Intervention de Mathieu Darnaud

Réunion du 13 février 2019 à 14h30
Polynésie française : modification du statut d'autonomie et dispositions institutionnelles — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission

Photo de Mathieu DarnaudMathieu Darnaud :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, les projets de loi organique et ordinaire dont le Sénat est aujourd’hui saisi ne constituent pas à proprement parler une révolution ; ils représentent néanmoins une évolution importante.

Les Polynésiens, après une période d’instabilité politique et institutionnelle, aspirent désormais à la stabilité et demandent que des ajustements techniques soient apportés au statut de la collectivité.

Tel est bien, pour l’essentiel, l’objet des deux textes qui nous sont présentés. Comme Mme la ministre l’a rappelé, voilà plusieurs années que nous attendions leur dépôt par le Gouvernement. C’est chose faite, et je crois que nous pouvons collectivement nous en réjouir !

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me paraît essentiel, pour bien comprendre les enjeux de l’évolution de ce statut, de rappeler quelques points.

La Polynésie française est une collectivité d’outre-mer forte de 282 000 habitants, dotée d’une large autonomie au titre de l’article 74 de la Constitution. Son statut la définit d’ailleurs comme « un pays d’outre-mer au sein de la République ».

La collectivité dispose ainsi d’une compétence de principe sur son territoire, les compétences de l’État étant limitativement énumérées par le statut et restreintes pour l’essentiel au domaine régalien.

Les pouvoirs publics polynésiens doivent constamment s’adapter aux spécificités géographiques de leur territoire : la Polynésie française, ce sont 118 îles dispersées sur 2, 5 millions de kilomètres carrés, soit un espace équivalent à la superficie de l’Europe. Rien que cela ! C’est également une zone économique exclusive de 4, 8 millions de kilomètres carrés, soit près de la moitié de la surface totale des zones économiques exclusives françaises.

Hormis quelques modifications ponctuelles, le statut de 2004 a été modifié à deux reprises : une première fois en 2007, puis en 2011, dans un contexte d’instabilité politique des institutions polynésiennes.

Lors de sa réunion, la commission des lois a adopté 62 amendements, afin d’enrichir les textes du Gouvernement et, au final, de mieux répondre aux demandes formulées par les autorités polynésiennes.

Aussi, je veux remercier l’ensemble de nos interlocuteurs, en particulier les représentants de la Polynésie française – je salue le président Édouard Fritch et le président de l’assemblée de la Polynésie française, Gaston Tong Sang –, ainsi que Mme la ministre des outre-mer et ses collaborateurs, avec lesquels nos échanges furent particulièrement riches et nourris.

Sur le plan de la méthode, j’ai souhaité entretenir un dialogue franc et constant avec chacun pour que les textes de la commission soient les plus consensuels possible.

Cet objectif me semble aujourd’hui atteint : les amendements du Gouvernement et ceux de mes collègues visent, pour la plupart, à enrichir le projet de loi organique et le projet de loi, sans remettre en cause les avancées de la commission.

Les débats vont se poursuivre en séance, notamment sur certains enjeux financiers, mais j’ai bon espoir que nos textes puissent réunir une large majorité, d’abord au Sénat, puis à l’Assemblée nationale.

Sur le fond, la commission des lois a admis le principe d’une reconnaissance, à l’échelon organique, de la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation.

En adoptant un amendement du Gouvernement, elle a souhaité que l’État informe annuellement l’assemblée de la Polynésie française des initiatives prises en ce sens.

Je ne rappellerai pas les progrès qui ont été accomplis depuis une décennie pour améliorer l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie française.

Après la loi Morin de 2010, qui a constitué une première étape, la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique a facilité l’indemnisation des victimes, sur proposition du Sénat. Nous observons déjà de premiers résultats : 146 personnes ont été indemnisées au cours des dix derniers mois, contre 96 entre 2010 et 2017 !

Une commission, présidée par notre collègue de Polynésie Lana Tetuanui, a été mise en place pour réfléchir aux mesures propres à réserver l’indemnisation aux personnes dont la maladie a été effectivement causée par les essais nucléaires. Elle a remis son rapport en novembre dernier, et nous serons très attentifs aux suites qui seront données à ses préconisations.

La commission des lois a également facilité l’exercice des compétences de la Polynésie française. Elle s’est par exemple assurée du bon fonctionnement des autorités administratives indépendantes créées par la collectivité en veillant à ne pas assécher leur vivier de compétences.

De même, elle a assoupli le régime juridique des sociétés publiques locales et des sociétés d’économie mixte pour qu’il soit adapté aux spécificités – tout le monde le comprendra – de la Polynésie française.

Sur le plan institutionnel, la commission des lois a ajouté l’environnement aux compétences du Conseil économique, social et culturel de la Polynésie française et a encouragé la parité au sein de l’institution.

En outre, elle a mieux organisé le partage des tâches entre les institutions de la Polynésie française, notamment en leur permettant de saisir le Conseil d’État en cas de conflit de compétence.

La commission a également amélioré le régime juridique des lois du pays adoptées par l’assemblée de la Polynésie française, afin d’accélérer leur application. Même en cas de recours préalable, une loi du pays pourra désormais être promulguée si le Conseil d’État ne s’est pas prononcé dans un délai de trois mois. Il s’agit d’une garantie importante pour l’efficacité de l’action publique en Polynésie française.

L’un des points les plus sensibles du projet de loi organique concerne la stabilité des institutions polynésiennes.

Aujourd’hui, la démission de trois représentants à l’assemblée de la Polynésie française impose le renouvellement intégral de l’institution. Comme l’a relevé le Conseil d’État, une minorité de représentants dispose donc d’un droit de dissolution de l’assemblée, ce que cherche à éviter l’article 12 du projet de loi organique.

La commission des lois a par conséquent sécurisé le dispositif proposé par le Gouvernement, notamment au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales par des conseils élus. Elle a ainsi prévu un renouvellement intégral de l’assemblée de la Polynésie française dès lors qu’un tiers des sièges y seraient devenus vacants pour quelque cause que ce soit, sur le modèle des conseils municipaux.

En outre, la commission des lois a favorisé l’exercice des compétences communales, en coopération avec le pays et les autres personnes publiques polynésiennes.

Elle a précisé le régime des syndicats mixtes et assoupli la répartition des compétences entre les communes et le pays, notamment en matière de politique de la ville et de protection de l’environnement.

Pour plus d’efficacité, la commission a permis aux communes et aux EPCI de confier le recouvrement des impôts et taxes locaux à la Polynésie française. Elle a également associé un maire, un tavana, à la présidence du comité des finances locales de la Polynésie française.

De même, la commission a amélioré les dispositions du projet de loi visant à encourager l’intercommunalité, qui reste embryonnaire en Polynésie française.

Elle s’est aussi assurée de la bonne coordination entre l’État et les autorités polynésiennes. Elle a par exemple modernisé le statut des agents non fonctionnaires de l’administration, qui disposaient d’un statut obsolète de droit privé depuis plus de cinquante ans !

Des efforts restent à faire, madame la ministre, concernant l’accessibilité et l’intelligibilité du droit en Polynésie française, où le code général des collectivités territoriales est surnommé le « code général casse-tête » ! §Nous comptons beaucoup sur la mission que vous devez lancer à ce sujet.

Enfin, la commission des lois – c’est un sujet qui m’est cher – a facilité le règlement des difficultés foncières en Polynésie française.

À cet égard, je me réjouis et me félicite que nous ayons repris les propositions de la délégation sénatoriale aux outre-mer, qui a travaillé sur ces sujets pendant plus de deux ans et remis pas moins de trois rapports. En effet, les difficultés foncières rencontrées en Polynésie française sont nombreuses, comme dans beaucoup d’autres territoires ultramarins. Elles résultent de l’absence de règlement de successions depuis plusieurs générations, ou encore des lacunes de l’état civil ou du cadastre.

En bonne intelligence avec la Chancellerie, la commission des lois a facilité les sorties d’indivision. Elle a également empêché la remise en cause d’un partage judiciaire par un héritier omis.

Un régime dérogatoire de partage par souche permettrait, à titre expérimental, à un membre d’une branche de la famille de représenter l’ensemble des branches dans le règlement judiciaire de successions multiples.

À un moment où nombre de nos concitoyens s’interrogent sur le rôle du Parlement, qu’il s’agisse du Sénat ou de l’Assemblée nationale, vous me permettrez de souligner l’efficacité avec laquelle ont été conduits les travaux de notre assemblée. À cet égard, je veux féliciter mon collègue Michel Magras, président de la délégation aux outre-mer, de l’excellence des travaux menés par celle-ci. Au travers de trois textes – la loi ÉROM, la loi Letchimy et le présent projet de loi –, nous apportons des réponses pratiques et pragmatiques à ce problème séculaire du foncier.

Enfin, comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, les deux textes que nous examinons comprennent quelques symboles forts et une multitude de dispositions techniques de portée apparemment modeste, mais ô combien importante pour régler les difficultés rencontrées sur le terrain.

Au regard des avancées obtenues en commission grâce à un travail constructif mené en bonne intelligence avec les autorités polynésiennes, avec Mme la ministre et le Gouvernement, je vous propose d’adopter le projet de loi organique et le projet de loi ainsi modifiés.

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