La proposition de Mme Deroche fait suite à plusieurs constats formulés par l'Observatoire sociétal des cancers dans son rapport de 2014 intitulé Cancer du sein, se reconstruire après une mastectomie, qui soulignait notamment un faible taux de recours à la reconstruction mammaire; entre deux et trois femmes sur dix Les causes identifiées étaient une information insuffisante des patientes, des difficultés d'accès à la reconstruction, ainsi que son coût.
Avec près de 60 000 nouveaux cas par an, le cancer du sein se situe au premier rang des cancers incidents chez la femme, nettement devant celui du côlon-rectum et celui du poumon. C'est aussi celui qui cause le plus grand nombre de décès, avec 18,2 % des décès féminins par cancer. Toutefois la survie nette à cinq ans standardisée sur l'âge s'améliore d'année en année. Elle est passée de 80 % pour les femmes diagnostiquées entre 1989 et 1993 à 87 % pour celles diagnostiquées entre 2005 et 2010, soit l'un des plus hauts taux de survie en Europe et dans le monde. Cette progression s'explique en partie par l'amélioration des traitements et par un dépistage du cancer du sein de plus en plus adapté au niveau de risque de chaque femme, facilitant le diagnostic à un stade précoce.
Malgré les progrès, les traitements demeurent lourds et le traitement chirurgical est le plus fréquent. Il peut altérer l'apparence du sein, voire conduire à son ablation totale. Ces modifications physiques peuvent avoir des répercussions psychosociales très douloureuses sur la patiente, touchant l'image de soi, la confiance, l'humeur, l'estime, la sexualité ou plus largement la qualité de vie.
Les conséquences de la mastectomie sont très variables, étant influencées par l'histoire personnelle et familiale de chaque patiente. La nécessité d'un soutien psychologique est donc nécessaire ; elle est appréciée en fonction de la singularité de la personne traitée.
La reconstruction mammaire contribue à restituer la forme et le volume du sein, mais ni sa sensibilité, ni la fonctionnalité de la plaque aréolo-mamelonnaire.
La reconstruction vise à limiter le retentissement psychosocial de la perte du sein et les conséquences physiques de l'ablation, telles que l'aisance vestimentaire ou les douleurs dorsales liées à l'asymétrie lors d'une mastectomie unilatérale.
Diverses études ont montré qu'il existait un lien entre la satisfaction cosmétique d'une reconstruction mammaire et l'image corporelle, mais aussi l'état psychique de la patiente. La reconstruction mammaire constitue ainsi pour certaines femmes une réponse aux perturbations induites par la mastectomie, mais elle ne dispense pas d'un travail de deuil du sein perdu, ni d'une phase d'appropriation du sein reconstruit.
Certaines femmes ne ressentent pas le besoin de reconstruire leur sein. Ce choix est personnel. Mais il est évident que les patientes doivent avoir toutes les informations en main pour faire un choix éclairé.
Je partage le souci exprimé tant par l'auteure de la proposition de loi que par la rapporteure : des progrès doivent être réalisés en matière d'information des patientes.
Je suis extrêmement sensible à ce sujet et je souhaite rappeler l'action 9.10 « Permettre un égal accès aux actes et dispositifs de reconstruction après un cancer » du Plan cancer 2014-2019, qui avait pour but d'inscrire à la nomenclature de nouvelles techniques de reconstruction mammaire et de procéder à la revalorisation d'actes déjà inscrits, de façon à réduire les restes à charge pour les patientes. Elle devait aussi augmenter l'offre de reconstruction mammaire sans dépassement d'honoraires pour les régions les moins couvertes. L'objectif était que d'ici 2020, toutes les autorités régionales de santé (ARS) aient organisé un accès à une offre à tarif opposable dans le champ de la reconstruction mammaire et donc sans reste à charge pour les patientes.
Où en est-on ? Les tarifs de remboursement de six actes de reconstruction mammaire ont été revalorisés de 23 % entre 2013 et 2015. Depuis juin 2014, l'assurance maladie prend également en charge des actes de symétrisation mammaire, dite mastoplastie unilatérale de réduction ou d'augmentation avec pose d'un implant, quand ils sont réalisés après un traitement du cancer du sein par chirurgie. En 2017, deux nouveaux actes ont été reconnus et inscrits à la nomenclature pour prise en charge par l'assurance maladie. Il s'agit d'actes d'autogreffe de tissu adipeux au niveau du sein. C'est une modalité chirurgicale supplémentaire qui est désormais remboursée en matière de chirurgie réparatrice, reconstructrice et esthétique du sein.
Par ailleurs, les implants mammaires à enveloppe lisse et texturée sont pris en charge au titre de la liste des produits et prestations remboursables (LPPR) sans reste à charge pour les patientes, pour les indications de reconstruction mammaire. De même, les prothèses mammaires externes, qu'elles soient transitoires ou non, sont prises en charge au titre de la LPPR, sans reste à charge pour les patientes.
Ainsi, la reconstruction mammaire est prise en charge à 100 % dans le cadre de l'affection longue durée (ALD) sur la base du tarif de l'assurance maladie.
Malheureusement, il est vrai que certains établissements pratiquent des dépassements d'honoraires qui restent à la charge des patientes, malgré la revalorisation des actes. L'information avant la prise de décision par la patiente concernant les coûts doit être claire.
Mais surtout l'offre de soin répartie sur le territoire doit être analysée et des parcours à tarif opposable doivent être identifiés dans toutes les régions. C'est l'objet d'une mesure ambitieuse et très importante pour moi du Plan cancer III.
Des travaux sont en cours entre l'agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH) et la direction générale de l'offre de soins (DGOS) pour recenser le parcours de soins des patientes ayant eu une mastectomie. Le premier volet de ces travaux a été rendu fin mai 2018 ; il présente le volume d'actes de reconstruction mammaire réalisé par région afin d'identifier d'éventuelles particularités régionales. À partir de cette analyse, nous allons aider et inciter les régions à analyser plus finement leurs problématiques et à mettre en oeuvre des réponses aux déficits constatés de l'offre.
Ces évolutions, qui sont de l'ordre de réorganisations ou d'évolutions des ressources humaines, demanderont du temps, mais elles constituent une transformation en profondeur indispensable.
Il me semblait important de rappeler ces avancées majeures en faveur de l'égalité d'accès à ces techniques, qui devraient déjà contribuer à améliorer le recours à la reconstruction pour les femmes qui le souhaiteraient.
Les chiffres de l'Observatoire cités témoignent d'une situation antérieure à la mise en place de ces mesures du Plan cancer III. La reconstruction survenant dans une proportion non négligeable à distance de la mastectomie, j'espère que nous pourrons observer l'impact de ces différentes mesures d'ici deux ans.
Concernant l'information en tant que telle, l'obligation d'information dont il est question aujourd'hui est déjà couverte par les dispositions de l'article L.1111-2 du code de la santé publique qui pose les principes généraux de l'information des usagers du système de santé. Des actions ont également été entreprises dans le cadre de cet article, notamment la diffusion de documents d'information à destination des femmes porteuses d'implants sur le site du ministère des solidarités et de la santé.
L'INCA met à disposition des contenus et des outils construits avec les patients et les professionnels de santé, tels que la plateforme Cancer Info comprenant des fiches internet, des guides pour les patients et une ligne téléphonique.
L'information doit s'appuyer sur des données actualisées. Ainsi, la direction générale de la santé a saisi la Haute Autorité de santé (HAS) en novembre 2018, afin d'actualiser l'état des lieux sur les techniques alternatives à la pose d'implants mammaires.
Les outils de coordination et de partage entre les professionnels, les travaux sur l'organisation des parcours sont autant d'opportunités de diffuser les bonnes pratiques et de faire de chaque professionnel un bon relais de l'information.
D'autres vecteurs peuvent également être mobilisés pour améliorer l'information des patientes, comme les autorisations délivrées aux établissements qui traitent les cancers et qui sont en cours d'actualisation. En effet, les centres qui traitent les cancers du sein doivent faire l'objet d'une autorisation d'activité délivrée par l'agence régionale de santé sur des critères émis par l'INCA et la HAS. Cette autorisation couvre l'activité de chirurgie curative des cancers du sein mais pas la reconstruction mammaire. Néanmoins, l'établissement autorisé au traitement chirurgical du cancer du sein doit également répondre à des critères d'agrément pour la pratique de la chirurgie carcinologique du sein. L'un de ces critères est d'assurer aux patientes traitées l'accès aux techniques de plastie mammaire. Cet accès peut être assuré sur place ou, le cas échéant, par convention avec un autre établissement. Ainsi les patientes traitées ont un accès organisé à la reconstruction mammaire dès leur prise en charge par les centres autorisés à traiter le cancer.
Les travaux de réforme du régime des autorisations en cancérologie sont actuellement en cours. Je serais très favorable à ce que des critères relatifs à l'information et l'orientation relatives à la reconstruction mammaire soient ajoutés car cela constitue un élément de bonne pratique incontournable.
Au regard de ces différents éléments, vous comprendrez ma réserve sur cette proposition de loi qui inscrit dans la partie législative du code de la santé publique une obligation d'information spécifique sur la reconstruction mammaire en cas de mastectomie, mais le Gouvernement ne s'y opposera pas.