Bonjour à vous, et merci de m'accueillir. Je suis maire d'un village de 600 habitants, entre Le Mans et Sablé, sur les bords de la rivière Sarthe. Dès le mois de décembre, à l'issue du deuxième samedi de mobilisation, nous nous sommes rendu compte que nous étions confrontés à un mouvement de contestation important, marqué par les violences dans les rues de Paris, alors que dans nos villages les citoyens arboraient ces fameux gilets jaunes. Nous souhaitions donc que ces personnes non présentes sur les ronds-points, et qui ne se mobilisaient pas autrement qu'en affichant des gilets jaunes sur le tableau de bord de leur véhicule, s'expriment d'une autre façon. Dès le mois de décembre, nous avons acté ce principe d'organiser des mairies ouvertes, sans savoir vraiment combien de nos collègues s'empareraient du sujet. Nous avions malgré tout une certaine confiance dans le fait que les gens allaient saisir cette occasion pour s'exprimer. Dans les petites communes, les maires sont, aux yeux de leurs concitoyens, des élus auxquels on peut encore faire confiance. Ce sujet de la confiance est évidemment l'un des coeurs de la crise actuelle. C'est même le sujet essentiel car lorsque la confiance est rompue, il est difficile de dialoguer. Notre objectif était de profiter de notre image encore positive pour jouer un rôle de passeur.
Le 8 décembre dernier, 130 communes de la Sarthe se sont engagées à ouvrir des permanences dans leur mairie toute la journée, pour permettre aux citoyens de s'exprimer sur des cahiers de doléances. Cette ouverture a représenté un vrai moment de démocratie. Nous avons vu arriver des gens qui n'ont pas l'habitude de voter, et qui ont consenti à de grands efforts pour s'exprimer. Ces évènements ont prouvé que le désir d'expression est immense. L'opération a tellement bien fonctionné, que nous avons fait en sorte qu'elle se démultiplie sur le territoire national, pour que chaque maire y participe. Néanmoins, tout le monde n'a pas joué le jeu. Pour les 130 mairies ouvertes dans le département de la Sarthe, sur 368 communes, 103 cahiers de doléances nous sont revenus, avec 1 600 contributions émanant de foyers. Il est rappelé que la Sarthe compte environ 570 000 habitants.
Il ressort de la synthèse que, quels que soient le lieu d'habitation ou le niveau de l'échelle sociale, une volonté de traitement équitable s'est exprimée. Les citoyens ne demandent pas un traitement égalitaire, mais un traitement équitable. Il s'agit d'une expression de sagesse, même si certains commentaires sont insultants ou réclament des mesures impossibles. La majorité des personnes qui s'expriment appellent de leurs voeux l'équité en termes de justice, de pouvoir d'achat, de justice fiscale, de services de proximité... La liste est longue.
Depuis dix ans, notre association alerte sur cette situation à chaque élection nationale. Depuis dix ans, sur les plateaux de télévision, les analystes pointent du doigt l'abstention très forte en milieu rural et le vote FN. Depuis dix ans, le sujet est évoqué pendant quinze jours, puis retombe aussitôt. Ce faisant, nous oublions qu'au travers du bulletin de vote sur les territoires, les gens expriment une souffrance. Il est problématique, dans une démocratie, d'avoir le sentiment que le bulletin de vote ne sert à rien. Il importe de prendre en compte cette souffrance déclenchée par le prix du carburant et la limitation de vitesse à 80 km/h, avec en toile de fond un sentiment d'abandon. Depuis lors, l'origine du mouvement se perd petit à petit, et d'autres se sont emparés du débat. Nous voyons que la politique, les syndicats, les lobbies se placent en première ligne sur le sujet, au risque de recueillir, en mars prochain, des propositions très éloignées de l'origine de la mobilisation. Il s'agit d'une véritable inquiétude de la part de notre association, c'est pourquoi nous espérons de tout coeur que les maires des départements s'empareront du grand débat, pour faire en sorte que les gens de nos villages s'expriment. Si cela n'est pas fait, nous risquons de nous retrouver le 15 mars avec une synthèse qui ne correspondra en rien à l'origine de la crise.
Sur votre sujet, c'est-à-dire les collectivités, nous sommes surpris de constater que l'intercommunalité est pointée comme l'une des causes de l'éloignement des services publics. Ce thème revient très souvent. Je ne pourrais vous donner de pourcentage, mais l'intercommunalité est bien davantage évoquée que l'immigration. La procréation médicalement assistée et la peine de mort, pour leur part, ne sont jamais citées. D'ailleurs, sur la totalité des commentaires en Sarthe, seuls 39 évoquent l'immigration. Bien entendu, les sujets liés au pouvoir d'achat arrivent en tête, mais nous constatons que l'intercommunalité, qui était totalement illisible pour le citoyen jusqu'il y a deux ans, devient aujourd'hui un sujet de discussion, mais dans le mauvais sens du terme. L'intercommunalité est perçue comme responsable de la réduction de l'accès aux services quotidiens.
Par ailleurs, un autre terrain de mécontentement a trait à la dématérialisation des actes de la vie courante. Du jour au lendemain, les personnes se retrouvent avec un besoin d'assistance à l'utilisation de l'outil, pour la seule raison que l'État, mû par des préoccupations économiques, a pris le parti de laisser treize millions de Français sur le bord de la route. Ces citoyens se trouvent désormais dans l'obligation de demander de l'aide dans nos mairies, alors que précédemment ils étaient très indépendants. L'Association des maires ruraux, si elle n'a pas accompagné ce mouvement des gilets jaunes, constate néanmoins avec objectivité que ce mouvement a remis la commune au coeur de la vie quotidienne. Finalement, cette particularité française de compter 35 000 communes représente peut-être un atout plutôt qu'un poids. À l'inverse, la volonté de rassembler et de mutualiser a abouti à se passer d'un amortisseur social, d'un accompagnement et d'un outil de démocratie de proximité. Certes, cet outil coûtait de l'argent au contribuable, mais il avait un sens dans le fonctionnement de notre société. Le rôle de l'élu local se trouve ainsi remis au coeur des préoccupations de nos gouvernants.