Intervention de Bertrand Labilloy

Mission d'information sur la gestion des risques climatiques — Réunion du 6 février 2019 à 14h00
Audition de de Mm. Bertrand Labilloy directeur général des réassurances et des fonds publics et thierry cohignac directeur du département études techniques et réassurances publiques de la caisse centrale de réassurance ccr

Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CRR) :

Il est vrai que la prise en charge du coût des travaux de protection pour ne plus subir de dommages équivalents à l'avenir constitue un angle mort du système actuel, qui date de 1982 et sur lequel il serait judicieux de se pencher à l'occasion de la réforme du régime. C'est toutefois ce qui permet de diminuer les coûts pour les catastrophes naturelles.

Sur l'augmentation des tarifs post-événement, le dispositif est de nature assurantielle - il ne s'agit pas d'un dispositif public avec un impôt per capita. Il est assez naturel que les différents intervenants de la chaîne d'indemnisation réévaluent en permanence le risque et adaptent la tarification en conséquence. Cela permet d'adresser aux assurés un signal en retour pour qu'ils comprennent qu'ils se trouvent dans une situation d'exposition ou de vulnérabilité supérieure ou croissante. Il faut toutefois en relativiser l'ampleur, car ce régime d'indemnisation permet une très forte péréquation par rapport à ce qui devrait être payé en théorie sur la seule base du risque. Pour un particulier, le montant de l'assurance habitation s'élève à vingt euros par personne et par an : une hausse de 10 % se traduira par deux euros de plus.

Le recul du trait de côte est-il une catastrophe naturelle ou pas ? Beaucoup se penchent sur cette question. D'ailleurs, plusieurs inspections générales ont créé une mission sur ce sujet. Au sens strictement assurantiel du terme, si une tempête emporte votre maison, cela se discute. En revanche, si la tempête fait avancer le trait de côte de cinq mètres, on reste dans un phénomène progressif, donc prévisible, donc non pris en charge.

Les dommages agricoles ne sont pas inclus dans le champ du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. Il existe un fonds calamité agricole, ainsi que des assurances contre les pertes de récolte. Or le taux de pénétration de l'assurance agricole est très faible, ce qui pose problème. Les différents intervenants sur ce marché n'ont pas réussi à trouver la bonne formule pour augmenter ce taux de pénétration.

Si, pour les dommages aux biens des particuliers et des professionnels, le défaut de couverture est très faible, en tout cas en métropole, c'est parce que tout le monde est assuré, y compris ceux qui sont très faiblement exposés et qui contribuent pour les autres. Or le monde agricole n'a pas réussi à mettre en place un système analogue pour les pertes agricoles. Nous travaillons avec le ministère de l'agriculture pour apporter tous les éléments d'éclairage statistiques, actuariels et assurantiels pour aider à mettre en place une solution.

En matière d'aménagement du territoire, il y a le fameux fonds Barnier, dont une partie sert à des acquisitions amiables ou même à indemniser à la suite d'expropriations. Ce n'est pas négligeable. Est-ce pour autant suffisant dans le cadre de de l'évolution de la situation de tel ou tel territoire ?

J'en viens à l'augmentation des cotisations pour les particuliers et les collectivités à l'horizon 2050. Nous avons publié une étude montrant que le coût des catastrophes naturelles à cet horizon devrait doubler, voire davantage. Pour l'essentiel, l'augmentation n'est pas liée à l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des éléments naturels : c'est tout simplement parce que nous sommes de plus en plus riches et possédons des biens mobiliers de plus en plus chers. Cela ne nécessite pas un changement du taux de surprime.

En revanche, il est tout de même prévu une augmentation de l'ordre de 30 à 50 % de l'intensité et de la fréquence des éléments naturels et de la concentration des personnes et des activités économiques dans les zones exposées. C'est pourquoi, à l'horizon 2050, il faudrait passer d'un taux de surprime de 12 à 18 %, sauf à développer les mesures de prévention nécessaires pour réduire la vulnérabilité des personnes et des entreprises.

Le problème de la sous-assurance ne concerne pas que les particuliers. La collectivité locale de Saint-Martin a eu la mauvaise idée de céder aux sirènes d'un assureur qui proposait un tarif particulièrement intéressant, mais avec une faible limite de garantie. À la suite du cyclone Irma, le montant du sinistre s'est élevé à 50 millions d'euros, alors que le contrat prévoyait une limite de garantie de 15 millions d'euros.

Les particuliers ne sont donc pas les seuls à être concernés par le risque de sous-assurance. Pour que le régime fonctionne bien, il faut que tout le monde s'assure, les ménages comme les entreprises. Si on ne s'assure pas, on ne peut pas prétendre à une indemnisation ; c'est une lapalissade ! Cela n'empêche pas toutefois de réfléchir à un dispositif spécifique pour les véhicules qui sont assurés au tiers.

Dans notre évaluation du risque, nous prenons en compte les efforts faits en matière d'urbanisme. Plus largement, nous tenons compte des ouvrages de protection contre les événements naturels. Nous avons développé un modèle numérique du territoire pour simuler les effets des aléas climatiques. Nous avons ainsi pu mesurer l'efficacité des barrages écrêteurs de crue en amont sur la Seine. Certains projets sont dans les cartons, il serait bon de les accélérer.

La pérennité du régime face aux changements climatiques ? En général, à l'exception des territoires tellement impactés que la seule solution est une expropriation, l'intensification du risque se traduit par un ajustement de la prime en conséquence ou par des mesures de prévention suffisantes pour limiter la sinistralité.

À titre personnel, je dirais que le système de modulation des franchises n'est pas absolument déterminant et que l'on peut vivre sans...

Vous avez aussi évoqué la frustration de certains sinistrés quant aux délais d'indemnisation. Les délais moyens sont satisfaisants. Mais l'écart-type peut parfois être élevé. Il n'est pas satisfaisant, en effet, qu'une personne qui a subi un dommage en octobre 2015 n'ait toujours pas été indemnisée. Certaines situations sont kafkaïennes. À Saint-Martin, par exemple, on a parfois du mal à savoir qui est en cause et à trouver la solution au problème. Cependant, il ne faut pas juger un régime qui bénéficie à des millions de citoyens, couvre des milliards de dommages par an, à l'aune de quelques situations individuelles. Il existe toutefois des failles dans le régime d'indemnisation : c'est le cas, par exemple, pour les gens qui, à la suite d'un événement naturel, ne peuvent plus habiter leur domicile, car il menace de s'effondrer. Or ils ne sont pas indemnisés et l'assurance ne joue pas parce que leur bien n'a pas été directement touché et qu'il n'y a pas de dégâts. Donc même si le système fonctionne bien dans l'ensemble, certains cas méritent une attention particulière.

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