Intervention de Mathieu Moreuil

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 23 janvier 2019 à 10:5
Audition conjointe sur le piratage des retransmissions sportives : M. Jacques Bajon directeur médias et contenus numériques du groupe de réflexion idate digiworld auteur du rapport piratage des médias un risque majeur pour le sport et le linéaire ? M. Carlos Eugénio secrétaire général de l'association portugaise mapinet directeur de l'association portugaise visapress M. Mathieu Moreuil directeur des affaires européennes de l'english premier league Mme Sophie Jordan directrice générale adjointe de bein sports france M. Didier Quillot directeur général exécutif de la ligue de football professionnel lfp et M. Denis Rapone président de la hadopi

Mathieu Moreuil, directeur des affaires européennes de l'English Premier League :

Nous avons une longue expérience, au Royaume-Uni, de la lutte contre le piratage et nous avons dû nous armer de plusieurs mécanismes. La première ordonnance de blocage date de 2013 ; elle concernait le site Firstrow, qui était l'un des cinquante sites les plus populaires du pays et générait quelque dizaines de millions de livres sterling de revenus publicitaires chaque année. Il y a donc bien une économie du piratage, qui n'est aucunement le fait d'adolescents épris de partage et de liberté d'expression, mais bien celui de véritables escrocs.

Des ordonnances nous permettent désormais de bloquer non plus des sites, mais des serveurs. Leur base juridique est que nous bénéficions d'une vraie protection au titre du droit d'auteur, par une fixation du film et une protection des logos, de l'hymne et des graphiques. Cela nous permet d'invoquer la section 97-A du code de la propriété intellectuelle britannique et de demander des ordonnances de blocage s'appliquant aux intermédiaires de l'économie numérique - par une transposition classique de la directive européenne en droit anglais.

La dernière ordonnance que nous avons obtenue date de 2017 et a été depuis renouvelée. Elle permet de bloquer des serveurs. Pour pirater une rencontre sportive, il faut d'abord capter un faisceau légal. Il faut ensuite une plateforme, pour gérer sa distribution, et un serveur, pour diffuser. Les usagers peuvent regarder le contenu de différentes manières : sites Internet, applications, softwares dans des télévisions, clefs usb connectant votre adresse IP au serveur de streaming... D'où l'intérêt d'opérer le blocage en amont, au niveau du serveur.

Le juge ordonne donc aux FAI de bloquer certains serveurs. Cette décision, prise en mars 2017, a été appliquée pendant la saison, jusqu'au mois de juin. Elle a été renouvelée pour la saison suivante. Le juge a considéré qu'il n'y avait pas de menace pour la liberté d'expression - qui ne s'étend pas au vol de contenus protégés - et que le coût pour les FAI n'était pas disproportionné. Les FAI, d'ailleurs, loin de s'opposer à notre démarche, l'ont soutenue.

Nous établissons donc une liste de serveurs de streaming et nous la fournissons aux FAI, qui bloquent ces serveurs pour la durée effective des matchs. Dynamique et limitée dans le temps, cette ordonnance est très efficace et limite la consommation de streaming illégal. Cela dit, elle n'est pas une solution miracle, car elle nous impose un gros travail en amont et en aval. Nous avons dû investir dans la mise en place d'une forme de reconnaissance de notre propre contenu - finger printing - et dans la vérification, par nous-même ou par l'intermédiaire de prestataires, de l'usage de celui-ci sur Internet. Nous devons collecter l'information et la fournir aux FAI pour mettre en oeuvre l'ordonnance de blocage. Nous devons enfin, évidemment, nous adapter aux tentatives des pirates de contourner cette ordonnance.

L'essentiel est la coopération des FAI. Sans eux, nous serions dans l'inconnue. Ce sont eux qui nous ont procuré de l'information sur le trafic des serveurs incriminés, ce qui nous a permis de montrer au juge que celui-ci, à peu près nul en temps normal, devenait considérable uniquement pendant la durée des matchs. Cette coopération est facilitée au Royaume-Uni par le fait que deux des principaux FAI, Sky et British Telecom, sont détenteurs de droits, et que les autres ont des accords avec Sky pour la diffusion des contenus sportifs.

Le travail que nous avons fait pour préparer l'ordonnance est aussi indispensable. On nous avait objecté que ce serait trop cher, trop difficile, voire impossible techniquement. En réalité, les FAI savent bloquer des serveurs, et le font régulièrement pour d'autres types de contenus. Cela a un coût, qui doit être raisonnablement partagé avec eux. Si l'ordonnance nous aide beaucoup, sa faiblesse est de n'être valable qu'à l'intérieur du Royaume-Uni.

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