Le 13 décembre dernier, la BCE a confirmé l'arrêt de son programme de quantitative easing ou QE, qui constituait le dernier volet dit « non-conventionnel » de la politique monétaire qu'elle mène depuis 2012. Ce faisant, son président Mario Draghi a implicitement modifié ses statuts en en faisant un prêteur en dernier ressort. Nous avions détaillé, dans un rapport paru en juin 2015, l'ensemble des mesures prises par la BCE pour faire face à la crise financière, en particulier depuis l'accession à la présidence de M. Draghi.
Précisons tout d'abord que la succession de Mario Draghi, dont le mandat se termine le 31 octobre prochain, devrait avoir un impact minime sur l'action de la BCE. Les prétendants les plus sérieux - M. Erkki Liikanen, gouverneur de la Banque de Finlande, ou le français François Villeroy de Galhau - ne devraient pas remettre en cause l'orientation générale de la politique monétaire. M. Draghi, souvent caricaturé par le passé, est aujourd'hui présenté comme l'homme ayant su donner une véritable indépendance à la BCE.
Le QE visait un double objectif : prévenir un risque de déflation particulièrement élevé en 2015, et injecter des liquidités pour relancer le secteur bancaire. L'objectif de stabilité des prix à un taux voisin mais inférieur à 2 % à moyen terme constitue, je vous le rappelle, la principale mission de la BCE.
Cette politique s'est traduite par des rachats de titres publics et privés sur les marchés. Le montant de ces acquisitions n'a pas été stérilisé. Il y a donc eu création de monnaie, ce qui a permis de soutenir les exportations.
Jusqu'en juin 2016, les achats ont concerné des titres de dette souveraine, dont la maturité était comprise entre deux et trente ans, des obligations sécurisées garanties par des crédits hypothécaires ou des créances sur le secteur public, ainsi que des crédits titrisés d'entreprises. La BCE a ensuite élargi son volant d'acquisitions aux obligations de bonne qualité, libellées en euros, émises par des sociétés non bancaires établies dans la zone euro, dans le cadre du programme PSPP.
Plusieurs critères ont été retenus pour encadrer cette politique d'acquisition et prévenir tout risque de financement direct des États, interdit par les traités. Ainsi, les titres rachetés ne pouvaient couvrir qu'un tiers de la dette totale d'un émetteur et ne représenter plus d'un quart d'une émission. Seuls les émetteurs disposant d'une notation financière comprise entre AAA et BBB- pouvaient bénéficier du programme de rachats, sauf à ce qu'ils soient engagés dans un programme d'assistance financière. Les titres devaient être émis en euros et les rachats de titres publics devaient se dérouler sur le marché secondaire, y compris ceux concernant les entreprises publiques.
La combinaison de ces critères a permis à la Cour de justice de l'Union européenne, saisie par un tribunal allemand, de confirmer la licéité du QE en décembre dernier.
La BCE a opéré 10 % des achats, le reste étant réalisé par les banques centrales nationales, dans la limite de leur participation au capital de la BCE. Ainsi, la Banque de France a effectué 21 % des rachats. Le rythme mensuel de ces achats est passé de 60 milliards d'euros de mars 2015 à mars 2016 à 80 milliards d'euros de mars 2016 à mars 2017, ensuite ramenés à 60 milliards d'euros d'avril 2017 à décembre 2017, puis à 30 milliards d'euros de janvier à septembre 2018 et, enfin, à 15 milliards d'euros au dernier trimestre 2018.
Au 13 décembre 2018, le montant total des obligations achetées par la BCE s'élevait à 2 102 milliards d'euros sur le segment des obligations souveraines et à 178 milliards d'euros sur celui des obligations d'entreprises. En ajoutant les créances sur le secteur public et les crédits titrisés d'entreprises, le montant total investi par la BCE dans le rachat d'actifs est évalué à 2 570 milliards d'euros. Son bilan total s'élève désormais à 4 675 milliards d'euros, contre 2 168 milliards d'euros en février 2015.
La stabilisation du programme pose plusieurs questions. La plus évidente tient à son succès : le QE a-t-il rempli tous ses objectifs ?
Le QE semble avoir largement contribué à prévenir le risque de déflation. L'effet sur l'inflation est estimé entre 0,4 point et 0,8 point par an au cours de la période 2014-2018. Les estimations de la BCE tendent à montrer que l'objectif initial en matière de stabilité des prix est pour partie atteint. La BCE table ainsi sur une inflation de 1,5 % dans la zone euro en 2019 et de 1,7 % en 2020. L'inflation sous-jacente, c'est-à-dire hors effet des prix de l'énergie et de l'alimentation, devrait en revanche rester faible, à environ 1 %.
Dans ce contexte, certains économistes s'interrogent sur l'objectif d'un taux voisin de 2 %. L'abaisser risquerait de diminuer les marges de manoeuvre de la BCE en matière de taux d'intérêt nominaux, calculés eux-mêmes sur l'inflation, et donc sa capacité à mettre en oeuvre une politique monétaire contracyclique en faveur de la croissance.
Il faut en effet reconnaître que le QE a contribué à participer à la relance de l'activité économique au sein de la zone euro, et ce à hauteur de 1,9 point de croissance sur la période 2016-2020, soit 0,4 point par an en moyenne.
Il a eu des effets sur les coûts de financement. Selon Moody's, le QE a fait baisser de 50 à 150 points de base les taux souverains à dix ans, profitant en particulier à l'Irlande et au Portugal. Le QE aurait également fait baisser le rendement des obligations allemandes et françaises à dix ans de 50 à 80 points de base et entre 50 et 100 points de base pour les titres italiens et espagnols. Les taux des obligations d'entreprises ont également connu une décrue, même si la réduction du programme d'achat a provoqué une certaine tension en septembre dernier. Les taux des crédits bancaires aux sociétés non financières ont diminué de 1,3 point en zone euro et de 0,7 point en France entre janvier 2014 et fin 2018. Sur la même période, le taux de croissance des crédits a augmenté de 3,8 points pour les ménages et de 6 points pour les entreprises.
Dans ces conditions, faut-il craindre l'arrêt du QE ?