries par les services Kody de piratage semi-professionnel proposant des offres de télévision. Le piratage n'est pas nouveau, le nombre des pirates est d'ailleurs passé de 14 à 12 millions de spectateurs, mais les facteurs d'inquiétude sont nombreux : la connectivité de plus en plus importante, les débits croissants et les terminaux de réception de plus en plus nombreux au sein des foyers, élargissent la consommation potentielle en streaming.

En outre, le développement des systèmes d'application, avec des environnements conviviaux, un confort d'utilisation nouveau créent parfois une zone grise : les consommateurs ne savent pas toujours s'ils sont sur un site pirate.

La diffusion en live augmente, en particulier avec les plateformes sociales, YouTube, Facebook, Twitch, Periscope, Instagram... Ce sont des vecteurs de diffusion des programmes sportifs.

La motivation des pirates ne réside pas uniquement dans le prix. D'autres facteurs s'y ajoutent, tels que la disponibilité du contenu sur un territoire donné, la fraîcheur du contenu (on refuse d'attendre six mois pour voir un film), ou encore, des environnements de consommation plus conviviaux sur Internet.

Le piratage traditionnel des cartes de télévision reste massif. Les représentants de beIN Sports m'ont indiqué que le piratage de l'intégralité de l'offre depuis l'Arabie Saoudite a des effets majeurs. La technologie du peer to peer est en recul, le téléchargement direct avec le phénomène de megaupload est en retrait ; le streaming s'est développé. Qui sont actuellement les acteurs, volontaires ou non, du piratage ? À côté des grands sites de référencement de liens, comme Rojadirecta, qui a fait l'actualité récemment s'agissant du football, ou LiveTV également un gros site d'hébergement de liens de sites de streaming - ils ne les hébergent pas, ce qui modifie les possibilités de poursuites - les plateformes sociales, Google, Facebook, permettent d'accéder à des contenus pirates. Ils permettent de trouver des contenus, mais aussi de les consommer. En outre, avec Facebook, on peut partager, notamment des liens. Tous les environnements d'interface développés sous Android donnent l'impression d'une offre légale.

Le manque à gagner pour l'industrie est difficile à évaluer ; on ne connaît pas la clé de passage entre le nombre de pirates et la proportion de ceux-ci qui se transformeraient en abonnés s'ils ne pouvaient plus pirater. Mais l'impact se mesure certainement en centaines de millions d'euros.

Nous préférons nous intéresser au risque systémique et au découpage de la valeur : on crée de la valeur essentiellement sur l'édition de services, donc sur le segment des chaînes de télévision, et celles-ci financent la production de contenus et achètent les droits. Les chaînes de télévision sont en situation délicate aujourd'hui, du fait du piratage mais aussi en raison de la transformation du marché, de l'apparition d'offres légales comme Netflix, qui les obligent à se renouveler.

On regarde de moins en moins de films à la télévision ; le sport devient alors le programme clé pour les chaînes. Or, je l'ai dit, il est très exposé aux attaques. Le lien entre la perte du droit de diffusion du football pour une chaîne premium et la perte d'abonnés n'est pas linéaire mais il est direct. Par conséquent, toute perte sur le montant des droits de retransmission du football (ils ne cessent de se renchérir) pénalise le système et les chaînes comme Canal+ qui financent le cinéma. Si le marché de la pay TV est pénalisé, les achats et la production s'en ressentent inévitablement.

Il existe une économie du piratage. Le peer to peer communautaire sans création de valeur a diminué ; en revanche les grands sites de piratage doivent être rentables, car ils ont des coûts techniques d'hébergement, de distribution sur Internet... Cela a un impact sur les actions à mener contre eux. Nous avons procédé à des estimations de coûts et de recettes par catégories de services, IPTV sur Internet, streaming, téléchargement direct, sites de référencement.

L'abonnement, la consommation payante devient le modèle dominant, et non la publicité. Or, dès lors qu'ils paient les services d'IPTV, même à faible prix, les consommateurs croient qu'ils ont affaire à une offre légale. Les gros sites de streaming proposent une offre premium (pas de publicité, une image de qualité,...), qui leur fournit la majeure partie de leurs revenus. C'est dans le référencement que la recette publicitaire est la plus importante. Une partie des revenus, dans le piratage, provient aussi du commissionnement, le site bénéficiaire reversant une commission au site de référencement.

Contre le piratage, l'offre légale doit jouer la concurrence, renforcer son attrait, par la mise à disposition des contenus, par une information claire du consommateur, comme l'a fait la Hadopi en référençant tous les sites d'offre légale. Sur le plan technique, même si c'est une course sans fin, les contenus peuvent être mieux sécurisés, car il faut du temps pour casser les sécurités ; on peut aussi les marquer, ce qui me semble une piste intéressante. Pour tarir les ressources, on pourrait également inciter les régies publicitaires à ne pas référencer les sites pirates parmi leurs vecteurs de diffusion. Agir du côté des outils de paiement, comme Paypal, permettrait sans doute de bloquer les règlements sur les sites de piratage.

Des campagnes de communication auprès du grand public ont été menées dans le passé. On en a connu surtout dans le secteur de la musique, pour expliquer que pirater revient à tuer la musique : si personne ne paie, personne ne gagnera sa vie, l'industrie et les services disparaîtront.

Les actions collectives restent les plus compliquées à mettre en place : comment fermer des sites de streaming, comment obtenir des fermetures rapides de sites de référencement, comment s'attaquer aux gros acteurs, qui sont à cibler en priorité. Le dialogue avec les plateformes sociales, concernant les fake news, a commencé : il faudra être pareillement vigilant sur tous les liens pirates qui sont échangés par ces canaux.

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