La Mildeca (mission interministérielle contre drogues et les conduites addictives) est une petite administration placée aux côtés du Premier ministre et dont le principe est d'assurer la cohérence de l'action de l'action des ministères pour lutter contre les conduites addictives au sens large. Nous nous intéressons donc à la fois aux substances psychoactives illicites mais aussi aux substances licites et nous commençons notre expertise sur les comportements sans substance comme les écrans ou les jeux vidéo. Nous sommes aidés en cela par deux opérateurs : l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies qui donc nous fournit les données nécessaires pour guider la politique publique, et le Centre interministériel de formation anti-drogue situé à Fort-de-France, qui dispense des formations en direction des fonctionnaires des pays de la zone d'Amérique du Sud qui sont les grands pourvoyeurs de la cocaïne.
Nous disposons de deux types de budget : la loi de finances nous alloue autour de 15 millions d'euros et nous gérons le fonds de concours drogue qui est constitué du produit des confiscations dans le cadre des enquêtes pour trafic de stupéfiants. Le plan national de mobilisation contre les addictions a effectivement tardé à être adopté. Il est le fruit de longs mois de travail avec une vingtaine de ministères, complétés par des contributions des associations de professionnels et d'usagers.
Le principe qui a présidé à ce plan est un principe de connaissance. Il consiste à se baser sur ce que nous dit la science dans ses aspects parfois les plus fondamentaux mais aussi les sciences sociales sur la réalité de ces consommations psychoactives, des comportements, de leurs déterminants et de leurs conséquences. Nous avons fait un gros effort de prise de connaissance de la littérature scientifique pour acquérir une vision très claire et pouvoir dire la vérité aux Français. Notre souhait serait d'embarquer aussi les professionnels au-delà de ceux qui sont le plus habituellement concernés par ce sujet - je pense aux addictologues - qui arrivent souvent en bout de chaîne pour constater des troubles devenus assez graves. Quelles sont ces « vérités » ?
La première d'entre elles est que le niveau de consommations de substances psychoactives reste particulièrement préoccupant pour un certain nombre d'entre elles. Le tabac reste le tueur en série historique avec 73 000 décès par an devant l'alcool avec 49 000 décès même si des signaux nous laissent penser que ce chiffre pourrait être revu prochainement à la baisse. Il y aussi le cannabis qui pose un problème particulier compte-tenu du niveau de consommation notamment chez les jeunes, même si des chiffres récents sur les jeunes de 17 ans laissent entrevoir une amélioration. Les niveaux de consommation restent néanmoins très forts par rapport à nos voisins européens. Il y a aussi des substances dont on parle finalement un petit peu moins mais qu'il faut surveiller, en particulier la cocaïne. Compte tenu d'une offre des pays sud-américains qui atteint les niveaux historiques des années 80, ce produit est proposé sur le marché à un prix qui n'a jamais été aussi bas. Il se diffuse donc au-delà des groupes de populations habituellement consommateurs. Je souhaite présenter les produits dans cet ordre-là pour rappeler le poids épidémiologique très singulier de la consommation de tabac et d'alcool. S'agissant des écrans et des jeux vidéo, il y a un besoin de fournir aux parents des repères sur ces usages qui commencent souvent très tôt. Au-delà du fait qu'ils peuvent entraîner des comportements vraiment addictifs, ils peuvent conduire à passer à côté d'autres apprentissages nécessaires durant la petite enfance.
D'une façon générale, nous avons été frappés de constater la fréquence de représentations dans la population et même auprès d'un certain nombre de professionnels. Tout d'abord, les usages problématiques seraient toujours ceux des autres. Or, tous les milieux sociaux sont atteints. Certes, comme souvent en matière de santé publique, on note l'effet de certaines inégalités sociales mais on voit aussi augmenter la consommation d'alcool chez les femmes, souvent de milieux plutôt aisés ; c'est un problème nouveau.
Le deuxième enseignement concerne les trafics. Lorsque j'ai rencontré la commission santé de l'association des maires de France, j'ai été frappé d'entendre un certain nombre d'élus de petites villes nous dire que du jeudi soir au samedi soir - quand les jeunes font la fête -, le trafic se déploie.
La troisième question est celle du cannabis. Sa dangerosité a trop souvent été niée en particulier pour les jeunes. Or, les neurosciences démontrent les effets de la consommation d'alcool ou de cannabis sur des cerveaux en maturation, depuis le ventre de la mère jusqu'à 20 ou 25 ans. Cela crée des problèmes importants sur le développement cérébral, des troubles de la cognition - tels que des troubles de la mémoire -, et des troubles de l'attention. Même si la plupart de ces troubles sont réversibles, du temps a néanmoins été perdu pour le jeune au plan éducatif ou au plan de la relation sociale ; et il ne se rattrape pas.
L'Inserm a bien montré l'année dernière, au sein d'une cohorte de jeunes, que ceux qui consommaient de façon précoce du cannabis sont plus singulièrement en échec scolaire. Le cannabis a donc un réel impact au-delà des cas heureusement assez rares de maladies psychiatriques aiguës ou chroniques. À ceci s'ajoute qu'en France, on consomme essentiellement de la résine de cannabis, ce qui implique un mélange avec du tabac.
A propos du tabac, l'une des fake news entendues est que la bataille serait gagnée. Paquet neutre, augmentation du prix etc... : tout irait bien. Restons raisonnables car malgré des succès importants, le tabac demeure le tueur en série historique. Il y a aussi toutes les informations plus ou moins justes qui circulent sur le plan de la consommation. Je mets les pieds dans le plat concernant le débat qui a récemment agité les ministres. Nous avons effectivement un problème de reconnaissance. Or, nous devons tenir aux Français un discours de vérité sur les consommations problématiques, y compris d'alcool. C'est vrai en particulier chez les jeunes et cela commence parfois dès le ventre de la mère : un millier d'enfants naissent chaque année avec un syndrome d'alcoolisation foetale, notamment dans les territoires d'Outre-mer. C'est inacceptable ! On sait aussi que ce que certains défendent comme une initiation du goût en famille conduit plus tard à des conduites à risques à l'adolescence et durant la jeunesse. Je n'ai pas d'opinion a priori sur le sujet ; c'est la science qui nous le dit. Certaines études démontrent le lien entre les consommations très précoces durant la pré-adolescence et la fréquence des alcoolisations ponctuelles importantes un peu plus tard dans la vie.
Enfin, des repères de consommations à moindre risque ont été publiés par Santé publique France, que nous reprenons volontiers à notre compte. Ils montrent bien combien nous aurions tous intérêt à en prendre connaissance. Pour un homme ou pour une femme, il s'agit par exemple de dix verres standards d'alcool par semaine, soit pas plus de deux verres par jour avec au moins un jour sans alcool. Parmi les autres recommandations, la plus importante est vraiment de ne pas consommer du tout pendant la grossesse. On peut porter ce discours auprès des jeunes femmes aujourd'hui en leur disant que lorsque l'on arrête sa contraception, on arrête aussi l'alcool.
Outre le constat sur le plan épidémiologique et en matière de la mortalité, il y a aussi des conséquences économiques pour la société française. Le coût social, qui n'a pas été démenti, s'élève à environ 120 milliards d'euros par an pour la consommation du tabac chaque année et aussi à 120 milliards d'euros pour la consommation d'alcool.
C'est un sujet de société qui nous concerne tous, en particulier s'agissant des plus jeunes d'entre nous. Dans le plan de mobilisation contre les addictions, la priorité est donnée à la prévention, en particulier en direction des enfants, des jeunes et de leur entourage. Cela recouvre leurs parents, mais aussi le milieu éducatif ou encore le milieu sportif. Nous souhaitons que tous soient en quelque sorte « embarqués » pour tenir un discours de vérité. Notre document laisse donc une très grande part au discours public à relayer aux plus proches des plus jeunes. Il ne s'agit pas de moraliser ni d'interdire plus que de raison mais éclairer pour essayer de responsabiliser en particulier les adultes.
Quant aux fake news, elles sont connues en matière l'alcool comme de cannabis. Le lobbying en faveur de l'alcool est assez facilement identifié. Concernant le cannabis, le message de vigilance est mis à mal aujourd'hui par des discours extrêmement ambigus. On y mélange volontiers le cannabis récréatif et le cannabis thérapeutique. Il n'y a pas lieu de s'opposer à ce dernier si son utilité est démontrée, à condition de bien préciser tel un médicament les conditions de prescription et de délivrance. Il faut aussi une mesure très claire des effets favorables comme des risques pour les personnes éventuellement bénéficiaires de ces nouveaux traitements. On sait aujourd'hui qu'un certain nombre d'industriels, qui sont essentiellement basés aujourd'hui en Amérique du nord, profitent d'une confusion, entretenue à dessein, pour pousser à la légalisation en France et en Europe en général. Le Luxembourg a annoncé cette mise en vente du cannabis contrôlée par l'Etat dans les années à venir, tandis que le Canada a déjà pris cette décision qui met à mal un certain nombre de traités internationaux. On peut avoir ce débat mais il doit reposer sur des arguments objectifs. C'est que l'on exige aujourd'hui pour l'alcool ; ce doit être la même chose pour le cannabis.
Nous avons aussi identifié ce qui marchait en direction des jeunes, en particulier sur le renforcement des compétences psychosociales dans le cadre des programmes scolaires. Au primaire ou au collège, il s'agit par exemple de travailler sur l'estime de soi, la confiance dans l'adulte et la confiance dans les pairs. Lorsque l'on se sent un peu fragile vis-à-vis de ses propres comportements, le but est de se raccrocher à des choses qui vous solidifient. Au-delà de l'expérimentation - qui parait assez inéluctable à certains âges - le but est de ne pas s'orienter vers des consommations plus régulières, voire des addictions.
On a travaillé beaucoup avec Santé publique France ainsi qu'avec l'éducation nationale, le ministère de la santé, et aujourd'hui on sait que ce sont ces types de programmes intégrés dans les enseignements ordinaires qui peuvent faire basculer dans le bon sens les comportements des jeunes. Indépendamment de notre sujet, cela a aussi des effets positifs en matière de risques de violence, de réussite scolaire et d'apaisement du climat au sein des établissements. Nous souhaitons aujourd'hui déployer tout cela au sein de l'éducation nationale.
Nous sommes effectivement plus circonspects quant aux interventions ponctuelles qui souffrent parfois d'une absence de coordination. Le plan prévoit d'ailleurs de les évaluer de manière plus précise. Des informations de nature extrêmement diverses sont en effet parfois dispensées par des professionnels, eux-mêmes venant d'horizons extrêmement différents. On ne diffuse par alors toujours le bon discours, pas toujours au bon moment, pas toujours au bon âge. Un des objectifs du plan est de faire un peu le tri et de fournir aux chefs d'établissements scolaires un parcours d'informations balisé sur ce sujet de la prévention des conduites addictives, par la transmission de contenus informatifs
On a aussi préconisé d'avoir davantage recours à des techniques telles que la médiation scientifique aujourd'hui proposées dans un certain nombre d'établissements, par l'intermédiaire d'associations telles que « L'arbre des connaissances ». Elles ne projettent pas les jeunes sur des risques hypothétiques à 30 ou 40 ans mais elles posent des questions, tout à fait intéressantes pour eux. On modélise par exemple l'impact de la consommation des substances psychoactives sur le cerveau.
En matière législative, vous avez vu qu'il n'y a pas de propositions nouvelles sur la loi Evin au sens large. Le choix du Gouvernement a été de se concentrer sur le respect de ce qui existe déjà. Il y a déjà le sujet du respect de l'interdiction de vente de tabac d'alcool et de jeux de hasard et d'argent aux mineurs.
Je souhaiterais aussi rappeler que 30 à 40 % des crimes et délits sont réalisés sous l'influence d'une consommation d'alcool aiguë, le plus souvent sur fond d'alcoolisation chronique. Ce sont énormément de violences intrafamiliales, par exemple, envers les femmes qui sont commises sous l'influence de l'alcool. Je me suis rendu, il y a peu, à Calais pour travailler avec la maire. Lorsqu'elle m'a reçu avec le procureur, ils m'ont dit que chez eux 80 % des faits de violences intrafamiliales étaient liées à des consommations problématiques d'alcool.
Notre plan choisit de renforcer le respect des interdits protecteurs dont l'interdiction de vente de tabac et d'alcool aux mineurs. A cette fin, nous travaillons aujourd'hui avec les préfectures et un certain nombre d'acteurs économiques, sous deux angles :
- un angle de formation professionnelle pour que les détaillants, les grandes surfaces et les buralistes se sentent plus à l'aise avec ces questions. Souvent, les hôtesses de caisse ou les buralistes ne sont pas très à l'aise pour demander les cartes d'identité ;
- un autre angle est celui des contrôles. Nous avons écrit aux préfets pour mettre en place davantage de contrôles ciblés dès l'année 2019. Il sera certes assez compliqué d'identifier précisément les contrevenants puisqu'il faut tomber sur un flagrant délit. Néanmoins, il y a l'effet de l'uniforme dans une grande surface ou chez un buraliste pour rappeler que l'on est là. Il y a aussi des expériences intéressantes dans des villes comme Nantes où la préfecture travaille de manière assez étroite avec la ville pour surveiller les bistrots qui vendent tardivement de l'alcool, surtout aux jeunes. Ils sont convoqués devant une commission. Au premier constat d'infraction, ils reçoivent une sorte de rappel à la loi, au second constat, un avertissement. Enfin, il y a une menace de fermeture administrative si les choses ne rentrent pas dans l'ordre. C'est le genre de bonnes pratiques que l'on veut éventuellement diffuser plus largement auprès des collectivités qui veulent s'impliquer sur ce sujet
Nous nous sommes aussi demandé si nous allions proposer à la représentation nationale de voter un renforcement des limitations de la consommation d'alcool sur le lieu de travail. Lors de la concertation avec le conseil d'orientation des conditions de travail, les partenaires sociaux ont souhaité que l'on travaille de manière plus volontaire avec les entreprises. Avec France stratégie et la plateforme RSE, nous avons commencé à voir comment embarquer davantage d'entreprises pour développer de bonnes pratiques et limiter les consommations en milieu professionnel.
Concernant les prises en charge, je rappelle que 13 millions de personnes consomment du tabac, 5 millions de personnes boivent quotidiennement de l'alcool et notre pays compte 700 000 consommateurs quotidiens de cannabis. Les addictologues, aussi compétents soient-ils, ne suffisent pas à traiter potentiellement ce flux de personnes.
Un des grands enjeux est d'associer davantage les professionnels de premier recours dans des stratégies de dépistage et de prise en charge des patients qui ne nécessitent pas aujourd'hui un traitement complexe et lourd. Trop peu de médecins généralistes, de sages-femmes, d'infirmiers ou de psychologues donnent les conseils minimaux qui permettraient de réduire ces usages problématiques. Pendant la grossesse, simplement 60 % des femmes sont interrogées sur la consommation d'alcool, et seulement la moitié d'entre elles reçoivent un conseil minimal ! La plus grande implication de ces professionnels passe par la diffusion d'outils simples. Nous y travaillons avec le collège de médecine générale. Au-delà, les médecins généralistes ont besoin d'être rassurés sur la capacité à mobiliser les professionnels spécialisés pour les cas les plus complexes. Or, les structures médico-sociales de consultations pour les jeunes consommateurs ou les secteurs hospitaliers sont assez mal identifiées. A ceci s'ajoutent des problèmes d'harmonisation des pratiques professionnelles. Elles doivent être revues de façon à rassurer le médecin généraliste.
Quant à la mise en oeuvre de ce plan, une partie effectivement revient aux administrations centrales qui nous ont accompagnés dans cet exercice. Une partie des progrès que nous pouvions faire, et que j'ai évoqués, viennent en revanche d'une mobilisation au coeur des territoires. Ce sont souvent les territoires eux-mêmes qui nous ont alertés sur les difficultés et qui détiennent donc partie de la solution. Comme je l'avais indiqué à la sénatrice Chantal Deseyne, nous avions jusqu'à présent l'habitude de déléguer une partie des crédits Midelca aux préfectures sans trop savoir ce qui s'y passait. Comme dans beaucoup d'administrations, l'argent était distribué aux porteurs de projets connus. C'était rassurant mais cela ne donnait pas de vision stratégique de l'action publique. Désormais, cela a changé. Nous devrions avoir les retours, pour le début du mois de mars 2019, des stratégies élaborées par chaque préfecture de région avec les préfectures de départements, mettant l'accent sur les principales mesures du plan national en particulier sur la question du respect des interdits protecteurs ou la sécurisation des rassemblements festifs. Il y aura des feuilles de route régionales donnant à l'action publique un nouveau souffle et une vision stratégique pluriannuelle. Sa mise en oeuvre s'appuiera sur les crédits de notre mission ; ces derniers bénéficiant alors d'une visibilité beaucoup plus importante.
Naturellement les préfectures sont invitées à élaborer ces feuilles de routes avec les trois partenaires pivots que sont l'ARS, le procureur et le rectorat.
Les collectivités locales constituent pour nous d'autres partenaires importants. Dès le début de l'année 2018 ; nous avons lancé un premier appel à projets pour limiter les consommations à risque d'alcool, de tabac et de cannabis, qui a remporté un très grand succès. Nous avons mis un peu moins d'un million d'euros dans cet exercice et reçu 70 à 80 dossiers, dont beaucoup étaient de très grande qualité. Nous en avons finalement sélectionné 11 avec des villes grandes et plus petites : Nice, Cherbourg, Calais, Monrabet en Haute-Garonne ou La Possession à La Réunion. Ces projets engagent en commun la Midelca, la préfecture et la collectivité pour limiter les consommations à risques en direction des jeunes. Cela passe par des actions extrêmement concrètes qui vont de la sanctuarisation de lieux et de moments « sans », tels que des parcs, et des campagnes d'information auprès des clubs sportifs. J'étais encore il y a quelques jours avec l'agglomération Béziers Méditerranée qui est confrontée à un certain nombre de comportements lors des fêtes votives.