Il est effectivement important que nous ayons un débat sur le cannabis. Celui-ci est compliqué ; il s'inscrit dans un contexte international extrêmement changeant. Il est un peu inquiétant de constater que les investisseurs dans ce domaine sont les grands bienfaiteurs de l'humanité Philip Morris, Corona et autres très grands groupes, qui ont commercialisé jusqu'à présent du tabac ou de l'alcool à foison. Ils font tout pour pénétrer le marché européen. Autant nous connaissons le lobby de l'alcool, autant là il faut être extrêmement méfiant.
Nous avons échangé hier avec le cabinet du Premier ministre sur les risques de déstabilisation. Dans le cadre de l'ONU DC - en charge des drogues - trois traités règlent aujourd'hui, bon an mal an, un certain équilibre sur la question de la coopération entre Etats. Ce système est mis à mal par des décisions prises en particulier par le Canada et le Luxembourg. On voit là l'offensive des lobbies. Notre génération a aussi une responsabilité collective dans la banalisation de cette consommation en France. On a quand même laissé penser - les addictologues sont un peu coupables - que ce n'était pas très grave. Le secteur médicosocial accueillait des patients complexes, des consommateurs d'héroïne, des polyconsommateurs et l'on s'occupait du cannabis, voire ensuite du tabac, si l'on avait le temps... Aujourd'hui, il faut changer de regard sur cette consommation qui est tout sauf banale.
On peut, de façon très juste et très sincère, se poser la question de la dépénalisation. Sous le contrôle du directeur de l'OFDT, je note simplement qu'entre 2014 et 2017 - à législation inchangée - on a réussi à diminuer la consommation chez des jeunes de 17 ans. Cela s'est fait par des campagnes d'informations et cela exige aussi une appropriation du problème par l'ensemble des adultes qui s'occupent des jeunes. Ils ne doivent pas tenir un discours de banalisation et ils doivent avoir des pratiques professionnelles qui soient à la hauteur de l'enjeu. L'entrée dans le cannabis quand elle a lieu à 12 ans est un vrai problème ! Il y a aussi la question des jeunes qui sont tentés par le trafic de cannabis. Ils sont 100 000 guetteurs en France, en bas des tours ! Beaucoup de sociologues travaillent sur ce sujet ; ces jeunes croient tout de suite qu'ils vont conduire des Mercedes noires alors que leur vie quotidienne est en réalité un enfer. Il y a des associations qui travaillent dans ces quartiers pour aider les jeunes à ne pas entrer dans le trafic ou à en sortir.
Mais revenons simplement aux risques. Nous allons refaire une campagne d'information nationale ; il faudrait qu'elle soit vraiment relayée par tout le monde. Si on continue à dire à des gamins qu'un joint de temps en temps ça n'est pas grave, une campagne n'y fera rien.
Sur les salles de consommation à moindre risque, nous sommes prudents car la difficulté se trouve aujourd'hui plutôt avec les collectivités locales, y compris celles qui s'étaient relativement engagées sur le sujet au départ. En effet, la loi de 2016 prévoit un accord entre l'ARS et la collectivité pour porter un dossier auprès de la ministre de la santé. On a aussi du mal à trouver des bénévoles et les périodes électorales à venir ne sont pas très simples pour développer une telle offre. Il semble néanmoins que le cabinet de la ministre Mme Buzyn soit d'accord pour changer un tout petit peu le cahier des charges de façon à réduire l'exigence des trois années d'ouverture pour bénéficier de l'expérimentation.
A propos de nos crédits, rappelons que l'action publique de lutte contre les conduites addictives ne dépend pas que de nous. Nous n'irions pas très loin avec 15 millions d'euros et notre petit bout du fonds de concours. L'effort cumulé des différents ministères et de l'assurance maladie représente 2 milliards d'euros par an. On peut toujours en réclamer plus mais en agissant sur des choses assez simples - les discours, les postures, les pratiques professionnelles -, on doit pouvoir s'en sortir.
Quant au chiffrage global du plan, nous ne l'avons pas fait car il s'agit plutôt de mesures d'intention dont la mise en oeuvre sera faite par les territoires. Nous travaillons avec les administrations ; il y a des marges de manoeuvre au sein des 2 milliards évoqués tout à l'heure. Désormais le produit de l'amende forfaitaire viendra alimenter, probablement pour environ 10 millions d'euros par an, le fonds addiction, lui-même issu du fonds tabac qui existait depuis désormais 2 ans. C'est une modification importante ; la science nous apprend en effet qu'il faut travailler sur les compétences psychosociales des plus jeunes sans distinguo entre le tabac, l'alcool, le cannabis ou la cocaïne.
S'agissant de la cocaïne j'avais moi-même mentionné le fait que les pays d'Amérique du Sud étaient revenus à des niveaux de productions historiques. C'est une consommation qu'il faut surveiller de près. De même, il faut continuer à démanteler les trafics Un plan a été demandé par le Président de la République au ministère de l'intérieur et au ministère de la justice sur ce sujet.
S'agissant de l'héroïne, oui la circulation est plus importante sur toute la façade est de la France. Néanmoins, les niveaux de consommation restent stables. J'en profite pour évoquer la crise des opioïdes que vit le continent nord-américain et qui a fait bouger les indicateurs d'espérance de vie aux Etats-Unis en causant 60 000 décès par an. Au départ, on a prescrit - par exemple pour des lumbagos - des antalgiques opioïdes extrêmement puissants sous la pression des laboratoires. Leur système de prescription est en effet moins rigoureux que le nôtre. Puis, lorsque les autorités ont serré la vis devant le nombre de décès, les patients étant devenus dépendants se sont procuré de la drogue (des opioïdes de synthèse) dans la rue. Pour information, avec le directeur général de la santé et d'autres administrations nous préparons actuellement un plan pour prévenir une éventuelle crise des opioïdes en France. On observe en effet un mésusage des antalgiques majeurs qui nous impose une grande vigilance.
S'agissant du travail avec les différents opérateurs de la prévention, nous privilégions les partenariats entre l'ARS, la préfecture et le rectorat pour choisir les meilleurs acteurs de façon à dispenser les actions les plus efficaces notamment auprès des enfants. Il faut un peu épurer ce trop-plein d'interventions désordonnées et se concentrer sur le renforcement des compétences psychosociales. Plusieurs programmes en la matière ont déjà fait la preuve de leur efficacité.
Nous faisons aussi montre d'une certaine souplesse afin de respecter le contexte dans lesquels ces actions interviennent.