Mesdames, Messieurs les Sénateurs, vous me voyez ravi d'être parmi vous pour parler de mon travail et du travail de la communauté scientifique qui m'entoure. Il est important de pouvoir communiquer les résultats de nos travaux ici au Sénat.
Je suis directeur de recherche au CNRS et au LSCE qui fait partie de l'Institut Pierre-Simon Laplace dont la vocation est d'étudier le climat. Je suis également coordinateur d'un des chapitres du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) qui sortira en 2021. Le chapitre que je coordonne a trait précisément à la quantification des aléas pour mieux prévenir les risques futurs liés au changement climatique. Je vais me limiter à mon domaine d'expertise qui est la nature physique du climat et du changement des aléas et non pas la façon de gérer les politiques climatiques.
Tout d'abord, les différents rapports du GIEC rappellent que les changements de long terme du climat, qu'ils soient sur plusieurs décennies ou plusieurs siècles, sont dus en premier lieu à des variations naturelles aléatoires ou sous l'influence du soleil et du volcanisme mais aussi aux variations liées à l'accroissement des gaz à effet de serre (GES) et, en général, aux effets de l'homme sur l'environnement.
La communauté scientifique estime que ces perturbations dues au développement de l'humanité ont contribué de façon significative au réchauffement climatique que l'on observe, aujourd'hui estimé à 1°C, plus ou moins 0,2°C, par rapport à l'ère préindustrielle à partir de la moitié du XXème siècle. Avant, il est difficile de déceler la trace de l'homme sur le climat. Aujourd'hui, cette empreinte est parfaitement claire. Il est impossible aujourd'hui de l'expliquer par les seuls mécanismes naturels et sans faire intervenir l'accroissement des GES. Sur ce point, tous les modèles aboutissent aux mêmes conclusions.
Depuis cette période, les observations liées au changement climatique et les résultats des simulations sont en parfaite adéquation. Accroissement des températures atmosphériques et océaniques, fonte des glaciers et de la banquise, augmentation graduelle du niveau des mers et réduction de la couverture nuageuse : tous ces phénomènes sont expliqués par ces changements du climat.
L'océan stocke au fil du temps plus de 90 % de l'excédent d'énergie résultant de l'augmentation de la concentration atmosphérique des GES. Si les océans répondent clairement à cette perturbation de façon, comme en témoigne la montée régulière de leur niveau, la variation globale des températures est quant à elle plus irrégulière. On peut observer des fluctuations d'une année à l'autre voire d'une décennie à l'autre. C'est pourquoi il est difficile d'estimer le changement climatique si l'on regarde seulement quelques décennies.
Au rythme actuel de réchauffement climatique, l'écart de température atteindra 1,5°C avant le milieu du XXIème siècle et 2°C après le milieu du XXIème siècle si le réchauffement se poursuit à sa vitesse actuelle.
Ce réchauffement a des conséquences globales mais aussi régionales. On observe un réchauffement dans toutes les régions du monde, en Europe et en France tout particulièrement. Mais il est trois fois plus important dans les régions arctiques compte tenu des réponses des différents systèmes comme la banquise et les systèmes océaniques, et cela pose des problèmes importants pour la biodiversité.
Le réchauffement climatique induit donc des perturbations sur tous les continents mais je vais essayer de centrer mon exposé sur l'Europe et la France.
La question des risques liés au changement climatique ne doit pas être seulement appréhendée via les changements que connaît le climat. En effet, un risque résulte du croisement d'un aléa, d'une exposition et d'une vulnérabilité. Si une vague de chaleur touche une région inhabitée par exemple, elle occasionnera moins de risques que si elle touche une région habitée. On observe des tendances très claires pour certains types de phénomènes et d'autres moins claires, voire inexistantes, pour d'autres phénomènes.
Partout dans le monde, il y a une intensification de la fréquence, de l'intensité et de la durée des vagues de chaleur. Dans plusieurs régions du monde, et dans plusieurs régions françaises, on observe une augmentation de la fréquence et de l'intensité des précipitations extrêmes. On constate également une diminution des vagues de froid. Même s'il reste des événements de forte intensité, comme aux États-Unis récemment ou en Europe en 2012 par exemple, leur fréquence diminue tendanciellement.
On observe également dans l'Atlantique Nord une augmentation de l'intensité des ouragans. Cette augmentation est complexe à expliquer.
En dehors de ces phénomènes, il est souvent difficile d'observer une tendance très claire. Cela est dû non pas à l'absence de tendance mais à l'absence de données fiables et homogènes sur une durée suffisamment longue. Ce n'est pas parce que l'on n'observe pas de tendance qu'il n'y en a pas ! Parfois on ne peut simplement pas l'observer avec nos moyens actuels.
Pour le passé plus récent, durant les deux dernières décennies en Europe, on constate une répétition de grandes vagues de chaleur. D'abord en 2003, en 2006 et, depuis 2015, tous les étés connaissent une vague de chaleur qui peut se manifester au Nord de la France, par exemple en 2018, ou au Sud de la France comme en 2017 avec un pic début août qui a dépassé les 42°C à Nîmes. Ces phénomènes ne se manifestent pas toujours au même endroit mais apparaissent depuis 2015 en France tous les ans.
On note également un grand nombre de phénomènes de pluies extrêmes avec des catastrophes liées aux inondations qui en découlent. Il faut distinguer plusieurs catégories parmi ces aléas. D'abord, des inondations pluviales résultant de fortes pluies au cours de quelques heures peuvent se manifester dans une ville où les surfaces ne permettent pas l'évacuation d'une quantité d'eau importante. Ensuite, les inondations liées à la crue d'une rivière compte tenu de pluies régulières sur plusieurs jours ou semaines - c'était le cas des inondations de la Seine en 2016. Enfin, les inondations côtières, d'un tout autre type, qui s'expliquent par des montées du niveau de la mer dues à une conjonction de tempêtes, de grandes marées et de vagues dans un contexte global d'augmentation moyenne du niveau des océans.
Les vagues de froid sont, elles, moins nombreuses mais restent encore présentes.
Sur ces tendances observées, on dit souvent que les coûts des catastrophes naturelles sont en augmentation. Cela est probablement vrai mais il faut faire très attention aux interprétations de ces données car le coût des catastrophes naturelles augmente aussi parce qu'il y a plus de biens assurés qu'auparavant... Les parts liées au changement climatique et aux assurances restent encore à déterminer.
Sur les sécheresses, il n'existe pas aujourd'hui de tendance marquée lorsqu'on regarde les observations de pluie ou d'humidité des sols. Ces sécheresses dans les observations sont peu remarquables mais Météo-France a construit un indice de sécheresse et de risque pour les feux qui montre que ces indices sont en évolution compte tenu des mouvements de température, qui augmentent mécaniquement les phénomènes d'évaporation.
Pour le moment, je parlais de l'observation des tendances. Maintenant, comment peut-on les expliquer et dans quelle mesure sont-elles liées au changement climatique ?
Pour évaluer les effets du changement climatique sur ces tendances, il faudrait idéalement disposer d'une planète avec la perturbation humaine et d'une autre planète sans perturbation humaine. Mais nous disposons de modèles qui, bien qu'ils soient imparfaits, donnent des informations intéressantes.
On sait aujourd'hui que la responsabilité humaine dans l'évolution des vagues de chaleur est très importante. Elle est démontrée : par exemple, la vague de chaleur de l'été 2017 a aujourd'hui une période de retour estimée à 10 ans. Sans l'action de l'homme sur le climat, cette période de retour aurait dû être dix fois plus élevée, c'est-à-dire être un événement extrêmement rare, de fréquence centennale. C'est donc un évènement exceptionnel qui a occasionné sécheresse, pertes agricoles et autres dégâts. Mais aujourd'hui, il a une fréquence estimée à une fois tous les dix ans. Nous estimons aussi que dans un climat plus chaud de 2°C, ce type de vagues de chaleur deviendrait la norme puisqu'elle apparaîtrait un été sur deux. Ce qu'on a vu dès l'été 2018 dans le Nord de l'Europe avec un nombre record de journées au-delà de 30°C, notamment dans le Nord de la France.
Les pluies intenses (200 mm par jour ou plus) ont une augmentation d'intensité de 20 % depuis le milieu du dernier siècle. Cette augmentation d'intensité est liée au changement climatique. Une étude a montré que la probabilité des pluies printanières sur trois jours, comme celles qui ont provoqué la crue de la Seine en 2016, a augmenté avec le changement climatique d'un facteur 2. Tous les modèles le montrent.
Pour les vagues de froid, il n'y a pas encore d'étude précise même si on sait que dans le futur elles devraient diminuer.
Pour tous les autres phénomènes, il est très difficile de lier les évolutions observées au changement climatique. Le GIEC est extrêmement prudent sur cette question. Sur les cyclones et les ouragans des Caraïbes, on observe, certes, une augmentation du nombre d'ouragans les plus intenses mais il est impossible de lier cette évolution au changement climatique de façon claire.
Si l'on doit se projeter dans l'avenir, le futur ressemble beaucoup aux connaissances actuelles. Les pluies extrêmes et les vagues de chaleur seront en augmentation dans beaucoup de régions du monde, en France en particulier. C'est une évolution pour laquelle il y a très peu d'incertitude si ce n'est sur l'amplitude et le décalage de fréquence. Pour les sécheresses, il est probable que les sécheresses agricoles seront en augmentation du simple fait du changement de température. Avec des températures plus élevées, une évaporation plus importante et sans pluie supplémentaire, les sécheresses augmenteront. Pour les vagues de chaleur, une forte augmentation dans toutes leurs dimensions est à prévoir pour le siècle qui vient. Une diminution de la fréquence des vagues de froid est à attendre mais leur intensité pourrait rester importante.
Pour les orages et les épisodes de grêles, il très difficile de répondre à cette question car la science n'est pas assez mûre pour donner des réponses précises sur l'évolution à attendre.
Pour les incendies, les indices de risques de feux météorologiques donnent des évolutions vers des risques plus forts mais nous savons que ces risques dépendent aussi de la prévention et du comportement humain, donc cela ne signifie pas nécessairement que les feux augmenteront. D'ailleurs, ils n'ont pas connu d'augmentation notable dans le passé récent.
Pour les ouragans, le dernier rapport du GIEC dit que l'intensité des ouragans et des cyclones devrait augmenter : il faut s'attendre à des phénomènes plus violents encore. Par ailleurs, avec l'élévation du niveau des mers, des problèmes d'inondations côtières sont à attendre quelle que soit l'évolution de l'intensité des cyclones.
Enfin, la question des actions à mener contre ces phénomènes ne relève pas de mon domaine d'études. Il me semble toutefois que pour se prémunir des risques à venir, on ne peut se satisfaire des observations passées uniquement. Pour calculer les périodes de retour de crue, les observations du passé sont déjà dépassées. Il est par conséquent important de prendre en compte les observations passées mais également les modélisations qui sont faites de tous les phénomènes dont nous avons parlés pour établir des plans pour l'avenir.
Les pluies extrêmes et les vagues de chaleur ne nous lâcheront pas. Il faudra s'en prémunir. Se prémunir non pas d'un été 2003 mais d'un été encore plus chaud. Il faut que ces plans prennent en compte des phénomènes qui n'ont pas encore été rencontrés.
Il faut développer une meilleure communication entre les acteurs de la société civile, les industriels et les chercheurs. La science du climat est complexe. Les incertitudes sont importantes et il est souvent difficile d'interpréter des données qui seraient livrées sans interprétation et décodage par les spécialistes.
Il est important également de développer la formation des jeunes sur la question du changement climatique, particulièrement via les manuels scolaires. Or aujourd'hui, nous chercheurs, avons l'impression que ces questions ne sont pas correctement prises en compte dans ces documents.