C. Justice est hostile au projet de loi dans son ensemble. Nous ne sommes pas opposés à la modernisation, mais elle doit être conduite avec bon sens, dans le dialogue. C'est grâce aux greffiers que les décisions sortent et sont publiées ; or ils n'ont pas été valablement consultés. La voie de l'amendement est utilisée pour abolir tout dialogue. Cela relève d'une volonté politique : la majorité introduit et fait voter les amendements par l'Assemblée nationale, qui a le dernier mot.
Le dialogue avec les organisations syndicales du ministère est soigneusement évité. C'est cohérent avec le recours aux ordonnances. On peut penser ce qu'on veut de l'action de Mme Taubira, mais elle a oeuvré dans le dialogue pour envisager les juridictions du XXIe siècle. La parole ministérielle a été tenue : beaucoup d'évolutions non souhaitées n'ont pas vu le jour. La discussion a eu lieu à ciel ouvert.
Ce gouvernement préfère programmer la disparition des conseils de prud'hommes à travers un amendement à l'article 53 - car faire passer le greffe sous l'autorité du tribunal judiciaire, c'est le faire disparaître. Les tribunaux d'instance fonctionnent eux aussi très bien, malgré l'affaiblissement de leurs effectifs introduit par la réforme Dati de la carte judiciaire, et malgré la peste qu'on a tenté d'introduire en leur sein. La disparition des tribunaux d'instance et des conseils de prud'hommes aura des effets en matière de gestion des ressources humaines. Ainsi, des problèmes graves entre agents ou avec la hiérarchie peuvent aujourd'hui être résolus par la médiation ou, au pire, par une mutation dans une même ville, voire sur le même site. Demain, avec une seule hiérarchie non différenciée et des tribunaux regroupés, les personnes concernées devront déménager plus loin. C'est un recul très net.
La déjudiciarisation de la révision des pensions alimentaires confiée à la CAF robotise purement et simplement les décisions. Le juge statue après avoir entendu les parties, dans une décision proportionnée et individuelle. Il retire des débats et pièces tous les éléments objectifs, voire subjectifs qui lui sont nécessaires. Un barème serait contraire à l'esprit de justice. Les cas d'espèce sont innombrables ; la particularité doit pouvoir être entendue et prise en compte ; seul le juge est garant des libertés individuelles. La CAF, organisme de droit privé qui distribue de l'argent public, ne présente pas de garanties de neutralité. Où est le bon sens ? De plus, dans le cadre de la répartition des fonds dans la procédure de saisie de rémunération, la Caisse des dépôts et consignations pourra prélever des frais à la charge des débiteurs.
Nous déplorons que les débats les plus importants se déroulent la nuit. Un texte aussi important ne devrait pas être légitimé par le vote de moins de trente députés ou sénateurs. La représentation nationale ne fait pas son travail. Permettez-moi de conclure par une citation de Beaumarchais : « Quand le mal a toutes les audaces, le bien doit avoir tous les courages ».