Mes chers collègues, notre réunion concerne trois sujets. Nous devons faire vite compte tenu des voeux de M. le Président du Sénat à 19 heures.
Premier point : le projet de rapport faisant suite à notre table ronde du 11 octobre dernier à l'occasion la Journée internationale des droits des filles, célébrée chaque année à l'initiative de l'ONU depuis 2012. Pour notre délégation, il s'agissait d'une première.
Cette table ronde a été une réussite, si j'en juge par votre présence en nombre, mes chers collègues, et par la qualité de vos interventions. Il m'a donc paru important que notre délégation publie à cette occasion un rapport d'information, ce qui n'était pas prévu d'emblée.
Mon initiative a été encouragée par le fait que les thématiques abordées pendant cette table ronde - le mariage forcé et les grossesses précoces, principalement - faisaient largement écho aux constats établis au cours de la précédente session par nos collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac dans leur rapport d'information sur les mutilations sexuelles féminines.
J'aurais donc regretté que cette table ronde ne figure parmi nos travaux que sous la forme d'un procès-verbal et d'une vidéo en ligne, alors qu'elle mérite une prise de position de notre délégation.
Une autre raison m'a poussée à vous proposer ce document : il m'a semblé que c'était une bonne occasion de vous suggérer de revenir à une méthode de travail qui avait été mise à profit par notre délégation au cours de précédentes sessions (je me réfère à des précédents de 2015 sur les femmes militaires, puis sur la COP 21). L'objectif est de publier des rapports d'information relativement concis sur des sujets ciblés, s'appuyant sur un nombre réduit d'auditions et, de préférence, sur une table ronde unique, associant divers acteurs. Cette méthode me paraît en effet répondre à nos attentes. Les conclusions de ce type de rapport peuvent relever davantage de pistes de réflexion ou de points de vigilance que de recommandations susceptibles de conduire à des propositions juridiques.
Ce rapport s'appuie sur des constats accablants établis par les acteurs de la lutte contre le mariage et les grossesses précoces :
- 12 millions de filles sont mariées chaque année dans le monde avant l'âge de 18 ans. Il s'agit d'autant d'enfances volées, a fortiori parce que l'on compte toutes les sept secondes une victime de moins de 15 ans ;
- une fille sur cinq donne naissance à son premier enfant avant 18 ans ;
- 70 000 décès sont causés chaque année par les grossesses et accouchements précoces ;
- les complications liées à la grossesse et à l'accouchement sont la deuxième cause de décès dans le monde pour les jeunes filles de 15 à 19 ans.
Il rappelle aussi que la pauvreté, les guerres et la sécheresse sont des facteurs aggravants du mariage des enfants, car ils conduisent les parents à rechercher par le mariage un protecteur pour leur fille, et à considérer celle-ci avant tout comme une bouche à nourrir, dans une situation d'extrême vulnérabilité économique.
Ce rapport appelle donc à poursuivre la mobilisation internationale pour promouvoir les droits des filles, partout dans le monde.
Il insiste sur deux pistes juridiques à mobiliser dans tous les pays concernés : interdire le mariage avant 18 ans, et promouvoir l'inscription des enfants à l'état civil, car comme le faisait observer notre collègue Claudine Lepage le 11 octobre : « Une fille qui n'existe pas, il est possible de la marier ou de la vendre ».
Il souligne aussi que faire reculer l'âge du mariage des filles et limiter les grossesses précoces en favorisant leur éducation présente également des bénéfices économiques incontestables pour les pays concernés. Il mentionne également que chaque année d'école secondaire supplémentaire pour une fille augmente de 25 % en moyenne ses futurs revenus.
L'éducation des filles est un levier d'action d'autant plus efficace que :
- chaque année d'éducation pour une fille réduit de 5 à 10 % la mortalité infantile ;
- un enfant né d'une mère sachant lire a 50 % de plus de chances de survivre après l'âge de cinq ans.
Ce rapport est donc l'occasion de souligner l'importance qu'attache notre délégation au fait que la diplomatie française continue à mettre l'accent sur le caractère crucial de l'accès à l'éducation pour toutes les filles et soit particulièrement attentive au sort des fillettes, des adolescentes et des femmes dans les zones en crise. Cette préoccupation doit être mobilisée dans le cadre de la présidence française du G7, pour faire avancer cette cause décisive.
Les conclusions du rapport, dans l'esprit que j'indiquais tout à l'heure, se présentent pour la plupart comme des pistes de réflexion. Je mentionnerai, entre autres points de vigilance que je soumets à votre examen :
- la nécessité d'impliquer les hommes dans ce combat ;
- l'intérêt de la Convention d'Istanbul, instrument juridique incontournable qui couvre tout le spectre des violences ;
- l'expression de la considération de la délégation pour tous les acteurs, notamment associatifs, qui participent à ce combat et l'importance que nous attachons aux moyens qui leur sont attribués.
D'autres conclusions rappellent les prises de position de la délégation contre les mutilations sexuelles, inspirées par nos collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac, comme par exemple :
- la sensibilisation des personnels de l'Éducation nationale aux risques courus par certaines jeunes filles lors des congés scolaires, quand elles séjournent dans le pays d'origine de leur famille ;
- le recensement systématique des adolescentes qui quittent le collège à l'âge de l'obligation scolaire ;
- la formation de tous les professionnels potentiellement concernés au repérage et à l'orientation des victimes potentielles de mariage forcé et de mutilations sexuelles.
Qu'en pensez-vous, mes chers collègues ?