Intervention de Nicole Belloubet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 30 janvier 2019 à 10h30
Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions nouvelle lecture — Audition de Mme Nicole Belloubet garde des sceaux ministre de la justice

Nicole Belloubet, garde des Sceaux :

Une chose n'est pas écrite dans la loi, mais c'est l'une de mes convictions fortes : en première instance, il n'y a de justice que de proximité. Toute société humaine organisée a besoin d'un juge. Cela n'a de sens que si les citoyens ont le sentiment qu'ils peuvent le saisir avec facilité. Aussi, je le répète solennellement devant vous, aucune juridiction ne sera fermée.

Vous évoquez la fusion des tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance. Nous souhaitons qu'il y ait un tribunal judiciaire, ou plusieurs, par département. S'il y a un tribunal de grande instance et un tribunal d'instance, par exemple, l'ensemble formera un tribunal judiciaire. En effet, pour le justiciable, il est beaucoup plus simple d'aller au tribunal sans avoir à se demander s'il doit aller au tribunal d'instance ou au tribunal de grande instance. Actuellement, lorsqu'un justiciable dépose une requête auprès d'un tribunal qui n'est pas compétent, il lui faut parfois attendre longtemps pour recevoir une réponse négative. Désormais, il déposera sa requête dans n'importe quel site et celle-ci sera, s'il le faut, réorientée.

Un tribunal judiciaire comprendra plusieurs sites, correspondant aux sites actuels. Comment garantir que les tribunaux d'instance ne seront pas fermés ou dévitalisés ? Aujourd'hui, rien ne garantit le maintien d'un tribunal d'instance. Nous ne dégradons donc pas la situation actuelle, nous l'améliorons. Dans chacun des tribunaux d'instance, qui s'appelleront désormais tribunaux de proximité, les juges et le personnel seront affectés par des textes qui mentionneront le lieu d'affectation : on ne joue pas avec les personnes, qui doivent savoir où elles travaillent, où elles vivent, où elles peuvent inscrire leurs enfants à l'école. Nous maintenons donc le lieu d'affectation des personnels et des magistrats. Puis, il y aura, dans ces tribunaux de proximité, un juge statutaire qui exercera ses compétences : le juge des contentieux et de la protection. Ce juge statutaire traitera quatre dossiers essentiels de la justice du quotidien : le surendettement, les baux d'habitation, les crédits à la consommation et les tutelles. Les tribunaux d'instance isolés traiteront comme aujourd'hui les contentieux civils de moins de 10 000 euros. Enfin, nous laissons la possibilité aux chefs de juridiction d'augmenter les compétences de ces tribunaux de proximité en y adjoignant le contentieux familial post-divorce, selon les bassins socio-économiques et de population et en fonction des contentieux jugés. Ainsi, je garantis que les tribunaux de proximité perdureront tous et ne seront pas des coquilles vides.

La spécialisation ne jouera que lorsque, dans un même département, il y aura plusieurs tribunaux judiciaires. Ce que nous proposons à l'article 53 du projet de loi, dont le texte, je le rappelle, comporte le verbe conjugué « peuvent » et non pas « doivent », est que, sur la base d'un projet local, les juridictions répartissent entre les tribunaux judiciaires du département des contentieux très spécialisés. Cela revient à créer des pôles de compétence spécialisés sur des contentieux qui ne sont pas des contentieux de masse. Ces derniers seront exclus de ces spécialisations. Or, dans un tribunal de grande instance, 90 % des contentieux civils concernent les contrats, la famille, la responsabilité. On ne touche à rien de tout cela ! Mais pour les contentieux sur les enlèvements illicites d'enfants, sur les contrats de transport, sur les droits d'enregistrement ou des sujets de ce type, qui représentent une infime part du stock d'affaires, il ne serait pas absurde de décider que l'un des tribunaux judiciaires du département les traite tous. Cela ne produira aucune dévitalisation mais au contraire un renforcement de l'efficacité et de la qualité de la justice. Ces contentieux spécialisés peuvent faire l'objet, s'il y a un projet local, d'une répartition équilibrée entre les différents tribunaux du territoire. Il importe à la fois de garantir la proximité et d'assurer une qualité élevée de la justice par cette proposition de spécialisation des tribunaux.

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