Intervention de Michel Demoule

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 30 janvier 2019 à 10h30
Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions nouvelle lecture — Table ronde de représentants des avocats des magistrats et des fonctionnaires de greffe

Michel Demoule, secrétaire général CGT des chancelleries et services judiciaires :

Notre organisation syndicale est de loin la plus représentative parmi le corps des directeurs des services de greffe et la deuxième parmi les greffiers. Notre intervention portera sur l'article 53, sur la fusion TI-TGI à laquelle sont opposés syndicats de fonctionnaires des greffes, syndicats de magistrats et organisations syndicales ou professionnelles d'avocats. Une telle unanimité aurait tout de même dû interpeller la garde des Sceaux et justifier une expérimentation a minima sur quelques sites.

Depuis Descartes, nous savons que c'est le doute qui fait avancer l'humanité et non l'obscurantisme des intégristes de tous poils. Nous ne voyons pas dans la fusion TI-TGI une volonté de supprimer des juridictions. Mais cette suppression sera désormais plus facile. En 2013, une enquête d'opinion auprès des Français avait montré que le conseil de prud'hommes était de loin la juridiction la mieux identifiée : 88 % des sondés savaient à quoi elle servait, contre seulement 56 % pour le tribunal de grande instance. Et 95 % d'entre eux considéraient que la justice était trop lente. Nous ne voyons vraiment pas comment la fusion TI-TGI pourrait améliorer la situation, au contraire...

Je ne reviens pas sur la question des moyens, déjà largement évoquée. A nos yeux, l'un des principaux problèmes est la gouvernance des juridictions. Les médecins soignent les patients, mais ce ne sont pas eux qui dirigent l'hôpital. Les magistrats rendent la justice, mais il n'est pas dans leurs fonctions de gérer les tribunaux. De nombreux rapports ont conclu qu'il fallait recentrer le juge sur ses missions, dire le droit, trancher les litiges, mais c'est toujours le contraire qui se passe ! Il y a près de trente ans, dans le cadre d'une mission d'enquête sénatoriale sur la justice présidée par Hubert Haenel, le rapporteur Jean Arthuis, déclarait : « le ministère de la justice est extraordinairement centré sur lui-même, auto-administré, les magistrats ont toujours considéré qu'ils devaient prendre en charge eux-mêmes l'administration de leur ministère et qu'ils devaient tout à la fois être experts en relations humaines, en gestion financière, en informatique, en construction ou en programmation : autant d'exigences qui à chaque fois ont été des échecs retentissants ». On ne peut mieux résumer la situation !

Dans les conseils de prud'hommes, c'est le directeur des services de greffe qui gère la juridiction sous le contrôle a posteriori du président et du vice-président. Depuis 2015, en application d'une réforme statutaire qui a rencontré l'hostilité de la grande majorité du corps, la majorité des postes de directeur des services de greffe des conseils de prud'hommes est transformée au fil du temps en postes de greffiers fonctionnels. Loin de recentrer le juge sur sa mission, la fusion TI-TGI ne fera que renforcer le pouvoir de petits potentats locaux au détriment du bon fonctionnement du service public de la justice.

Le summum est atteint avec l'amendement, ajouté subrepticement, sur l'intégration du greffe des conseils de prud'hommes au sein du greffe du futur tribunal judiciaire. Lors des débats à l'Assemblée nationale, le 17 janvier, la rapporteure indiquait que « l'amendement présente l'avantage de sanctuariser l'existence d'un greffe du conseil de prud'hommes » et que « la rédaction qui a été élaborée avec les syndicats, notamment Force ouvrière qui représente les greffes des tribunaux de commerce, sacralise l'existence d'un greffe du conseil des prud'hommes ». Dans notre République laïque, le conseil de prud'hommes et son greffe n'avaient besoin d'être ni sanctuarisés, ni sacralisés !

De fait, toute juridiction autonome a un greffe autonome : c'est suffisant. Lorsque j'entends la garde des Sceaux annoncer que l'organisation proposée permettra au justiciable qui se présente au service d'accueil unique du justiciable (SAUJ) d'être accueilli au sein d'un greffe unifié, je m'insurge !

Personne ne se présente à l'accueil d'un conseil de prud'hommes pour divorcer. Seul le lobby des conférences de chefs de juridiction et premiers présidents est favorable à la fusion, mais il est vrai que le service public de la justice leur est souvent inconnu. La CGT, vous l'aurez compris, demande la suppression de l'article 53 du projet de loi.

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