Intervention de Alain Christnacht

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 7 février 2019 à 11h00
Audition conjointe de M. Alain Christnacht président de la commission nationale chargée de conseiller les évêques dans l'évaluation des situations de prêtres ayant commis des actes répréhensibles Mme Annick Feltz magistrate honoraire Mm. Jean-Marc Sauvé président et alain cordier membre de la commission d'enquête indépendante sur les abus sexuels sur mineurs commis au sein de l'église catholique

Alain Christnacht, président de la commission nationale chargée de conseiller les évêques dans l'évaluation des situations de prêtres ayant commis des actes répréhensibles :

La commission que j'ai l'honneur de présider a été créée par une décision du conseil permanent de la Conférence des évêques de France en date du 12 avril 2016. Elle a pour mission de conseiller les évêques qui la saisissent sur la situation de prêtres ayant commis des actes répréhensibles, lorsqu'aucune instance n'existe localement comme cela est le cas à Paris, Lyon ou Bordeaux par exemple. En ce sens, sa compétence est donc subsidiaire. Je dois ma nomination à mon indépendance, que nul n'a remise en cause dans le cadre de ma fonction de président. Ainsi, j'ai choisi seul les membres de la commission : Mmes Annick Feltz, ici présente, et Marie Derain, juriste spécialiste des droits de l'enfant, les professeurs Bernard Granger et Florence Thibaut, psychiatres, le docteur Bertrand Galichon, médecin urgentiste et président du Centre catholique des médecins français, à ce titre seul membre de la commission à entretenir un lien institutionnel avec l'Église catholique, enfin Mmes Martine de Maximy, ancienne juge des enfants, et Pascale de Lauzun, qui a assumé des responsabilités au sein d'une association de parents d'élèves.

Comme indiqué précédemment, notre commission ne peut s'autosaisir. Sur demande des évêques, elle émet des recommandations sur des cas de prêtres ayant commis des actes pédophiles à condition que la justice en ait déjà été saisie et qu'elle ait décidé de mesures provisoires, d'une condamnation ou d'un non-lieu. Nous devons alors conseiller l'évêque concerné sur les missions qui pourraient sans danger être confiées au prêtre incriminé. D'aucuns ont critiqué le fait même que la question puisse être posée, considérant qu'un prêtre mis en cause pour ce type d'acte devrait impérativement retourner à l'état laïc. Nous nous opposons à un tel automatisme.

Il convient, en effet, de distinguer entre différents degrés de gravité de l'acte commis. Un attouchement sans récidive ne peut être considéré aussi sévèrement que des actes répétés, voire un viol. Les psychiatres membres de notre commission ont établi plusieurs critères pour étayer nos recommandations : la nature de l'acte pédophile et son éventuelle récidive, l'âge de l'auteur et des victimes, le recours à la dissimulation, le suivi d'un traitement médical, la présence d'aveux au dossier, notamment. Nous sommes fréquemment amenés à demander au procureur des informations complémentaires, que nous ne communiquons évidemment pas à l'évêque responsable de la saisine, souvent pas destinataire de la copie du jugement.

Notre investigation se conclut fréquemment par une recommandation d'évaluation psychologique et psychiatrique, qui débouche elle-même généralement sur un traitement. Sur les conseils de Florence Thibaut, nous privilégions une prise en charge par les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violence sexuelle (Criavs). Nous recommandons également une affectation qui limite le risque de récidive, notamment une absence de lien avec les enfants et les adolescents, ainsi que la nomination d'un référent prêtre ou laïc auquel se confier en cas de nouveaux troubles. Dans certains cas graves néanmoins, nous n'envisageons pas de mission au sein de l'Église. Pour autant, le retour à l'état laïc reste décidé par Rome. J'estime, à cet égard, qu'il peut y avoir une dérive vers un comportement à la « Ponce Pilate » en excluant un prêtre pédophile. Lorsqu'existe un risque de récidive, un solide soutien interne peut, au contraire, s'avérer plus efficace. Pour garantir l'absence de contact d'un prêtre avec des mineurs, nous proposons souvent qu'il ne puisse être nommé curé, poste auquel il jouirait d'une certaine indépendance dans l'organisation de sa mission. Il peut en revanche être envisagé de le placer comme adjoint d'un curé dans une paroisse plus importante.

Le rôle de notre commission demeure modeste, mais elle dialogue en confiance avec les évêques qui la saisissent, par essence dans une démarche volontaire. Nous avons déjà traité vingt cas - dix-neuf prêtres, dont deux religieux, et un diacre permanent - à la demande de dix-sept évêques. Parallèlement, il n'est pas rare que des évêques, hors de notre recours, travaillent avec les Criavs ou suspendent directement un prêtre. Notre commission entretient un lien limité avec la cellule permanente de la Conférence des évêques de France, laquelle est toutefois destinataire de rapports sur nos constatations.

Il convient, à mon sens, de distinguer trois périodes s'agissant des réactions de l'Église face aux actes de pédophilie commis par des prêtres : autrefois, les affaires étaient traitées en interne pour taire tout scandale et éviter de dénoncer un membre de l'Église ; puis, à partir des années 2000, à la faute morale s'est ajoutée la faute pénale et la justice a presque systématiquement été saisie ; enfin, plus récemment, la dimension psychique de l'acte pédophile a été considérée. Dans certains cas, les évêques ont dénoncé des prêtres coupables de pédophilie, puis les ont, sans réfléchir à la nécessité, par exemple, de poursuivre un traitement, réaffectés en paroisse après leur peine. Progressivement, l'Église développe la prévention et améliore la détection des personnes à risque, qui recherchent systématiquement à se voir confier une fonction auprès d'enfants. Dans ce cadre, notre mission consiste à rappeler le mal que représente la pédophilie, qui autrefois, dans l'art ou dans les récits historiques, a pu faire l'objet d'une regrettable banalisation. D'ailleurs, parmi nos critères d'évaluation du risque de récidive figure la conscience que le prêtre coupable a de la gravité de ses actes.

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