Intervention de Pierre Laurent

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 janvier 2019 à 9h30
Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de dialogue politique et de coopération entre l'union européenne et ses etats membres d'une part et cuba d'autre part — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Pierre LaurentPierre Laurent, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons un projet de loi autorisant la ratification de l'accord de dialogue politique et de coopération entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République de Cuba, d'autre part. Il s'agit d'un accord inédit, le premier conclu entre l'Union européenne et Cuba, qui rompt avec la position commune prise par l'Union en 1996, laquelle nous plaçait de facto dans le sillage de l'embargo américain. De par son contenu, c'est un accord classique de dialogue politique et de coopération.

En février 2014, la Commission européenne et la Haute Représentante ont reçu mandat pour négocier cet accord, qui a finalement été signé en décembre 2016. Cette négociation a été facilitée par l'abandon progressif de la position, prise en 1996, au titre de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union, qui subordonnait toute coopération avec Cuba à une démocratisation du régime - cette position a été formellement abandonnée avec la signature de l'accord en décembre 2016 -, et par la déclaration conjointe de coopération et d'instauration d'un dialogue politique entre l'Union européenne et Cuba en 2008 sous présidence française de l'Union, ainsi que par la reprise des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba en juillet 2015. La France a joué un rôle moteur dans cette négociation, notamment avec la visite du Président de la République française à Cuba, en mai 2015 et la réception du Président Raul Castro à Paris, en mai 2016.

Tout d'abord, quelques mots sur la situation de Cuba et ses relations avec l'Union européenne et la France. La nomination, en 2017, de Miguel Diaz-Canel à la place de Raul Castro à la tête de l'État cubain a signé l'arrivée d'une nouvelle génération au pouvoir. Le processus de réforme de la Constitution arrive à son terme avec un référendum prévu fin février. Le projet de Constitution, tout en restant dans le prolongement de l'héritage castriste, prend en compte l'ouverture économique, clarifie les rôles de chef du Gouvernement et de chef d'État et consacre un certain nombre de droits individuels, notamment liés à la lutte contre les discriminations sexuelles. Les Cubains bénéficient d'un régime de santé et d'éducation gratuit et de qualité, mais le niveau de vie reste peu élevé avec un PIB de 7 800 dollars par habitant, conséquence notamment de l'embargo américain institué unilatéralement en 1962. Les conditions de vie sont le premier sujet de préoccupation des Cubains.

Actuellement, l'économie cubaine connaît de graves difficultés en raison principalement de la crise du Venezuela, son principal partenaire économique et financier, dont Cuba est très dépendant pour les livraisons de pétrole brut et ses ressources en devises. Cuba doit ainsi faire face à une crise de liquidités, qui a provoqué, en 2016, la première récession depuis 25 ans, avec - 0,9 % de croissance.

Si les relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba ont été reprises en juillet 2015, sous l'ère Obama, et des mesures destinées à alléger les conséquences de l'embargo adoptées, la situation a évolué négativement ces derniers mois. L'administration Trump a manifesté, dans un mémorandum du 16 juin 2017, une position de fermeté, en réclamant notamment des progrès sur la question des droits humains et des libertés publiques, ainsi que l'expulsion de personnes recherchées par la justice américaine.

En novembre 2018, les États-Unis ont de nouveau durci le ton, en plaçant sous sanctions 26 entités liées aux services de sécurité cubains, dont 16 complexes hôteliers.

Enfin, le 16 janvier dernier, l'administration américaine a suspendu pour 45 jours seulement, au lieu des six mois d'usage depuis 1998, l'application du titre III de la loi Helms-Burton de 1996 qui permet aux ressortissants américains, dont les biens ont été nationalisés entre 1959 et 1961, de poursuivre devant les tribunaux américains toute personne, dans le monde, se livrant à des opérations sur ces biens et de voir notamment prononcer une interdiction d'accès au territoire américain. L'administration entend passer en revue la situation de Cuba à la lumière de ses intérêts nationaux.

Compte tenu de la nomination de partisans de la ligne dure à des postes de responsabilité, comme John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, on peut raisonnablement craindre le pire pour la suite, avec les risques que cela implique pour les entreprises et les banques qui travaillent avec Cuba et tous les investisseurs en général, sans compter les actions en justice des Cubains vivant aux États-Unis pour réclamer les biens expropriés. Cette question a été évoquée en novembre dernier lors d'un dialogue entre l'Union européenne et Cuba sur les mesures coercitives et la question de l'embargo et de ses conséquences sur les relations entre les deux parties.

À cette occasion, l'Union européenne a rappelé son opposition à l'embargo américain - elle a, comme chaque année depuis 1992, soutenu la résolution sur la levée du blocus appliqué à Cuba par les États-Unis à l'Assemblée générale des Nations unies, en octobre dernier -, tandis que Cuba a indiqué que l'extraterritorialité des sanctions américaines était de plus en plus préjudiciable aux relations avec les États membres.

Nous ne savons pas encore ce que l'Union européenne ferait dans l'hypothèse d'une fin de suspension du titre III de la loi Helms-Burton, mais elle a déjà indiqué qu'elle défendrait ses intérêts et n'excluait pas un recours devant l'Organisation mondiale du commerce, ce qu'elle avait d'ailleurs fait du temps de Bill Clinton lorsqu'une application dure de la loi Helms-Burton avait déjà été envisagée. Un compromis avait alors abouti à la suspension renouvelable tous les six mois des articles les plus durs de cette loi. C'est ce que Donald Trump veut aujourd'hui remettre en cause.

Cette question pose celle, plus large, de l'extraterritorialité des lois américaines, utilisées comme une arme de guerre économique par Donald Trump. Le rétablissement des sanctions américaines à l'égard de l'Iran a récemment donné une nouvelle actualité à cette question. L'Union européenne a mis à jour son règlement de blocage en août dernier. Ce règlement avait été adopté en 1996, en réaction justement à la loi Helms-Burton. Il pourrait donc redevenir effectif à l'avenir, pour protéger les entreprises européennes ayant des relations avec Cuba. La question de l'extraterritorialité des lois américaines doit être traitée avec la plus grande fermeté par l'Union européenne. Il faut probablement renforcer l'efficacité du règlement de blocage, qui est à l'heure actuelle insuffisant. C'est un sujet de politique étrangère et commerciale de première importance pour l'Union, bien au-delà de l'accord que nous examinons aujourd'hui.

Dans ce contexte, Cuba, qui est un acteur très influent en Amérique latine et dans les Caraïbes, cherche à renforcer ses relations avec l'Union européenne pour diversifier ses partenariats. L'Union est le premier partenaire commercial, investisseur et bailleur de Cuba, même si les chiffres restent modestes : en 2015, les exportations européennes vers Cuba s'élevaient à 2,2 milliards d'euros, contre 0,54 milliard d'euros d'importations. Le montant de l'aide européenne via l'Instrument de coopération et de développement s'élève à 50 millions d'euros pour la période 2014-2020.

La France fait, quant à elle, partie des dix premiers partenaires commerciaux de Cuba avec une trentaine de bureaux de représentation dans les secteurs de la construction (Bouygues), des transports, de l'énergie, du tourisme et du négoce des produits agricoles (Pernod-Ricard). Elle a renoué ses relations d'amitié et de coopération avec Cuba depuis 2012, ce qui a débouché sur la restructuration de la dette cubaine à la fin de 2015 et la signature d'un accord bilatéral portant sur la conversion d'une partie des arriérés de la dette cubaine en un fonds de contre-valeur franco-cubain doté de 212 millions d'euros, la signature d'une feuille de route économique conjointe et l'installation de l'Agence française de développement en 2016 - l'AFD a déjà approuvé cinq projets dans les domaines de l'agriculture, des transports, de l'assainissement et de la santé publique. Le commerce bilatéral, après avoir baissé en 2015 et en 2016, est reparti à la hausse, en croissance de 33 %, pour atteindre 208,3 millions d'euros en 2018, ce qui s'explique par une forte augmentation des exportations, notamment des produits agricoles, et des importations françaises.

S'agissant du contenu, cet accord essentiellement politique ne contient aucun volet commercial tarifaire, à la différence des accords signés avec les autres États de la région. Comme c'est un accord mixte, les stipulations relevant de la compétence exclusive de l'Union s'appliquent depuis le 1er novembre 2017.

Cet accord vise à consolider et à renforcer le dialogue politique, qui se tiendra à intervalles réguliers au niveau politique et des hauts fonctionnaires. Au sein du dialogue politique, le dialogue sur les droits humains se voit réserver une place particulière. Le dialogue politique couvre les domaines classiques dans ce type d'accord.

Conformément à la pratique habituelle de l'Union européenne, la violation des stipulations essentielles que sont le respect des droits humains et des libertés fondamentales ainsi que la lutte contre la prolifération d'armes de destruction massive, peut entraîner la suspension unilatérale de cet accord.

Depuis l'application à titre provisoire du présent accord, deux dialogues politiques ont été organisés, le premier en octobre 2018 sur les droits humains, le second en novembre 2018 sur les mesures coercitives et la question de l'embargo.

L'accord vise aussi à favoriser la coopération dans tous les domaines. Il prévoit une coopération et un dialogue sur les politiques sectorielles, sous la forme notamment d'assistance technique et financière et de participation de Cuba aux programmes de coopération de l'Union. Les secteurs de coopération sont vastes : on peut citer notamment le développement économique, l'intégration et la coopération régionale, la sécurité des citoyens et les migrations ; le développement social et la cohésion sociale, ainsi que la gestion des risques de catastrophes et le changement climatique - Cuba a joué un rôle actif et positif en faveur du caractère universel de l'Accord de Paris qu'il a ratifié en 2016 ; le pays a été dévasté par l'ouragan Irma en 2017. Enfin, il instaure une coopération dans le domaine des échanges commerciaux avec l'objectif de renforcer et de favoriser l'intégration de Cuba dans l'économie mondiale, de soutenir la diversification de l'économie cubaine et d'encourager l'augmentation des flux d'investissements.

En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi, qui a été voté à l'unanimité par nos collègues de l'Assemblée nationale. Il est temps que la France, qui a beaucoup oeuvré en faveur du rapprochement de l'Union européenne avec Cuba, et ce depuis longtemps, ratifie à son tour cet accord, qui l'a déjà été par vingt États membres.

L'examen en séance publique est prévu le jeudi 7 février 2019, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.

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