Nous allons écouter les deux dernières interventions de la table ronde. M. Bertrand Deputte, vous êtes professeur honoraire d'éthologie et contributeur de l'expertise scientifique de l'INRA sur la conscience animale.
Pr. Bertrand Deputte, professeur à l'école vétérinaire de Maisons-Alfort. - Le terme « expérimentation » fait référence à la méthode scientifique utilisée pour produire de la connaissance. C'est important, car le terme « connaissance » et l'aspect scientifique sont battus en brèche dans beaucoup d'endroits, alors que c'est le moyen le plus efficace pour produire une connaissance valable, puisqu'elle sera remise en cause en permanence, et non pas sujette à des déclarations péremptoires.
Je citerai deux aphorismes. « La connaissance sans compassion est inhumaine et la compassion sans connaissance est inefficace » (Victor Weisskopf, chercheur). C'est dans cette perspective que je me situe, côté connaissance, avec de la compassion bien sûr, puisque j'interviens en tant qu'éthologiste.
Le second aphorisme : « Rien en biologie n'a de sens qu'à la lueur de l'évolution » (Theodosius Dobzhansky, généticien). Opposer l'homme à l'animal est aberrant puisque l'homme est un animal ; il y a une proximité physiologique entre l'homme et le reste du règne animal dans le sens de l'évolution. C'est dans ce cadre que le choix de l'espèce modèle est important, c'est par son intermédiaire qu'une connaissance sur les mécanismes biologiques humains sera acquise. Les modèles animaux sont choisis pour leurs spécificités et pour les adaptations qu'ils ont montrées au cours de leur évolution.
L'éthologie est l'une des disciplines scientifiques qui s'intéressent au comportement. Trop souvent on considère que l'éthologie est l'étude ou l'observation de l'animal dans son milieu naturel, ce qui est inexact. La spécificité de l'éthologie est de considérer un individu dans son intégralité et en interaction avec le milieu dans lequel il est placé, quel qu'il soit. Il est effectivement beaucoup plus facile d'étudier des grands félins en Tanzanie que de les placer dans des milieux où l'on a besoin de comprendre leur comportement, c'est-à-dire dans des laboratoires. L'étude du comportement de l'animal est essentielle pour préparer ses conditions d'hébergement et sa récupération, en plus de sa réaction à l'expérience proprement dite.
J'ai participé pendant une dizaine d'années à la révision de la convention STE n° 123 (Convention européenne sur la protection des animaux vertébrés utilisés à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques) au Conseil de l'Europe en tant que coordinateur du groupe Primates. Le concept de bien-être animal est apparu il y a une quarantaine d'années. Ce concept extrêmement intéressant fait référence à la manière dont l'animal, qui arrive avec ses spécificités acquises au cours de l'évolution par sélection naturelle et parfois par sélection artificielle, répond à de nouvelles contraintes qui lui sont posées, notamment des contraintes de confinement, comme c'est le cas des animaux hébergés en expérimentation animale, dans les parcs zoologiques, etc.
Pour rappel, le bien-être animal n'est pas un concept creux, il fait référence au comportement, et nécessite donc une évaluation de celui-ci chez les animaux dans les situations dans lesquelles ils sont placés. Dans cette évaluation, on retrouve le mot « expérimentation ». Certaines personnes ne l'acceptent pas, mais déplacer un animal d'un milieu à un autre est une expérimentation durant laquelle son comportement est évalué ; le terme « évaluation » est important. Il ne s'agit pas de parler au nom de l'animal, mais de faire parler l'animal à la suite de l'observation et de l'analyse des réponses qu'il a fournies. On essaie, de manière scientifique et honnête, de décrire le ressenti de l'animal vis-à-vis de la situation dans laquelle il est placé.
J'ai participé à l'expertise collective lancée par l'INRA et l'Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) sur la conscience animale. Notre conclusion était très claire, elle réactualise tout ce que les naturalistes, c'est-à-dire ceux qui observent l'animal, considèrent depuis le XVIIIe siècle : l'animal n'est pas une machine, l'animal a une conscience. Il n'y a aucune raison de penser que cette conscience soit identique à la nôtre, mais elle existe, et c'est en cela que le débat s'orientait très bien tout à l'heure. Dans une grande partie du règne animal, les animaux ont une conscience, c'est un fait scientifique établi à travers les études sur la métacognition, sur le comportement au sens large et sur d'autres aspects de l'étude du comportement ; il est du ressort de l'éthique de prendre en compte cette conscience.
M. Balansard, vous êtes vétérinaire, délégué scientifique à l'Institut des sciences biologiques du CNRS, au bureau éthique et modèles animaux, et vous présidez le GIRCOR - Groupe interprofessionnel de reìflexion et de communication sur la recherche -, une association composée à la fois de membres institutionnels et privés, qui a pour rôle d'informer le grand public sur la réalité du terrain en matière d'expérimentation animale via son site internet www.recherche-animale.org.