Intervention de Roy Spitz

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 30 janvier 2019 à 10h30
Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions nouvelle lecture — Table ronde de représentants des avocats des magistrats et des fonctionnaires de greffe

Roy Spitz, président de la Confédération nationale des avocats :

Au nom de la Confédération nationale des avocats, je vous remercie pour le travail extraordinaire que vous avez fait en amont, en première lecture. Nous vous transmettons notre retour de terrain et les réflexions qui ont été partagées par nos adhérents. Nous sommes dans un moment quasiment historique de notre profession d'avocat, qui parle d'une seule voix ! Le Conseil national des Barreaux, la Conférence des bâtonniers, l'Ordre des avocats de Paris et les différents syndicats... Malgré quelques divergences, nous défendons l'intérêt du justiciable - sans corporatisme. Quand le justiciable est servi, la profession l'est également.

Les raisons de l'état actuel de la justice résident dans son manque de moyens. Nous essayons de faire tourner une machine à l'économie. Vous aviez déjà demandé des moyens supplémentaires en première lecture. Nous sommes très loin du compte. En outre, cela ne sert à rien d'augmenter le budget s'il n'est pas affecté au fonctionnement de la justice judiciaire mais à la construction de maisons d'arrêt et à la rémunération des gardiens... Le budget n'est pas à la hauteur.

Deux points préoccupent aussi nos adhérents : la déjudiciarisation et l'éloignement du justiciable par rapport à la juridiction.

En ce qui concerne la déjudiciarisation, la profession s'inquiète que l'on confie aux directeurs de CAF le soin de réviser des prestations alimentaires. Les garanties n'y sont pas, malgré les réserves ou les limitations introduites par l'Assemblée nationale. La profession suggère des modifications sur ce point. Cela fait très longtemps qu'elle réclame de pouvoir bénéficier de la force exécutoire sur l'acte d'avocat. Ne serait-ce pas préférable ? Renvoyer la question à un directeur de CAF comporte des risques de conflit d'intérêts.

Par ailleurs, je déplore les recours incessants aux plates-formes de règlement des litiges. Nous ne pouvons pas imposer à des justiciables de passer par des plates-formes privées et non contrôlées. La solution ne doit certes pas dépendre exclusivement d'un algorithme, mais quel est le ratio exact ? S'agira-t-il de 99 % ? Sans contrôle, nous ignorons quelles seront les données de la plates-forme et si un algorithme serait utilisé pour suggérer des solutions à un justiciable qui peut être vulnérable.

En ce qui concerne l'éloignement du justiciable, je ne reviendrai pas sur la visioconférence pour la détention provisoire, qui constitue un mauvais éloignement du justiciable, comme l'a souligné Mme le bâtonnier de Paris. J'évoquerai plutôt la question de la plénitude de juridiction. L'idée d'expérimenter la spécialisation des juridictions a été lancée. La présence de magistrats spécialisés diffusant le savoir nous paraît préférable à la concentration des dossiers entre quelques magistrats. En cas de besoin, nous pourrions tenir une audience collégiale spécialisée. Un magistrat du ressort viendrait devant la juridiction partager son savoir et former ses collègues. Cela se pratique dans les entreprises. Pourquoi pas dans les tribunaux ?

Si l'on respecte le justiciable, nous aurons atteint notre objectif d'une bonne loi !

Me Aminata Niakate, présidente de la Fédération nationale des jeunes avocats. - Je vous remercie de cette démarche qui vise à renouer le dialogue entre la Chancellerie et l'ensemble de nos professions. Cela a été souligné, il y a une unanimité extraordinaire : merci de l'entendre, ce qui n'est pas le cas de la Chancellerie ni de la majorité à l'Assemblée nationale. Le dialogue nous a d'ailleurs semblé compliqué entre l'Assemblée nationale et le Sénat, comme l'atteste l'échec de la commission mixte paritaire. J'ai en mémoire une audition avec les rapporteurs du projet de loi à l'Assemblée nationale où la base de discussion a été exclusivement le texte de la Chancellerie et les amendements du Gouvernement sans aucunement prendre en compte le travail du Sénat, alors que pourtant votre travail allait dans le bon sens.

Quoi qu'il en soit, nous sommes d'irréductibles optimistes et nous voulons être entendus. Globalement, nous avons le sentiment que le projet proposé vise à sacrifier le service public de la justice à des considérations purement budgétaires. Sous couvert de modernité, il s'agit avant tout de faire des économies en éloignant le justiciable de son juge.

Je reviendrai sur la tentative de conciliation ou de médiation obligatoire à peine d'irrecevabilité qui peut être soulevée d'office. En première lecture, le Sénat a supprimé cette disposition. Bien sûr, il faut encourager les modes alternatifs de règlement des litiges, mais cette barrière quasi-couperet de l'accès à la justice, pour les petits litiges, pourrait dissuader le justiciable de saisir le juge pour des raisons de coût, surtout si la procédure de médiation est confiée à des plates-formes en ligne. Le couperet de l'irrecevabilité prononcée d'office, sans possibilité de régulariser, nous semble dangereux.

Autre mesure, déjà évoquée par Mme la présidente du Conseil national des Barreaux : la suppression des audiences. À tout moment, l'une des parties, si elle en exprime le souhait, devrait pouvoir expliquer sa situation à un juge, car certains messages ne passent que par l'oralité et ont du mal à transparaître dans les écrits.

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