Il s'agit en effet d'un sujet important pour la transformation publique.
Je précise que la lettre de mission qui m'a été adressée le 2 octobre dernier est cosignée par Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, au titre des finances sociales et de la tutelle de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).
Commençons par définir le champ de notre réflexion. Nous sommes partis du constat que les opérateurs qui s'occupent du recouvrement des prélèvements obligatoires sont très nombreux ; le rapport du Comité Action publique 2022 (CAP 2022) du printemps 2018 en recensait deux cent cinquante, pour un nombre de prélèvements supérieur à six cents. Ainsi, quand on est redevable - entreprise ou particulier - et que l'on doit s'acquitter d'impôts, de taxes et de cotisations sociales, on a affaire à un grand nombre d'interlocuteurs. Il m'est donc demandé s'il serait intéressant de rationaliser cet ensemble et si cette situation est source de complexité pour les contribuables.
Notre champ initial recouvre les prélèvements obligatoires, c'est-à-dire, selon l'OCDE, ce que l'on n'a pas le choix de payer : impôts, taxes et cotisations sociales. Les prélèvements obligatoires représentent, en 2017, 1 038 milliards d'euros, soit 45,3 % du PIB.
Cela dit, il nous semble que l'on ne doit pas forcément se limiter à ce champ. Les opérateurs sont polarisés, pour la partie fiscale, autour de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), qui collecte 80 % de la masse des impôts et taxes, et de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), et, pour la partie sociale, autour de l'Acoss, qui recouvre 72 % des montants de cotisations sociales.
Nous considérons que l'on peut étendre le sujet, disais-je, car l'Acoss et la DGFiP recouvrent des « choses », si j'ose dire, qui ne correspondent pas à la définition des prélèvements obligatoires que je vous ai donnée, mais qu'il convient d'inclure dans notre réflexion ; je pense en particulier aux redevances. Les redevances ont, contrairement aux prélèvements obligatoires, une contrepartie directe ; seuls les acquittent ceux qui bénéficient du service fourni. En effet, il paraîtrait étonnant de s'orienter vers un, deux ou trois interlocuteurs sans tenir compte du regroupement qui a été fait précédemment ; aujourd'hui, les entreprises paient leurs impôts et redevances auprès d'un seul interlocuteur, la DGFiP. Il serait absurde de leur demander de payer, à l'avenir, leurs impôts auprès d'un nouvel interlocuteur unique mais de continuer de s'acquitter de leurs redevances auprès de la DGFiP.
Par ailleurs, lors du dernier comité interministériel de la transformation publique, le 29 octobre dernier, le Gouvernement a évoqué l'hypothèse d'une agence unique du recouvrement des entreprises. De quel redevable parlons-nous dans le cadre de notre mission, est-ce uniquement des entreprises, du travailleur indépendant au grand groupe ? En réalité, la question des particuliers se pose aussi, car ceux-ci ont aujourd'hui un interlocuteur unique, la DGFiP - en particulier, les travailleurs indépendants s'acquittent de leur impôt professionnel et leur impôt personnel auprès de la DGFiP. Il ne faut pas remettre cela en cause. Par ailleurs, les particuliers employeurs ont déjà affaire à l'Acoss. Nous irons donc au-delà des seules entreprises.
J'en viens aux trois objectifs de la mission.
Premièrement, nous ne modifierons pas les organisations existantes ni le droit applicable si cela ne correspond pas aux attentes des usagers, notamment des redevables que sont les entreprises. Notre premier objectif est de simplifier réellement les démarches de ces usagers. Par exemple, quand un contribuable communique une information sur sa situation, il doit contacter l'Acoss, les Douanes, la DGFiP, etc. On pourrait imaginer qu'il ne la transmette plus qu'une seule fois, à un interlocuteur unique, et que les organismes se la communiquent entre eux. De même, on peut imaginer qu'un redevable souhaitant poser une question à l'administration n'interroge qu'un seul point de contact et n'obtienne qu'une réponse, tant pour le volet fiscal que pour le volet social.
On peut aussi concevoir qu'une entreprise rencontrant des difficultés de paiement n'ait pas à exposer sa situation à plusieurs organismes, mais qu'elle puisse faire sa demande une seule fois et que les organismes de recouvrement répondent de même.
Deuxièmement, nous tâcherons d'améliorer, au travers de cette réforme, le taux de recouvrement des prélèvements obligatoires. Aujourd'hui, l'Acoss, la DGFiP et les Douanes affichent des taux d'encaissement spontané très élevés, de l'ordre de 98 à 99 %. La très grande majorité des redevables s'acquitte donc très vite des prélèvements obligatoires. Il paraît difficile d'améliorer substantiellement ces taux, mais, eu égard aux masses en jeu, les améliorer ne serait-ce que de dix points de base permettrait de collecter quelques dizaines de millions d'euros supplémentaires.
En réalité, c'est surtout le recouvrement forcé qui offre de réelles perspectives d'amélioration ; les procédures sont très différentes entre la sphère sociale et la sphère fiscale, et il est difficile d'être efficace sans disposer d'une vision consolidée sur la situation d'ensemble d'un redevable qui permettrait d'améliorer l'efficacité de ce recouvrement.
Troisièmement, nous essaierons d'apporter un gain d'efficience pour le service public. Si l'on veut mobiliser moins d'agents publics pour ces missions de recouvrement, que ce soit pour diminuer le nombre total d'agents publics ou que ce soit pour les redéployer vers des missions plus importantes, on doit se demander si l'on peut faire aussi bien, voire mieux, avec moins d'agents.
J'en arrive maintenant aux trois pistes que nous envisageons, qui peuvent être complémentaires.
Avant de constituer une agence unique, on peut d'abord aller plus loin dans l'unification du recouvrement au sein de chacune des deux sphères. Du côté fiscal, le recouvrement est déjà très polarisé autour de la DGFiP et des Douanes. Plusieurs transferts du recouvrement de taxes douanières, telles que la taxe générale sur les activités polluantes, ont été prévus dans la loi de finances pour 2019 ; ainsi, d'ici un, deux ou trois ans, la DGFiP recouvrera ces taxes. Néanmoins, le Gouvernement n'a pas prévu de s'arrêter là, et j'approfondirai la question du transfert, vers la DGFiP, d'autres taxes des Douanes ou de petits opérateurs publics.
Il en va de même dans la sphère sociale. Ainsi, la loi dite Pénicaud, adoptée l'été dernier, prévoit le transfert du recouvrement de la contribution à la formation professionnelle des organismes de formation professionnelle vers les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf). Le recouvrement des cotisations des travailleurs indépendants a également été transféré aux Urssaf. Nous verrons si l'on peut aller plus loin.
Ensuite, deuxième piste, on peut développer des services communs sans fusionner les opérateurs. Outre le fait d'harmoniser les procédures, on peut prévoir une plus forte interaction des administrations entre elles, lors de la naissance de l'entreprise ; le guichet de création des entreprises pourrait offrir plus de services auprès des jeunes entreprises. De même, à l'échelon départemental, la commission des chefs de services financiers (CCSF), avec la direction régionale des finances publiques (DRFiP) et l'Urssaf de la région, pourrait accompagner les entreprises en difficulté en amont, avant que les problèmes ne s'intensifient.
Enfin, on pourrait créer un portail informatique sur lequel les entreprises, et éventuellement, à terme, les particuliers, pourraient faire certaines démarches et obtenir une compensation des créances et des dettes. Ainsi, lorsqu'une entreprise doit payer des cotisations sociales et récupérer un crédit de TVA, on pourrait prévoir une compensation.
Le mot d'« agence » a été cité. Le ministre me demande de réfléchir aux conditions favorisant le meilleur service pour le redevable, et me demande si la fusion organique des opérateurs actuels serait la meilleure solution pour y parvenir. On peut se contenter de la mise en place d'un portail numérique sans fusion organique ; on peut concevoir au contraire une grande agence unique obtenue par la fusion des administrations, mais la présence de fonctionnaires d'État et de salariés de droit privé rend cette opération très délicate ; entre ces deux options, il y a des solutions intermédiaires, avec la mise en commun d'une partie du recouvrement, par exemple le recouvrement forcé.