Madame la présidente, mesdames les co-rapporteures, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis ravie d'être reçue ce matin par la délégation aux droits des femmes pour le lancement de vos travaux sur le football féminin. Je vous remercie par avance de vous saisir de ce sujet et de m'offrir cette opportunité de m'exprimer plus largement sur l'ambition de mon ministère en matière de sport féminin. J'apporterai dans cette intervention des éléments de réponse à vos questions, mais je pourrai préciser ensuite certains points, si vous le souhaitez.
L'égalité hommes-femmes passe par le sport et par l'accès de toutes et de tous à la pratique sportive, sans discriminations, sans préjugés et sans stéréotypes d'aucune sorte. La tâche est immense dans le domaine du sport, comme dans les autres domaines de la société, ce n'est pas la délégation qui me contredira sur ce point ! Pour favoriser cette égalité dans l'accès à la pratique sportive en France et l'égalité entre les sportifs, nous devons développer davantage le sport féminin. La France se situe pourtant dans la moyenne européenne en matière de pratique sportive. En 2015, 45 % des femmes et 50 % des hommes de 16 ans et plus déclarent avoir pratiqué une activité physique ou sportive au cours des douze derniers mois. Un tiers des femmes et des hommes pratique l'une de ces activités au moins une fois par semaine, selon une étude de l'INSEE publiée en 2017.
Toutefois, la pratique féminine diffère sensiblement de la pratique masculine, qu'il s'agisse des disciplines choisies, de l'intensité des activités, des lieux de pratique ou encore de l'engagement dans la compétition.
Au sein des fédérations sportives, la part des femmes parmi les licenciés n'a cessé d'augmenter au cours de la période 2001-2016, pour atteindre 38 % en 2016. La présence des femmes diminue néanmoins à mesure que l'on s'élève dans les niveaux de pratique. Parmi les sportifs reconnus de haut niveau, les femmes représentent aujourd'hui un peu moins de 38 %. En outre, les femmes sont largement sous-représentées dans les instances dirigeantes. Nous dénombrons à ce titre seulement 16 présidentes sur 117 fédérations. Il en va de même pour les postes d'encadrement technique et d'entraînement ainsi que pour les fonctions d'arbitrage ou de juge. Enfin, la retransmission télévisée du sport féminin progresse lentement. Elle représente entre 16 % et 20 % du volume horaire de diffusion des retransmissions sportives en 2017, contre 14 % en 2014 et 7 % en 2012.
Depuis plusieurs années, le ministère des Sports poursuit l'objectif d'une plus grande égalité entre les femmes et les hommes dans le sport, aussi bien dans l'accès aux pratiques, aux métiers et aux responsabilités du sport, que dans sa médiatisation. Il s'agit d'un enjeu majeur, qui s'inscrit pleinement dans la démarche globale du ministère que je voudrais rappeler ici, avant d'évoquer plus spécifiquement la Coupe du Monde de football féminin.
Les principaux axes de travail du ministère sur ces sujets sont les suivants. La loi du 4 août 20141(*) a constitué une avancée majeure dans l'introduction progressive du principe de parité dans les instances de gouvernance des fédérations sportives agréées. Le dispositif législatif dynamique voté par votre assemblée a mis fin à un mécanisme statique qui consistait à féminiser les instances dirigeantes en fonction de la proportion de licenciées. Il prévoit une étape préalable avant l'obligation de parité, prévue en 2021. Ainsi, pour les fédérations sportives dont la proportion de femmes est supérieure ou égale à 25 %, vous avez prévu une représentation minimale de 40 % de femmes. Pour les fédérations dont la proportion de femmes est inférieure à 25 %, une représentation minimale de 25 % des postes est obligatoire. À ce jour, seules quatre fédérations n'ont pas respecté cet objectif. J'ai d'ailleurs demandé à la Direction des Sports de recevoir leurs dirigeants, afin qu'elles se conforment à la loi.
Des réseaux de sportives sont également constitués, afin de les aider à s'affirmer aux postes de dirigeants. Ces réseaux bénéficient de l'expertise de l'association Femix'Sports, qui a mis en place des modules (« Réussir au féminin » et « Demain, réussir en mixité »). En effet, il est important d'accompagner la prise de responsabilité des femmes afin d'enraciner la mixité. La dynamique de féminisation des fédérations sportives a aussi été renforcée par la mise en place de plans de féminisation des fédérations qui sont intégrés dans les conventions d'objectifs avec le ministère. Ces plans ont amené chaque fédération à adopter des objectifs en matière de parité dans les instances de gouvernance déconcentrées et de développement de la pratique pour toutes et tous, notamment pour les femmes résidant dans les quartiers de politique de la ville. Ils prévoient aussi des objectifs relatifs à la médiatisation du sport féminin et à l'accès des femmes aux fonctions d'arbitrage, aux jugements techniques et à l'encadrement technique bénévole ou rémunéré.
En 2017, 89 fédérations sportives sur un total de 117 étaient dotées d'un plan de féminisation spécifique. Aujourd'hui, l'un des indicateurs de performance retenus dans notre programme budgétaire est justement le taux de féminisation des licences délivrées par les fédérations. Près de 40 % des licences fédérales sont désormais attribuées à des femmes. Nous observons une hausse notable des licences féminines en judo, boxe, taekwondo et kick-boxing. Cet indicateur nous semble témoigner d'une évolution positive.
Le ministère agit également pour une féminisation de l'encadrement technique, et plus particulièrement des cadres dirigeants des Directions techniques nationales (DTN). Les formations ont été généralisées pour animer un réseau, afin de constituer un vivier de hauts potentiels féminins. De plus, un cadre interfédéral est missionné pour l'accompagnement des fédérations et de leur plan de féminisation depuis le 1er janvier 2016. Pour autant, on ne compte qu'une dizaine de femmes parmi les cadres dirigeants des DTN ; de surcroît, un tiers d'entre elles occupent en réalité un poste d'adjointe. Comme partout dans la société, nous constatons que la place des femmes évolue, mais que la dernière marche reste difficile à franchir. Ces chiffres ne sont pas suffisants, mais nous progressons tout de même et nous avons l'intention de contribuer à créer les conditions de l'égalité pour ces hauts postes.
La Conférence permanente du sport féminin est venue consolider cette dynamique, dont l'impératif a été réaffirmé lors du Comité interministériel aux droits des femmes du 8 mars 2018, à travers l'objectif « Promouvoir l'accès aux pratiques et aux responsabilités culturelles et sportives ». La grande conférence conduite en 2016 sur le sport professionnel a mis en évidence la nécessité d'obliger l'ensemble des parties prenantes du sport à s'emparer collectivement du sujet. C'est l'enjeu de la Conférence permanente du sport féminin, créée par la loi du 1er mars 2017 sur l'éthique du sport2(*). Cette nouvelle instance, composée de représentants du monde sportif, de l'État, d'acteurs économiques, de médias ou d'élus de collectivités territoriales, a vocation à suivre l'évolution des pratiques sportives des femmes, à faciliter la professionnalisation du sport au féminin et à favoriser sa médiatisation. Elle contribue à structurer les politiques publiques dans ce domaine. La secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, en est membre de droit.
Plusieurs groupes de travail s'emparent aujourd'hui des thématiques suivantes : le développement des pratiques sportives, l'accès aux responsabilités et à la médiatisation, et l'économie du sport féminin. Je réunirai cette conférence dès janvier 2019, afin que nous abordions ensemble ces problématiques, en profitant de cette année où le sport féminin sera mis à l'honneur. Les travaux menés depuis plus d'un an ont permis de faire émerger des propositions concrètes qui m'ont été remises il y a quelques semaines. Je me saisirai de certaines d'entre elles pour les mettre en oeuvre dans les plus brefs délais, avec l'ensemble des acteurs.
Parmi les pistes de travail évoquées, je suis sensible à l'idée de développer la pratique sportive de loisir en l'adaptant aux besoins des femmes. Pour ce faire, j'ai estimé qu'il était intéressant de bénéficier d'un état des lieux des pratiques et des services qui existent sur le territoire, afin de favoriser la rencontre entre les femmes et le sport. Je souhaite m'appuyer sur les acteurs locaux tels que les conseils régionaux et les communes, ou l'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES) et l'Association nationale des directeurs et intervenants des installations sportives et des services des sports (ANDIISS). Ce soutien sera important pour la déclinaison de la future Agence nationale du sport dans les territoires et pour le repérage des projets qui existent déjà. Il sera également nécessaire de recueillir les retours de tous les parlementaires afin de savoir ce qui est mis en place par les associations, qu'elles soient fédérales ou non, ou par les communes. L'agence aura besoin d'un miroir de terrain de ces actions.
Une autre piste me paraît intéressante. Elle vise à faciliter l'accueil des enfants à proximité des lieux de pratique sportive, en sensibilisant les professionnels de la petite enfance, mais aussi les Caisses d'allocations familiales (CAF) et l'Observatoire de la parentalité en entreprises, de manière à faire un lien avec ce qui existe déjà dans les entreprises concernant la garde des enfants. Nous devons envisager des solutions pour accueillir les enfants lorsque les mères pratiquent une activité sportive. Inversement, lorsque les enfants font du sport, nous inciterons les associations sportives à proposer des activités aux mères qui les accompagnent, en utilisant par exemple les salles adjacentes, afin de les initier à une activité ou de les faire entrer dans une pratique plus permanente.
S'agissant du sport de haut niveau, il est important qu'une réflexion soit engagée sur le statut des sportifs professionnels, parallèlement à l'accompagnement renforcé et individualisé des sportifs et sportives de haut niveau qui sera réalisé dans le cadre de la nouvelle agence. En outre, le plan de féminisation du métier d'entraîneur sera renforcé. Ces dispositifs visent à encourager la professionnalisation des sportives.
Parmi les recommandations de la Conférence du sport féminin, je retiens également une proposition dont nous savons qu'elle n'est pas anodine et qu'elle joue au contraire un rôle déterminant sur l'inconscient collectif. Je veux parler de la nécessité de nommer les équipements sportifs du nom de sportives reconnues. En effet, les grandes sportives sont encore peu connues. Nous avons donc envie de proposer des biographies aux maires et aux personnes susceptibles de proposer des noms pour des rues, des stades ou des piscines, en accord avec les collectivités territoriales. Aujourd'hui, seulement 8 % des structures, installations ou équipements dénommés d'après une personnalité sportive portent le nom d'une femme. Pourtant, nos championnes sont nombreuses ! Pour cette raison, je compte demander à la Direction nationale du Sport de rassembler des biographies exhaustives de sportives. Nous créerons ainsi un répertoire qui sera proposé aux collectivités locales.
Dans le cadre de la Conférence du sport féminin, je souhaiterais renouveler un partenariat avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), dont les autorités sont très vigilantes sur la diffusion du sport féminin et sur les actions que nous pourrions mener dans cette perspective. Nous avons décidé de relancer ensemble en février 2019 l'opération de médiatisation « Sports féminins toujours », qui s'étend sur un week-end. Nous savons qu'un week-end n'est pas suffisant, mais il nous paraît important de rendre davantage visible le sport féminin de cette manière. La première édition de cette opération avait très bien fonctionné.
L'exposition médiatique du sport, et notamment du sport féminin, a un effet positif sur la pratique. Les audiences médiatiques réalisées à cette occasion ont surpris les journalistes, qui ne s'y attendaient pas. En outre, l'attractivité du sport féminin auprès des partenaires et des annonceurs tend à augmenter. La médiatisation constitue la clé de voûte de la mise en valeur du sport féminin et permet de mettre en place un cercle économique vertueux. L'opération médiatique que j'ai évoquée vise à inciter les éditeurs de télévision et de radio français à diffuser des compétitions féminines, à inviter des sportives sur leur plateau, à faire appel à davantage de consultantes lorsqu'il s'agit de sport féminin - mais aussi de sport masculin - et à débattre sur le sport féminin avec des femmes et avec des hommes. En effet, il est important que les hommes soient impliqués dans cette démarche. Nous devons nous saisir de ce sujet afin de parvenir à une mixité dans le sport et dans la société.
Plus de 30 chaînes de télévision nationales et locales ont participé à cette opération, dont 21 sont des chaînes gratuites, ce qui permet une bonne exposition de l'événement. Plus de dix stations de radio internationales, nationales et locales y ont également contribué, dont le réseau France Bleu, via 44 antennes locales différentes. Pour aller plus loin sur le sujet de la médiatisation, j'ai entamé un dialogue avec les dirigeants de grandes chaînes de télévision française afin de les sensibiliser et de les inciter fortement à renforcer la présence du sport féminin dans leurs programmes, qu'il s'agisse des programmes diffusés ou des contenus à la demande et en ligne, qui représentent l'avenir de la consommation de la télévision. En effet, il est important de proposer du sport mixte ou du sport spécifiquement féminin afin d'occuper l'espace médiatique sur Internet. C'est dans ce sens que j'ai rencontré récemment la présidente de France Télévisions. Je rencontrerai prochainement les dirigeants de TF1 et Canal Plus, qui seront les co-diffuseurs de la Coupe du monde féminine de football, pour échanger avec eux sur l'accompagnement qui sera mis en place en amont de la compétition.
Je compte enfin sur l'organisation de la Coupe du Monde FIFA de football féminin en 2019 pour amplifier notre action en faveur du sport féminin. Cela constituera une occasion unique de mettre le sport féminin sous les feux des projecteurs. Je me réjouis que Brigitte Henriques, la vice-présidente de la Fédération française de football (FFF) qui dirige cet événement, soit pleinement impliquée et consciente du rôle que celui-ci doit jouer, tout comme les joueuses de l'équipe de France, qui se sentent fortement mobilisées.
La Coupe du Monde réunira en France 500 joueuses de 24 pays, qui disputeront 52 matchs dans neuf villes hôtes : Paris, Lyon, Rennes, Reims, Le Havre, Valenciennes, Montpellier, Nice et Grenoble. L'événement devrait concerner un milliard de téléspectateurs dans le monde, contre 750 millions pour l'édition précédente au Canada. 1,3 million de billets seront mis en vente. La billetterie a été ouverte en septembre et près de 200 000 places ont déjà trouvé acquéreur, pour moitié à l'étranger. Grâce à une politique tarifaire raisonnable, l'événement sera abordable pour les familles, avec des « packs » à partir de 25 euros. Les billets permettront en outre de couvrir plusieurs matchs si l'équipe s'est qualifiée. L'État a accordé une subvention de 6 millions d'euros pour cet événement, sur un budget total de 38 millions d'euros. Il s'investit considérablement aux côtés du comité d'organisation, de la FFF et de la FIFA, qui se montre très concernée. J'ai pu rencontrer la secrétaire générale de la FIFA, qui a témoigné de sa volonté de remplir les stades et de soutenir plus largement une politique de développement du sport féminin. Avec l'ensemble de ces partenaires, nous souhaitons que cet événement rencontre un réel succès populaire et médiatique.
Je ne doute pas que nous saurons relever ce défi tous ensemble. Il viendra contribuer à notre effort pour la féminisation du sport et pour l'avancée du combat de l'égalité et de l'émancipation. Cette Coupe du monde féminine de football doit donner à voir la beauté du sport et la liberté de choix de chacune d'entre nous, car nous savons toutes que l'exemple est un mécanisme fondamental. L'identification à une femme que l'on voit à la télévision, que le public écoute ou acclame, qui reçoit une promotion ou une médaille, incite les petites filles et leurs parents à oser dépasser les habitudes et les stéréotypes.
Je vous remercie pour votre écoute et suis à votre disposition pour discuter plus avant.