Intervention de Annick Girardin

Réunion du 13 février 2019 à 14h30
Polynésie française : modification du statut d'autonomie et dispositions institutionnelles — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Annick Girardin :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup de satisfaction que le Gouvernement voit commencer aujourd’hui la discussion sur le projet de loi organique, et le projet de loi ordinaire qui l’accompagne, relatif à la Polynésie française.

En effet, ce texte est sur le métier depuis 2015. Il constitue le pendant législatif de l’accord de l’Élysée, signé le 17 mars 2017, qui a marqué le renouveau des relations entre l’État et la Polynésie française et qui est porteur, selon ses propres termes « d’un nouveau pacte républicain fondateur ».

Ce pacte, c’est d’abord celui de la confiance retrouvée, et je tiens à souligner que cette confiance a également irrigué les échanges entre le ministère des outre-mer, les élus de Polynésie et la commission des lois dans la préparation de ce texte. Un travail dense, riche et productif a été conduit.

À cet égard, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, je vous adresse, ainsi qu’à l’ensemble de vos collaborateurs, mes plus chaleureux remerciements. C’est le quatrième texte spécifiquement ultramarin sur lequel nous travaillons ensemble, le deuxième projet de loi organique, et chaque fois, je veux le redire, nous avons œuvré collectivement dans un même esprit, au plus grand bénéfice des territoires d’outre-mer.

Le projet de loi organique qui vous est soumis inscrit dans le statut de la Polynésie française la pierre angulaire de l’accord de l’Élysée : la reconnaissance du fait nucléaire et de ses conséquences.

Cette reconnaissance répond à une attente très forte de la population et des élus de la Polynésie française. Le fait nucléaire, aujourd’hui incontournable dans le débat politique local, ne doit pas être tu. Il doit être abordé sereinement, objectivement. Le taire serait faire le lit d’une construction mémorielle tronquée, d’une réécriture de l’histoire au détriment des faits.

C’est donc avec fierté que le gouvernement actuel poursuit le travail engagé, dès 2010, avec la loi dite « Morin » relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Dans la continuité de l’accord de l’Élysée, beaucoup a été accompli au cours des deux dernières années.

Le système d’indemnisation des victimes, sous l’impulsion de la sénatrice Lana Tetuanui, a été profondément réformé. Alors qu’un nombre très faible de dossiers déposés par des Polynésiens avait abouti à une indemnisation jusqu’alors, ce sont 75 demandes qui, en 2018, ont été acceptées par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le CIVEN. Tout laisse à penser qu’il en sera de même dans les années à venir ; le budget du CIVEN a d’ailleurs été augmenté.

En parallèle, de nombreux efforts sont conduits par l’État et le pays pour accompagner les victimes ou leurs ayants droit dans la constitution des dossiers.

Ma collègue Agnès Buzyn a présidé lundi le comité de suivi des indemnisations, qui réunit les experts, les élus, les associations. Je crois que chacun a pu mesurer, à cette occasion, l’ampleur des avancées.

L’État accompagne également la Polynésie française dans le traitement des pathologies radio-induites. Il soutient le développement du service d’oncologie du centre hospitalier de Papeete par un apport en investissement en matériels de 6 millions d’euros sur trois ans.

Enfin, l’histoire et la mémoire ne pouvant se construire que de manière apaisée, l’accord de l’Élysée a décidé qu’il convenait « d’établir un rappel historique juste et partagé des faits de cette période et de présenter toutes les implications de la présence sur le territoire polynésien du [Centre d’expérimentation du Pacifique ou] CEP entre 1966 et 1996 ».

Pour ce faire, l’État et le pays œuvrent à la création d’un centre de mémoire, dans le cadre d’un comité de pilotage conjoint, que j’ai d’ailleurs eu l’occasion de présider aux côtés du président Édouard Fritch lors de mon dernier passage en Polynésie. Le Parlement a en parallèle fixé le principe d’un transfert de l’État au pays de l’emprise foncière nécessaire au projet. C’est donc un dossier qui progresse.

Mais la question nucléaire ne résume pas les relations entre la Polynésie française et la République. Nous avons en partage une histoire, des valeurs, des projets communs. Tout cela ne doit pas être occulté par une ombre pesante qui écraserait tout et finirait par remettre en cause la capacité de la Polynésie française à se projeter dans l’avenir.

L’objet premier du projet de loi est de procéder au toilettage du statut, afin de le rendre plus fonctionnel, de le moderniser parfois, la priorité étant de permettre à la Polynésie française de bénéficier d’institutions stables et de politiques publiques efficaces. Nos concitoyens polynésiens demandent légitimement, comme en métropole, des réponses à leurs attentes du quotidien.

Avant d’évoquer les nombreux sujets de fond que ce projet de loi permet de traiter, je tiens à dire un mot de la question des dotations.

L’assemblée de la Polynésie française, dans son avis sur le projet de loi, a proposé d’inclure dans le statut la question des dotations dont bénéficie le pays. Cette question relève, à n’en pas douter, de la loi de finances et ne saurait trouver sa place dans la loi organique.

Cependant, l’interpellation de l’assemblée du pays m’a amené à demander à mes services une étude sur les dotations dont bénéficient les collectivités en Polynésie française. Ce travail a mis en évidence une particularité : 99 % des dotations du pays relèvent du programme 123, c’est-à-dire du ministère des outre-mer.

De ce fait, la Polynésie française pèse beaucoup dans le budget du ministère et subit les aléas de gestion de manière plus forte que les autres collectivités, qui, elles, bénéficient pour la plupart de la dotation globale de fonctionnement – la DGF. Cela en fait la seule collectivité de la République dont la principale dotation, votée en loi de finances, peut fluctuer en gestion.

C’est pourquoi, sur ma demande, le Gouvernement a décidé de retirer la dotation globale d’autonomie, ou DGA, qui représente plus de 90 millions d’euros par an, du budget du ministère des outre-mer. Dans le cadre du prochain projet de loi de finances, cette dotation sera transformée, à l’instar de la DGF, en un prélèvement sur recette d’un montant identique.

Cela permettra de régler une problématique de fond, qui a longtemps contraint le budget de la collectivité.

Les autres instruments financiers, dont la vocation est de financer des projets – troisième instrument financier, ou 3IF, contrat de développement, dotation territoriale pour l’investissement des communes, ou DTIC, fonds intercommunal de péréquation, ou FIP –, demeureront bien dans le programme 123 du ministère des outre-mer.

L’assemblée de la Polynésie française a donc eu raison de soulever cette question et, grâce à sa mobilisation, la sanctuarisation de la DGA sera à l’avenir une réalité juridique concrète.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l’indiquais, les projets de loi qui vous sont soumis procèdent au toilettage des textes statutaires et institutionnels polynésiens.

Sans pouvoir mentionner chacun des sujets traités, je souhaite souligner quelques points.

L’article 4 du projet de loi organique permet de clarifier le régime des autorités administratives indépendantes créées par le pays qui constituaient jusqu’à aujourd’hui en quelque sorte un objet juridique non identifié, difficile à appréhender dans notre cadre légal. Je crois que l’écriture proposée, qui a fait l’objet d’échanges nourris, permet d’atteindre une forme d’équilibre entre l’indépendance indispensable à ces autorités et le souci de maintenir un cadre juridique offrant des garanties en matière de gestion budgétaire et administrative.

L’article 5 ouvre, quant à lui, la possibilité pour le pays de créer des sociétés publiques locales, outils dont la pertinence a été démontrée en métropole et qu’il fallait rendre opérants en Polynésie française. En parallèle, un toilettage du régime des syndicats mixtes est également proposé.

L’article 5 ter du projet de loi organique, complété par plusieurs articles du projet de loi ordinaire, constitue l’aboutissement d’un travail de fond engagé depuis près d’un an pour proposer des solutions en Polynésie française aux questions foncières. Le choix avait été fait, vous vous en souvenez, de ne pas inclure la Polynésie dans la loi relative à l’indivision successorale outre-mer adoptée récemment. Un travail complémentaire a été conduit, qui a permis d’adapter les avancées acquises pour l’outre-mer aux spécificités polynésiennes. Nous sommes bien au rendez-vous de la différenciation que le Président de la République appelle de ses vœux pour l’ensemble des territoires d’outre-mer !

Les deux textes de loi permettent également des avancées notables en matière d’intercommunalité, en adaptant le cadre national aux réalités locales et à une répartition des compétences qui n’est pas identique à celle de la métropole.

D’une manière générale, de nombreuses dispositions permettent de répondre aux attentes des maires, dont la sénatrice Lana Tetuanui s’est légitimement faite la porte-parole au cours de nos travaux préparatoires. Tous les sujets n’ont pu être traités, madame la sénatrice, mais toutes les remarques ont été entendues.

Certaines problématiques ne relèvent pas des textes en discussion. Je souhaite néanmoins qu’elles trouvent des réponses. Le Gouvernement s’attachera en particulier à traiter la question des frais de mission des maires, qui est une préoccupation pour tous les outre-mer.

Ces deux projets de loi procèdent également au toilettage des règles institutionnelles pour répondre à des malfaçons ou à des lourdeurs administratives : c’est le cas en matière de délégations de signature, de protection fonctionnelle, ou encore concernant le régime des conventions signées entre l’État et le pays.

Une malfaçon avait trait aux modalités de renouvellement de l’assemblée de la Polynésie française. L’intention initiale du législateur s’étant quelque peu perdue au fil des modifications, le projet de loi corrige cette erreur, permettant d’assurer la stabilité des institutions locales.

Avant de conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de mettre l’accent sur les questions aéroportuaires. À la demande du président de la Polynésie française, l’État procédera, d’ici à 2020, au transfert au pays de la propriété et de la gestion de trois aéroports dits « secondaires » qui étaient demeurés de sa compétence : Bora-Bora, Rangiroa et Raiatea.

Par ailleurs, afin de sécuriser la participation du pays dans la gestion de l’aéroport de Tahiti-Faaa dans le cadre du renouvellement de la concession en cours, un amendement du Gouvernement au projet de loi ordinaire vous est proposé.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi s’inscrit, vous l’avez compris, dans une dynamique nouvelle entre l’État et la Polynésie française, dynamique ayant vocation à se poursuivre dans beaucoup d’autres champs qui ne relèvent pas du statut.

Le Gouvernement travaille ainsi avec le pays au renouvellement de la convention par laquelle l’État soutient le régime de solidarité de la Polynésie française.

Nous souhaitons également engager les travaux permettant de conclure un plan de convergence et un contrat de convergence et de transformation, dans la lignée de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite loi ÉROM.

Enfin, la préparation d’un sommet France-Océanie à Papeete d’ici à la fin de cette année a été engagée, traduisant notre souhait de mettre de nouveau la Polynésie à l’honneur.

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