Intervention de Maryline Gygax Généro

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 janvier 2019 à 9h30
Audition de Mme Maryline Gygax généro directrice centrale du service de santé des armées ssa

Maryline Gygax Généro, directrice centrale du Service de santé des armées :

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous remercier pour votre invitation. II s'agit pour moi d'un réel honneur que de présenter devant cette commission les enjeux présents et futurs du service de santé des armées, que je dirige depuis maintenant plus d'un an. Après avoir rappelé succinctement les missions du SSA et les acquis significatifs de la transformation, je vous exposerai les grands défis que le SSA devra surmonter dans les années à venir et ma vision stratégique.

La France est l'une des rares nations occidentales à être en capacité de déployer une chaîne santé complète, autonome et réactive. C'est bien cette capacité à réaliser les gestes du damage control dès la blessure, associés à une évacuation médicalisée précoce vers le territoire national, le tout en moins de 25 heures en moyenne, qui offre les meilleures chances de survie avec le moins de séquelles fonctionnelles et/ou psychologiques à nos militaires blessés.

Le SSA est à lui seul un système de santé complet, organisé et expérimenté, qui compte 14 700 personnels, dont 70 % de militaires et 30 % de civils. Il est globalement féminisé à 60 %. Le SSA est un acteur incontournable de la réalisation des ambitions stratégiques de la France. Il constitue un système de santé cohérent et expérimenté, qui, en Europe, a la capacité unique d'assurer le soutien médical des armées en opération en tout temps, en tout lieu, partout où elles sont déployées : sur terre, dans les airs, sur et sous les mers, et ce quel que soit le mode d'intervention de nos armées, notamment l'entrée en premier. La caractéristique des soignants militaires est de savoir sauver des vies en situation isolée, en environnement extrême ou en milieu hostile. C'est cette mission première, avant, pendant et après les engagements, au plus près des armées, qui fonde le dimensionnement et l'organisation du SSA.

En 2018, le SSA a projeté 1 846 militaires dont 433 médecins, parmi lesquels 312 médecins généralistes, 77 chirurgiens, 37 anesthésistes réanimateurs et 7 psychiatres. Chaque jour, près de 2 000 personnels du SSA sont de garde, d'astreinte, d'alerte ou engagés en opérations.

Le SSA est également un acteur à part entière du système public de santé, qui prend en charge, au quotidien, dans ses hôpitaux, une large patientèle civile.

Les attentats récents sur le territoire national, l'épidémie de maladie à virus Ebola en Afrique en 2014, sont autant de situations au cours desquelles le SSA, fort de son adaptabilité et de son expérience, est venu en sus renforcer les structures civiles de la gestion de crise, concourant en cela à la résilience de la France.

Cet apport essentiel à la nation, que l'on attend d'un outil militaire, souligne bien la singularité du SSA, à la croisée des mondes de la santé et de la défense.

Le SSA est engagé dans un ambitieux plan de transformation initié en 2015 par mon prédécesseur, le médecin général des armées Jean-Marc Debonne. Cette transformation vise à garantir aux militaires un soutien santé permanent et une qualité technique optimale, face aux risques sanitaires spécifiques de toute activité opérationnelle. Elle repose sur trois grands principes de concentration, d'ouverture et de simplification.

Depuis 2015, le SSA n'a eu de cesse de se refaçonner autour du soutien opérationnel, d'améliorer la prise en charge globale du blessé de guerre, de préserver la proximité avec les armées, d'apporter une attention permanente au moral de son personnel et au climat social, de devenir un acteur à part entière du système de santé publique et un acteur majeur de la résilience de la nation, et enfin d'accroître ses performances sur les plans opérationnel, technique, organisationnel et financier pour diminuer le coût de possession. Il le fait au moyen d'une transformation systémique et synchrone de ses cinq composantes, dont le caractère indispensable, interdépendant et indissociable a été réinterrogé et réaffirmé.

S'agissant de la médecine des forces, le soutien médical de proximité des unités des trois armées et de la gendarmerie nationale a été profondément restructuré afin de dégager du temps médical. La réorganisation des centres médicaux des armées (CMA), passant de 55 à 16 en 2019, a permis de concentrer les fonctions administratives dans une portion centrale et de renforcer les activités de soins, d'expertise et de préparation opérationnelle au sein des 200 antennes médicales qui ont subsisté et restent placées au plus près des forces armées. L'équilibre fonctionnel ainsi créé, avec une moyenne de 15 antennes médicales et de 21 000 militaires soutenus par CMA, permet d'optimiser la performance au travers de mutualisations de moyens.

La réorganisation de la médecine des forces s'est achevée en septembre 2018. La chaîne de commandement repose désormais sur une direction de la médecine des forces (DMF), implantée à Tours et qui a repris les missions des six directions régionales, dissoutes à la fin du moins d'août dernier.

Pour ce qui est des hôpitaux, après redimensionnement de l'offre hospitalière au juste besoin des armées et transfert en secteur civil des spécialités ne répondant pas aux besoins du contrat opérationnel, comme la radiothérapie, la néphrologie ou l'obstétrique, le format retenu de huit établissements a permis la différenciation en deux ensembles hospitaliers militaires (EHM) et quatre ensembles hospitaliers civils et militaires (EHCM).

Les EHM, en Île-de-France et en PACA, sont détenus en propre, ce qui permet de préserver au SSA sa capacité de réponse immédiate au contrat opérationnel, par la projection avec un faible préavis d'équipes chirurgicales spécialisées, formées et entraînées. Les hôpitaux d'instruction des armées (HIA) d'Île-de-France, et bientôt ceux de PACA, reçoivent directement les blessés évacués des théâtres d'opérations. Leur labellisation en trauma center de niveau 1 par l'Agence régionale de santé (ARS), pour Percy et Sainte-Anne, atteste de leur compétence à prendre en charge les polytraumatisés les plus graves, y compris et de façon spécifique, s'ils sont brûlés ou radiocontaminés ou contaminés chimiquement.

Les EHM disposent également d'un statut de pôle référent en infectiologie, d'un panel complet de spécialités médicales ainsi que d'un pôle de rééducation et de réhabilitation destiné à la prise en charge précoce et secondaire des blessés tant physiques que psychiques. Ils ont vocation à développer des partenariats avec les groupements hospitaliers de leur territoire, tout en préservant leur autonomie dans les activités nécessaires au bon fonctionnement des spécialités projetables. La symétrie des capacités ainsi créées au nord et au sud permet de sécuriser le service rendu aux armées.

Les quatre HIA en EHCM, à Brest, Metz, Lyon et Bordeaux, sont porteurs, quant à eux, de la capacité à durer sur les théâtres, sous préavis de plusieurs mois compte tenu des conditions imposées par nos partenaires civils. Ils doivent en tout cas rester en mesure de fournir un vivier de compétences nécessaires à la relève des opérations. Ces hôpitaux, qui ont assumé une large part de la déflation de 10 % des effectifs du SSA, sont fortement intégrés dans leur territoire de santé via des partenariats innovants avec la santé publique, dont le quatrième et dernier a été signé à Lyon en décembre 2017. La réorganisation des activités et les adaptations d'infrastructures ne sont pas terminées, elles vont se poursuivre jusqu'en 2023 : ce n'est qu'à cet horizon que les partenariats seront stabilisés. À la fin de 2020, l'ensemble des équipes chirurgicales militaires sera inséré chez les partenaires avec la constitution d'équipes mixtes, civiles et militaires. Au titre de la sécurisation de la réponse au contrat opérationnel, le maintien d'un niveau significatif de personnels projetés demeure au centre du principe de la pérennisation de ces établissements. Si l'on regarde l'activité opérationnelle en 2018, les EHM ont assuré 66 % des projections de personnels hospitaliers, et donc les EHCM 34 %, ce qui est conforme à la trajectoire fixée.

Tous les HIA participent par ailleurs à la réponse aux crises sanitaires survenant sur le territoire national, ainsi qu'à la prise en charge des victimes d'attentats. Enfin, ils ont tous une mission de formation, d'expertise médicale et de recherche clinique.

S'agissant des autres composantes, le ravitaillement sanitaire et la recherche biomédicale de défense poursuivent leur restructuration engagée depuis 2008. La montée en puissance de l'Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) sera achevée avec la mise en service prévue à la fin de 2019 du nouveau laboratoire confiné de haute sécurité.

Enfin, la réorganisation du dispositif de formation du SSA a vu le regroupement de nos écoles de formation initiale pour les praticiens et les infirmiers sur le site de Lyon en 2018, ainsi que la structuration de la préparation technique opérationnelle et le développement de l'enseignement numérique.

Je ne serais pas complète si je n'évoquais pas également l'effort de simplification qui a présidé à la mise en oeuvre de notre nouvelle organisation depuis le 3 septembre dernier : il s'agit de mettre en oeuvre une gouvernance plus lisible et plus visible, avec davantage de subsidiarité et de responsabilisation de mes adjoints, des directeurs de chaînes et directeurs d'établissements.

Notre environnement est porteur de défis majeurs. En sus de toutes ces réalisations, nous devons poursuivre notre adaptation continue à notre environnement santé et défense, afin d'intégrer en permanence les évolutions sociétales, médicales et géostratégiques.

Quelles sont ces évolutions majeures ?

En premier lieu, il nous faut intégrer le caractère exigeant, difficile et instable qui est désormais celui du contexte opérationnel, que je ne détaillerai pas car vous le connaissez bien.

L'ambition de la France de disposer de forces capables de s'engager, y compris sur très faible préavis, en premier et en autonomie, ambition confirmée par la revue stratégique de 2017 et la vision stratégique du chef d'état-major des armées, m'oblige en tant que directrice centrale à garantir l'opérationnalité du SSA sur l'ensemble du spectre des missions.

L'autre évolution majeure que nous devons intégrer est celle de l'évolution de notre environnement santé, en particulier la réforme ambitieuse du système de santé publique annoncée par le Président de la République en septembre 2018.

Cette réforme modifiera en profondeur l'organisation et le financement de notre système de santé, ainsi que les modalités de formation et d'exercice des soignants. Il est primordial que le SSA s'inscrive pleinement dans la dynamique de cette réforme, avec une attention particulière pour la réforme des études médicales, les autorisations d'activités, et la notion de communautés professionnelles des territoires de santé.

Face à ces évolutions majeures, nous avions besoin d'une loi de programmation militaire à la hauteur des enjeux. Les ressources qui seront allouées au SSA pour les cinq prochaines années répondent objectivement à un certain nombre d'attentes et lui donnent les moyens de poursuivre son évolution et de financer ses priorités. Je vous remercie à cet égard d'avoir souligné à plusieurs reprises l'action déterminante du SSA au profit de la communauté militaire.

J'en viens à ma vision stratégique pour l'avenir du service. Au-delà de la question des ressources, afin de faire de ces nouveaux éléments de contexte que j'ai évoqués et pour en faire de véritables opportunités, le SSA a besoin de se doter d'une vision ambitieuse. C'est pourquoi j'ai identifié trois axes stratégiques pour préparer l'avenir.

Premier axe prioritaire : garantir notre efficacité opérationnelle. Cela passe par une adaptation continue de la doctrine du soutien médical en opération aux nouveaux modes d'action militaires. À ce titre, le SSA met en oeuvre une véritable démarche d'innovation continue pour adapter les capacités médicales opérationnelles aux nouvelles conditions d'engagement. Lors de vos déplacements sur les théâtres d'opérations, vous pourrez voir d'ici à quelques mois une nouvelle antenne chirurgicale, mieux adaptée aux modalités d'engagement des armées et prenant en compte les nouvelles technologies médicales.

Cette exigence d'efficacité opérationnelle s'applique aussi à la préparation du personnel projetable de la fonction santé. L'excellence des soignants militaires s'appuie sur une capacité de formation spécifique, académique et opérationnelle, et nous travaillons à toujours renforcer leurs compétences techniques et militaires. À cette fin, les nouvelles technologies nous permettront d'aller plus loin dans le caractère réaliste des entraînements. Je pense notamment à la formation, par la simulation, pour laquelle nous nourrissons de grandes ambitions et qui complète les formations sur le terrain.

Deuxième axe : conforter notre capacité de réponse aux besoins de santé des armées. Pour la première fois dans l'histoire du service, nous venons de publier notre stratégie santé de défense. Nous allons maintenant finaliser notre projet médical, tout entier tourné vers l'optimisation du parcours de prévention, de soins et d'expertise du militaire.

Autre grand projet, l'observatoire de la santé des militaires, actuellement en cours d'élaboration, permettra une connaissance approfondie de l'état de santé de ces derniers, afin de mieux répondre à leurs besoins spécifiques de santé, et de mieux ajuster le parcours de soins et d'expertise, dont toutes les étapes doivent répondre à une exigence de qualité.

Ce rôle d'opérateur santé unique du ministère des armées continuera bien évidemment de s'enrichir par le biais des partenariats interministériels, d'abord, en poursuivant notre politique d'ouverture par une inscription dans les territoires de santé, qui devrait amener les ARS à tenir compte des besoins de santé de défense, en application de l'accord interministériel santé-défense de 2017 et de l'ordonnance SSA-INI relative au service de santé des armées et à l'Institution nationale des Invalides du 17 janvier 2018.

Il s'enrichira aussi grâce aux partenariats internationaux : je viens d'assister à la réunion des chefs des services de santé des armées de l'OTAN, qui montre que les expériences de nos alliés sont riches en enseignements, notamment en termes de solutions à éviter. Je pense à l'Espagne, qui revient aujourd'hui sur la fermeture de ses écoles de formation initiale de soignants militaires. Tous ont pour point commun d'être confrontés à des difficultés en matière d'attractivité et de fidélisation, dans une situation de grande concurrence avec le secteur civil. Le Canada et le Royaume-Uni, par exemple, ont utilisé avec succès des mesures financières individuelles pour les spécialités en effectifs critiques. Tout cela alimente notre réflexion.

Enfin, troisième axe prioritaire : consolider la mise en oeuvre de notre transformation. Nous devons bien sûr veiller au moral et à la cohésion du personnel de notre service. Le SSA est une entité indivisible, riche de ceux qui le composent. Il est capital que tous puissent trouver leur place et s'épanouir. Pour cela, nous finalisons une nouvelle politique de ressources humaines, tournée vers un objectif d'adéquation quantitative et qualitative aux missions, source d'attractivité et de fidélisation. Cette politique doit inclure une valorisation des rémunérations et des parcours professionnels, mais aussi répondre à des préoccupations d'équilibre entre vie familiale et vie privée, d'aménagement de la parentalité et de reconnaissance des services rendus.

Parce qu'il est urgent de remettre nos effectifs à flot, cette politique porte également un objectif fort d'augmentation de la part de contractuels au sein du SSA, de 8 % à 20 % en 2030, afin de recapitaliser rapidement la médecine des forces ainsi que les spécialités hospitalières en déficit critique. La concrétisation des effets extrêmement positifs de stabilisation des effectifs globaux du SSA apportés par la LPM pour 2019-2025, passe ainsi par notre capacité à recruter une centaine de médecins généralistes contractuels et une vingtaine de chirurgiens orthopédiques. J'y vois également une forme de contribution du SSA à la résilience de la nation : en effet, ces médecins qui ont vocation à réintégrer le service public de santé au terme de leur contrat y apporteront les compétences qu'ils auront acquises au sein du SSA en matière de prise en charge de blessés de guerre et d'afflux de victimes.

Je n'oublie pas par ailleurs l'objectif tout aussi prégnant de renforcement de notre réserve opérationnelle avec une cible de recrutement de 300 réservistes supplémentaires cette année, d'autant que nos réservistes participent aux OPEX à hauteur de 11 % et constituent également un vivier de recrutement.

Alors que jusqu'en 2018 le SSA avait une déflation à réaliser, il nous faut désormais développer et mettre en oeuvre une chaîne de recrutement en capacité d'être efficace quasi immédiatement, ce qui n'est pas un mince défi dans l'environnement très concurrentiel de la santé publique. L'objectif est bien de redonner au SSA sa capacité de régénération et d'offrir à notre personnel les meilleures conditions d'exercice. En tant que directrice centrale du SSA, mon attention portera en priorité sur la bonne exécution de la LPM et la bonne adéquation des ressources avec les missions.

Concernant les moyens de financements, je compte inscrire le SSA dans la dynamique du plan « Ma santé 2022 » pour lui permettre d'accéder aux divers modes de financement auxquels il peut légitimement prétendre, en tant qu'acteur du service public de santé.

Dernier levier pour permettre au SSA d'atteindre son modèle cible : le développement des outils numériques, qui amélioreront au quotidien les conditions de travail du personnel et organiseront une autre proximité avec les armées, par le biais de la télémédecine. La mise en place du nouveau système d'information, le logiciel Axone, prévue cette année, est très attendue au sein des CMA. Ce n'est qu'un début. Ce virage numérique engendrera très certainement un besoin de moyens financiers nouveaux afin d'atteindre le niveau attendu.

Les enjeux sont de taille, mais je suis déterminée et mobilisée pour que le SSA puisse réaliser ses ambitions. Au-delà de leur engagement, les femmes et les hommes du SSA, à la croisée des mondes de la santé et de la défense, sont mus par une culture commune et des valeurs particulières : il s'agit de notre singularité positive, que nous devons préserver et cultiver pour continuer à en faire une force au service de nos soldats, car leur vie est notre combat.

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