Intervention de Yves Détraigne

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 6 février 2019 à 9h10
Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions — Examen en nouvelle lecture du rapport et des textes de la commission

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne, rapporteur :

Le 13 décembre 2018, soit deux jours seulement après l'achèvement de la première lecture par l'Assemblée nationale, la commission mixte paritaire, effectivement, n'a pas été conclusive. L'Assemblée nationale a refusé par principe de débattre pour trouver un compromis, alors qu'en première lecture le Sénat avait approuvé l'orientation générale de la réforme, tout en retenant des options différentes sur certains aspects. Les députés ont, pour l'essentiel, rétabli le texte initial du Gouvernement, tout en introduisant des mesures discutables.

Pour nourrir le dialogue, notre commission a organisé une large table ronde le 30 janvier, avec les représentants des avocats, des magistrats et des fonctionnaires de greffe. Cette démarche a été appréciée par les milieux judiciaires et a montré que les options retenues par le Sénat en première lecture, sous réserve de certains ajustements, étaient plus équilibrées et de nature à mieux répondre aux inquiétudes des milieux judiciaires, tant en matière d'accès au juge civil et de protection des personnes les plus fragiles que de protection des libertés et des droits de la défense, ou encore de maintien de la proximité de la justice.

Lors de son audition, organisée juste après cette table ronde, la garde des sceaux a bien fait comprendre que le Gouvernement n'entendait pas revenir sur les dispositions les plus contestées ou contestables de la réforme. La situation apparaît donc bloquée. Ce refus de tout dialogue a beaucoup heurté - ce n'est pas la première fois, en matière de justice, que nous sommes confrontés à une telle attitude de la part de l'Assemblée nationale vis-à-vis du Sénat...

Mais le contexte national a évolué. Le grand débat est en cours et notre président, Philippe Bas, a proposé, le 31 janvier, compte tenu de l'hostilité sans précédent des milieux judiciaires à l'encontre de cette réforme - qui s'est exprimée dans la manifestation du 15 janvier -, de suspendre son examen, pour ouvrir un dialogue entre la garde des sceaux et les représentants du monde judiciaire. Néanmoins, le Gouvernement reste dans un esprit de fermeture.

Dans ces conditions, quelle stratégie adopter pour la nouvelle lecture devant le Sénat ?

Nous aurions pu rejeter le texte par une question préalable - ce qui aurait eu la préférence du Gouvernement semble-t-il -, mais ce serait contraire à tout esprit de dialogue et de recherche de compromis. Seconde option, nous pouvons procéder à une vraie nouvelle lecture, pour faire vivre le dialogue et montrer ce que devrait être une réforme de la justice ambitieuse et à l'écoute des professionnels, sur la base de trois principes.

D'abord, nous pouvons accepter les améliorations et ajouts de l'Assemblée nationale qui ne soulèvent pas de difficultés de principe, en matière pénale principalement, où les ajouts ont été nombreux : le retrait du contrôle des débits de boissons des missions du procureur de la République ; la suppression de la participation de magistrats à diverses commissions administratives ; l'extension des possibilités d'anonymisation des policiers et gendarmes dans les procédures ; le dossier entièrement numérique dans le cadre de la procédure pénale ; les mesures pour améliorer les procédures d'entraide internationale ; les précisions relatives aux règles de sécurité autour des établissements pénitentiaires ; les clarifications apportées au régime des fouilles ; les dispositions visant à remédier à des questions prioritaires de constitutionnalité.

Deuxième principe, nous proposons de refuser les ajouts discutables de l'Assemblée nationale, notamment : la création du parquet national antiterroriste (PNAT) ; l'habilitation à réformer la justice des mineurs par ordonnance ; la mutualisation des greffes des conseils de prud'hommes et des nouveaux tribunaux de première instance ; la vaste réforme des tutelles introduite discrètement par le Gouvernement pour plus d'économies, alors que les risques sont lourds pour les personnes concernées du fait de la suppression du contrôle sur de nombreux actes, y compris sur le mariage.

Enfin, nous souhaitons réintroduire les modifications apportées à la réforme par le Sénat en première lecture, tout en prenant en compte les critiques des représentants du monde judiciaire, et en particulier : le relèvement de la trajectoire budgétaire ; la certification obligatoire des services en ligne de règlement amiable des litiges ; la suppression de l'extension de l'obligation de tentative de règlement amiable préalable à toute saisine du juge en matière civile ; le maintien de la phase amiable dans la procédure de divorce contentieux ; la suppression de la révision des pensions alimentaires par les caisses d'allocations familiales (CAF) ; le contrôle effectif des comptes de gestion des tutelles ; le rétablissement de la réforme de l'aide juridictionnelle et de la réforme des tribunaux de commerce ; la possibilité de refuser une procédure entièrement dématérialisée pour les petits litiges civils ou les injonctions de payer ; la suppression de la spécialisation de certains tribunaux en matière civile et pénale au sein d'un même département - et même à l'échelle de deux départements dans le texte de l'Assemblée nationale ; la possibilité de se faire assister par un avocat lors d'une perquisition ; l'obligation de présentation au procureur pour toute prolongation de garde à vue ; la limitation de l'extension des techniques spéciales d'enquête ; la suppression de la procédure de comparution à délai différé ; la création d'une peine autonome de probation ; la refonte du système de l'aménagement des peines, en renforçant la responsabilité de la juridiction de jugement en la matière, pour que la peine prononcée soit en principe la peine exécutée...

Grâce à cette vraie nouvelle lecture, les députés pourront, dans le cadre du « dernier mot », reprendre les dispositions plus équilibrées retenues par le Sénat. En effet, selon l'article 45 de la Constitution, l'Assemblée nationale reprend le dernier texte voté par elle, en nouvelle lecture, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat : seuls les amendements adoptés par le Sénat sont donc recevables et peuvent être présentés et discutés.

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