Près de 59 000 nouveaux cas de cancers du sein ont été diagnostiqués en 2017. Selon la nature du cancer, infiltrant ou in situ, une mastectomie intervient dans 23 % à 31 % des cas. Selon une étude de l'Observatoire sociétal des cancers de 2014, 64 % des femmes interrogées s'estiment mal informées sur le processus de reconstruction mammaire.
L'annonce du diagnostic peut plonger les patientes dans une forme de sidération. La mastectomie, qui reste une nécessité vitale, est vécue par beaucoup comme une mutilation. Cela peut expliquer qu'un grand nombre de patientes ne songent pas, même plusieurs années après l'ablation, à recourir à une reconstruction mammaire. Selon les données du programme de médicalisation des systèmes d'information pour 2014, seulement 17,5 % des femmes ayant subi une mastectomie, partielle ou totale, ont bénéficié d'une procédure de reconstruction ou de symétrisation chirurgicales dans un délai de quatre ans après la mastectomie.
Cette proposition de loi n'a pas pour objectif d'inciter les femmes à entreprendre systématiquement une procédure de reconstruction après une mastectomie. Elle vient plutôt corriger une situation dans laquelle une majorité de patientes dénoncent un déficit d'information. Le fait de ne pas recourir à une reconstruction mammaire relève du choix de chaque femme et peut participer d'une volonté assumée de ne pas se voir réduite à un organe qui reste inscrit dans l'imaginaire collectif comme une marque de féminité.
Grâce aux progrès du dépistage systématisé, le taux de survie du cancer du sein in situ s'établit à 95 % à dix ans. Dans certains cas, la reconstruction mammaire peut être réalisée en même temps que l'ablation ou être différée, soit par choix de la patiente, soit parce que le traitement ne le permet pas dans l'immédiat, notamment en cas de radiothérapie associée.
Des progrès considérables ont été réalisés dans le domaine de la reconstruction mammaire. Quatre principales méthodes de reconstruction sont aujourd'hui disponibles : par pose d'une prothèse mammaire, technique la plus courante en cas de geste immédiat et pendant les deux premières années après l'ablation ; par lambeau avec prélèvement de muscle, comme le lambeau du muscle grand dorsal, qui est pédiculé, ou le lambeau de la cuisse, qui est libre ; par lambeau sans prélèvement de muscle et consistant en un transfert d'un lambeau de peau et de graisse libre, provenant de l'abdomen ou des fesses ; par greffe adipocytaire.
Le choix de la technique doit procéder d'une discussion entre la patiente, son oncologue et son chirurgien, et idéalement un oncopsychologue. Le primo-intervenant n'est pas forcément le plasticien.
L'échange entre la patiente et l'équipe médicale doit d'abord tenir compte des réticences psychologiques et personnelles propres à chaque femme sans chercher à les écarter. Aucune forme de pression à la reconstruction mammaire ne saurait être tolérée. Or plusieurs associations m'ont fait part de l'incompréhension que peuvent manifester certains chirurgiens au refus de reconstruction opposé par des patientes.
L'annonce du diagnostic est un moment suffisamment anxiogène pour que certaines patientes n'aient pas envie de parler de reconstruction. Il faut déjà qu'elles acceptent le diagnostic. La place des oncopsychologues à cet égard apparaît centrale et nous ne pouvons que regretter que tous les établissements ne proposent pas un accompagnement psychologique de qualité.
Vient l'acceptation d'un nouveau corps ; la reconstruction mammaire ne peut être présentée que comme la promesse de conserver l'apparence d'un sein. Reconstruite ou pas, une femme devra accepter une nouvelle apparence et de nouvelles sensations. Certaines font de l'ablation une part intégrante de leur nouvelle féminité et optent dans certains cas pour un tatouage habillant leur cicatrice. L'âge peut constituer un paramètre important, puisqu'il est en moyenne de 63 ans au moment du diagnostic.
Évoquons également les mastectomies prophylactiques. Au regard de leurs antécédents familiaux, des femmes sont conduites à évaluer, dans le cadre de consultations d'oncogénétique, leur prédisposition génétique aux cancers du sein et de l'ovaire. Plusieurs mutations génétiques ont été identifiées comme associées aux cancers du sein et de l'ovaire, dont les mutations BRCA1 et BRCA2. L'Institut national du cancer (INCA) ne recommande pas de chirurgie mammaire de réduction de risque avant l'âge de 30 ans. Le contexte médiatique a néanmoins pu conduire des jeunes femmes, porteuses saines de ces mutations, à s'engager dans une mastectomie prophylactique bien avant leurs 30 ans.
De même, lorsque le cancer est localisé sur un seul sein, par crainte que le cancer se manifeste plus tard sur le second, des patientes peuvent réclamer une mastectomie controlatérale à titre prophylactique.
Une série de facteurs peuvent venir entraver le processus de décision libre et éclairée de la patiente. Au vu de la haute technicité des procédures de reconstruction, on peut aisément comprendre qu'un oncologue ou un chirurgien ait développé une expérience de pointe sur seulement l'une d'entre elles et ne soit pas toujours en mesure d'apporter une information complète sur l'éventail des possibilités offertes à la patiente.
En outre, des difficultés d'ordre socioéconomique et géographique conduisent à des inégalités dans l'accès à une information de qualité.
Dans ses critères d'agrément pour la pratique de la chirurgie carcinologique mammaire, l'INCA prévoit que l'accès aux techniques de plastie mammaire est assuré aux patientes, sur place ou par convention. Selon les associations, cette exigence est inégalement respectée sur le territoire.
Par ailleurs, il m'a été indiqué que 70 % des chirurgiens pratiquant des interventions de reconstruction n'exercent pas en secteur 1 ou en option de pratique tarifaire maîtrisée (Optam), ce qui a pour conséquence de rallonger considérablement les délais d'attente et de conduire les femmes à se tourner vers les hôpitaux privés ou le secteur privé des hôpitaux publics ou du secteur non lucratif. Malgré l'inscription de six actes de reconstruction dans la classification de l'assurance maladie, les restes à charge importants peuvent constituer un obstacle.
Une intervention par lambeau libre, qui réclame deux chirurgiens et huit heures de microchirurgie pour revasculariser le lambeau, présente un coût important pour l'établissement qui peut choisir de ne pas proposer cette technique faute de rentabilité.
Dans ce contexte, il me semble donc indispensable que les centres de carcinologie mammaire s'efforcent, dans un cadre pluridisciplinaire, de proposer à chaque patiente une information la plus complète possible. Cette information devrait être formalisée dans le parcours de soins par une consultation spécifique assurée soit par l'oncologue, soit par plusieurs autres professionnels de santé, idéalement deux chirurgiens différents, mieux à même de la renseigner.
En consacrant cette obligation d'information, cette proposition de loi devrait précisément conduire les centres à s'organiser, en interne ou dans le cadre de conventions avec des chirurgiens plastiques et des structures associatives, pour garantir la délivrance d'une information de qualité à toutes les patientes dans leur parcours de soins.
Il importe néanmoins que cette obligation d'information ne soit pas uniquement prévue au stade où la mastectomie n'est encore qu'envisagée mais qu'elle intervienne également dans le cas où une mastectomie a déjà été réalisée, notamment dans l'hypothèse où l'ablation aurait été effectuée dans des délais très brefs. Je vous proposerai donc un amendement de précision, en complément d'un amendement de coordination à l'article 2.
Au bénéfice de ces observations, j'invite la commission à adopter ce texte modifié par les deux amendements que j'ai déposés.