La Hadopi n'a pas, à l'heure actuelle, de compétence en matière de lutte contre le piratage des contenus sportifs. En 2009, la loi qui l'a créée ne mentionnait que la lutte contre le piratage des contenus culturels sur Internet. Mais la situation peut évoluer. Déjà, notre expérience peut être mise à profit, car ce sont des champs similaires : les acteurs et les techniques mises en oeuvre sont souvent les mêmes. Ainsi, certaines plateformes, parfaitement légales, peuvent donner accès à des liens illicites. Le piratage se fait souvent sur des sites qui font courir des risques aux usagers, qu'il s'agisse de virus, de l'exposition à des contenus inappropriés, ou du pillage des données. De plus, ces sites sont souvent domiciliés en dehors de l'Union européenne, ce qui les met à l'abri de poursuites judiciaires directes. Heureusement, nous pouvons briser le lien qui permet d'aller vers eux. Les préjudices évoqués pour le monde sportif rappellent aussi ceux qui frappent les acteurs culturels - et dans les deux cas, l'État perd des recettes fiscales et sociales.
Les techniques utilisées vont du pair à pair - contre lequel la Hadopi a instauré la réponse graduée - au téléchargement direct et au live streaming, qui est le mode privilégié de piratage des contenus sportifs - pour lesquels nous avons néanmoins des propositions. La procédure de réponse graduée est inadaptée au live streaming. Il faut donc atteindre directement les sites et les plateformes, en passant par les FAI et les moteurs de recherche.
Pour que la Hadopi devienne compétente, il faudrait que soit créé un droit voisin au droit d'auteur, ce qui nous placerait dans le champ de la propriété intellectuelle. La révision de la directive européenne, sur ce point, en est à la phase de trilogue. On parle beaucoup de l'article 13, sur la presse, ou de l'article 11, mais personne ne parle de l'article 12 bis, qui prévoit que les États-membres peuvent conférer aux organisateurs d'événements sportifs des droits voisins du droit d'auteur, comme le droit exclusif d'interdire ou d'autoriser la reproduction. Ces droits voisins permettraient de bénéficier de saisines en référé du juge, qui obligeraient les FAI et les moteurs de recherche à bloquer l'accès au site et à le déréférencer. Certains pays n'ont pas attendu l'aboutissement de cette négociation pour mettre en place des droits voisins pour la retransmission de contenus sportifs.
Il faudrait aussi que l'on s'inspire des modèles étrangers : parfois, une autorité administrative peut prononcer une injonction de blocage ayant force exécutoire à l'encontre des FAI, et c'est la même autorité qui sanctionne un FAI récalcitrant - en Espagne et au Portugal, une telle sanction requiert l'intervention du juge. Nos voisins fondent d'ailleurs leur système sur la transposition de la directive sur le commerce électronique. La France, elle, a choisi une transposition restrictive qui limite au seul juge la possibilité de formuler des injonctions de blocage : c'est l'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle. La Hadopi pourrait se voir donner la compétence de caractérisation des sites illicites. Si cela ne suffit pas dans des situations de blocage durable, cela a au moins pour mérite de sensibiliser les internautes sur les sites en question et, dans le cas où le site mue vers une autre adresse, de ne pas avoir à revenir devant le juge pour déclarer sa nouvelle version tout aussi illicite que la précédente.
Le défi est surtout dans le piratage en direct, qui épuise les droits exclusifs et l'intérêt de l'internaute. Un système de blocage administratif soulèverait des difficultés constitutionnelles ; d'où l'idée d'un système mixte de blocage à titre conservatoire par l'autorité administrative, avec validation du juge. Cette voie, qui répondrait le mieux aux préoccupations évoquées, demande encore à être juridiquement expertisée. En tout cas, la réponse au défi du piratage sportif ne peut pas s'inscrire dans la même temporalité que celle que nous faisons au piratage des contenus culturels.
Concernant les moyens humains, je ne suis pas en mesure d'établir un chiffrage : le blocage sera-t-il entièrement administratif, ou mi-administratif et mi-judiciaire ? Quid du pouvoir de caractérisation des sites ?