Intervention de Philippe Herscu

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 30 janvier 2019 à 10h10
Audition de M. Christophe Béchu président du conseil d'administration de l'agence de financement des infrastructures de transport de france afitf

Philippe Herscu, conseiller de l'Assemblée des départements de France :

Les départements, vous l'avez dit, totalisent plus de 100 000 ponts sur le réseau routier, qui compte en tout environ 380 000 kilomètres de routes, l'État en totalisant plus de 12 000 kilomètres. La particularité de nos ponts est d'être deux à quatre fois plus petits que ceux de l'État, en rapport avec le réseau que nous couvrons.

Nos équipes routières suivent soigneusement le patrimoine grâce à l'Instruction technique pour la surveillance et l'entretien des ouvrages d'art (ITSEOA), référentiel utilisé par plus de 60 % des départements. Les données qui suivent sont tirées des travaux de l'Observatoire national de la route.

50 % des départements indiquent effectuer une visite par an au minimum sur les ouvrages en mauvais état. 50 % visitent les ponts tous les deux à neuf ans, les visites se rapprochant en fonction de l'état du bâti et des caractéristiques techniques. On peut avoir différentes typologies de ponts, différentes générations. C'est d'ailleurs une des problématiques importantes : beaucoup de ponts, notamment dans l'Est, ont été construits après la guerre et nécessitent aujourd'hui des travaux lourds, voire des reconstructions.

C'est assez inégal suivant les départements et leur place dans le réseau hydrographique, certaines rivières pouvant être plus importantes que d'autres. Les ponts peuvent être plus ou moins anciens suivant les phases de démolition et de reconstruction que le territoire a pu connaître au fur et à mesure du temps.

L'Observatoire national nous apprend par ailleurs que 64 % de nos ponts sont en bon état structurel, 27,5 % nécessitant des travaux spécialisés sans que la structure elle-même soit touchée. 6,7 % présentent une structure qui nécessite des travaux de réparation, et 2 % ont une structure altérée, ce qui peut conduire à des restrictions de circulation en fonction du tonnage sur 1 % des ouvrages d'art.

Les départements estiment pour une grande majorité avoir les moyens techniques et humains nécessaires pour suivre et organiser l'entretien de ce patrimoine. Cependant, 21 % évoquent des difficultés liées au manque de personnel, notamment au fur et à mesure des départs à la retraite, nos budgets de fonctionnement étant sous pression. Peu de compétences sont par ailleurs disponibles dans le domaine très pointu des ouvrages d'art.

Certains départements regrettent également le manque de compétences des entreprises privées, ce secteur d'activité n'étant pas le plus rentable et nécessitant une spécialisation extrêmement poussée.

L'entretien est bien sûr coûteux dans le contexte de crise que nous connaissons. La part consacrée à la préservation du patrimoine des ouvrages d'art se situe dans une fourchette qui va de 15 % à 20 % des budgets de grosses réparations pour les grands départements à 12 % à 14 % pour les petits départements et les départements moyens, avec une tendance à l'augmentation dans la période récente.

L'enquête que nous avons par ailleurs menée pour compléter celle de l'Observatoire nous révèle qu'environ 0,48 % des ponts devraient être reconstruits dans les cinq ans qui viennent, soit une moyenne de cinq ponts par département. Il peut aussi s'agir de grosses réparations pouvant constituer une alternative à la reconstruction, corrélée à l'âge du pont et aux dégâts occasionnés par la Seconde Guerre mondiale.

Interrogés sur les impacts financiers, les départements estiment que l'entretien et la reconstruction éventuelle posent des problèmes financiers très importants pour 13 % d'entre eux, importants pour 53 %, peu importants pour 28 %, 6 % ne se prononçant pas. Les tensions financières et budgétaires sont importantes si l'on mesure l'écart entre les besoins de renouvellement du parc et les moyens disponibles. Ces tensions sont évidemment bien plus importantes quand on a la responsabilité de grands ouvrages d'art et lorsqu'ils sont anciens.

Les coûts sont également sensiblement renchéris lorsque les ponts surplombent des voies ferrées ou des canaux, SNCF Réseau et Voies navigables de France (VNF) facturant des coûts jugés exorbitants au titre de l'interruption du trafic, parfois l'équivalent des travaux envisagés. Les relations avec ces opérateurs sont perfectibles.

On a interrogé les départements en leur demandant s'ils considéraient que la SNCF et VNF respectaient leurs engagements concernant l'entretien des ponts prévu dans le cadre de conventions. Ceci fait référence aux ouvrages de rétablissement, l'entretien et la réparation d'ouvrages d'art incombant, d'après la jurisprudence, à celui qui possède la route supportée par cet ouvrage d'art, sauf dans le cas où des conventions ont été conclues précédemment. Une loi prévoyant la conclusion obligatoire de telles conventions a été votée récemment pour les ouvrages neufs, mais le parc ancien, le plus important, n'est pas couvert par des conventions. Lorsqu'il en existe, elles sont parfois l'objet de dissensus. 35 % considèrent que ces opérateurs n'entretiennent pas l'ouvrage à la hauteur de ce qui était prévu dans le cadre de la convention, 37 % répondent négativement et 26 % ne se prononcent pas.

Sont évoqués le non-respect ou la contestation juridique des conventions répartissant les responsabilités d'entretien des ouvrages. Certains départements constatent une absence ou une insuffisance d'entretien aboutissant, in fine, à une dégradation de l'infrastructure et à l'obligation de renouveler le pont, parfois une mauvaise volonté ou un manque de réactivité de la part des opérateurs pour transmettre les conventions et les dossiers techniques relatifs aux ouvrages ou les conclusions de visites d'inspection. Il est difficile d'établir le dialogue pour rétablir les conventions sur les ouvrages neufs, du fait des changements fréquents d'interlocuteurs.

Nous avons également interrogé les départements sur leur action au service du bloc local en leur demandant s'ils sont directement ou indirectement en mesure d'apporter une assistance technique aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans ce domaine, sachant que de nombreux départements travaillent en partenariat et que la loi NOTRe leur donne une compétence d'ingénierie pour raisons de solidarité territoriale. 13 % ont répondu être tout à fait en mesure d'apporter une assistance technique, 58 % en étant capables en partie, en fonction de l'évolution du personnel et des compétences internes, 21 % en étant incapables et 7 % ne se prononçant pas.

Par ailleurs, 26 % des départements affirment avoir mis en place des aides spécifiques pour financer les routes et les ouvrages d'art des collectivités locales. Vous savez que l'on donne plus de 1,6 milliard d'euros de subventions aux collectivités du bloc local sous différentes formes. Certaines mettent en place une ligne budgétaire particulière à ce titre.

Nous avons également interrogé les départements sur leurs préconisations dans le cas d'un plan national. Le premier point évoqué est celui du financement. Il est déterminant pour de nombreux départements et sera croissant à mesure que le patrimoine va vieillir. Beaucoup demandent la création d'un fonds spécifique abondé par l'État - amendes de police, vignette poids lourds... Il y a là tout un patrimoine qui, dans l'état actuel de nos finances, va poser un problème de plus en plus important pour l'entretien.

Il est également nécessaire de faciliter le suivi et le contrôle de ces ouvrages en temps réel. Tout ce qui concerne le contrôle des ouvrages, les audits, etc., est comptabilisé au titre du fonctionnement, lui-même plafonné dans le cas des pactes financiers à 1,2 %. Nous pensons que toutes ces actions de fonctionnement qui contribuent à la pérennisation de l'ouvrage devraient pouvoir être comptabilisées au titre de l'investissement et ne fassent pas l'objet de restrictions.

Il nous faut également maintenir et développer un centre de ressources spécialisées au niveau national sur la question de la maintenance et de la construction des ouvrages d'art. On pense surtout au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), dont les départements sont le plus grand client. Un droit de tirage doit être prévu dans ce domaine. Nous attendons beaucoup du CEREMA en termes d'ingénierie technique. Il a déjà, dans certains départements, préconisé des solutions innovantes, alternatives à la reconstruction de ponts. Vous en verrez un exemple en Moselle.

Il faut donc sans cesse innover, trouver de nouvelles solutions, si possible moins chères. Le benchmarking est également nécessaire, tout comme le fait de sans cesse se maintenir à la pointe en matière technique, afin que la France demeure le pays des ponts et chaussées.

Une simplification réglementaire et administrative est également réclamée. Les techniciens nous disent que les dossiers exigés au titre de la loi sur l'eau et de l'environnement sont souvent excessifs. Les contraintes imposées par les architectes des Bâtiments de France sont également pointées du doigt - c'est un classique,

Certains dénoncent des problèmes de gestion prévisionnelle des compétences. Il est par ailleurs très important d'animer la communauté technique et d'avoir des échanges de bonnes pratiques. Les conférences techniques interdépartementales des transports et de l'aménagement (CoTITA) ne sont sans doute pas suffisantes. Il faut faire davantage, en partenariat avec le CEREMA.

Il faut aussi mieux connaître le patrimoine et continuer les travaux que l'Observatoire national de la route mène avec l'IDRRIM, pour arriver progressivement à un système d'information géographique (SIG) des ponts en France et à une cartographie de leur état, fluidifier et améliorer les rapports avec la SNCF et VNF en les obligeant notamment à respecter les conventions.

Il faut enfin remédier au manque d'entretien des ponts de l'État, qui impose une restriction des tonnages et entraîne un report de la circulation des camions ou des convois exceptionnels sur les ponts appartenant aux départements.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion