Intervention de Stéphane Pénet

Mission d'information sur la gestion des risques climatiques — Réunion du 13 février 2019 à 15h00
Audition de M. Stéphane Pénet directeur des assurances de dommages et de responsabilité de la fédération française de l'assurance

Stéphane Pénet, directeur des assurances de dommages et de responsabilité de la Fédération française de l'assurance :

Merci M. le président, Mme la rapporteure, mesdames et messieurs. Je vais essayer de présenter la vision des assureurs sur la question de l'indemnisation des dommages causés par les aléas naturels d'une manière générale. Je précise bien que nous nous préoccupons des aléas naturels dans leur ensemble, dans la mesure où seulement une partie de ce sujet est traitée par le régime « catnat ». Or, nous souhaitons adopter une vision globale du problème : si la loi a décidé que le régime « catnat » englobait un certain nombre d'éléments, c'est bien les risques climatiques, d'une manière générale, qui peuvent poser des problèmes dans le monde et en France en particulier.

Je souhaiterais évoquer en premier lieu le périmètre du régime « catnat » - sans trop entrer dans le détail, étant donné que vous avez auditionné la Caisse centrale de réassurance (CCR), spécialiste sur le sujet. Le régime « catnat » est très particulier, peu de pays disposent d'un système comparable à celui dont nous bénéficions en France, hormis peut-être l'Espagne. Ce dispositif se fonde sur un partenariat entre le public et le privé au sein duquel les assureurs jouent leur rôle mais, et c'est là une particularité du régime, l'action des assureurs se situe strictement dans le cadre de la loi : ainsi, le texte qui figure dans les contrats d'assurance couvrant les personnes contre les catastrophes naturelles, de même que le prix ou les modalités d'indemnisation sont fixés par la loi. Les assureurs ne sont donc que le bras armé d'un régime voulu par le législateur.

Par ailleurs, ce régime bénéficie in fine d'une garantie de l'État. En effet, l'assurance a besoin de frontières pour remplir ses fonctions, l'illimité étant impossible à assurer. Par exemple, si une même année se produisent un tremblement de terre à Nice et une inondation centennale de la Seine, toutes les compagnies d'assurance de France seraient ruinées. C'est pourquoi l'État se réserve la possibilité d'intervenir si une année se révèle particulièrement mauvaise ; c'est le sens de cet accord public-privé entre les assureurs et l'État via l'instrument qu'est CCR, réassureur « public » du régime.

Le régime « catnat » couvre les dommages aux biens de toute entreprise, toute collectivité territoriale, ou tout particulier. Il ne s'agit pas d'une assurance obligatoire, mais d'une extension obligatoire aux contrats d'assurance. Dès lors qu'un bien est assuré, il est obligatoirement couvert contre les catastrophes naturelles. A l'inverse, si le propriétaire d'une maison n'est pas assuré, alors il n'est pas couvert contre les catastrophes naturelles. Sur le territoire métropolitain, 99 % des Français et 99 % des entreprises sont couverts contre les catastrophes naturelles, une proportion de 1 % ayant décidé de ne pas s'assurer contre les incendies, les catastrophes naturelles, etc. Il s'agit de la première limite de ce régime : ceux qui ne veulent pas s'assurer ne sont pas couverts contre les dommages liés aux catastrophes naturelles.

Une deuxième limite est que le régime ne couvre pas les récoltes non engrangées des agriculteurs. Nous estimons que c'est un point faible de la protection contre les aléas climatiques en France. La question agricole est exclue du régime, puisqu'elle relève du régime des calamités agricoles.

Enfin, une troisième limite pourrait être l'exclusion des dommages causés par le vent du périmètre de la garantie. Ainsi, les tempêtes Klaus, Lothar et Martin qu'a subi la France ces dernières décennies n'étaient pas couvertes par le régime « catnat » mais par la garantie tempête. Cette dernière est également obligatoire mais ne bénéficie pas de la réassurance de l'État : il s'agit d'un marché totalement libre, entièrement aux mains des assureurs et réassureurs privés. La loi précise cependant que les vents cycloniques dans les territoires d'outre-mer sont couverts par le régime « catnat ».

Si nous devions faire un bilan du régime « catnat », plusieurs points faibles pourraient être relevés.

En premier lieu, dans le secteur agricole, seules 30 % des exploitations sont assurées contre le risque climatique et donc 70 % ne le sont pas. Certes, l'ex-Fonds de calamité agricole - aujourd'hui Fonds national de gestion du risque agricole (FNGRA) - intervient dès lors qu'un agriculteur n'est pas assuré. Néanmoins, ce fonds ne peut intervenir sur les grandes cultures et la viticulture, considérant que dans ces deux cas précis, une assurance est disponible. Le FNGRA intervient en revanche pour les dommages sur les prairies, les arboricultures et les cultures maraichères, dès lors que l'offre d'assurance n'est pas suffisante.

Nous travaillons avec le ministère de l'agriculture pour voir comment développer davantage l'assurance multirisque climat. Il y a là un problème économique, puisque le « business model » des agriculteurs ne leur permet pas de s'assurer. Il existe donc des subventions accordées par les pouvoirs publics pour pouvoir souscrire une prime. L'État verse ainsi 115 millions d'euros, prélevés sur le deuxième pilier de la politique agricole commune. Néanmoins, s'il fallait couvrir l'ensemble de la « ferme France », près de 500 millions d'euros d'aides aux agriculteurs seraient nécessaires. L'enjeu est là : dans quelle proportion l'effort incombe-t-il aux assureurs, d'une part, et aux pouvoirs publics, d'autre part ? Nous en discutons actuellement.

L'outre-mer constitue le deuxième point faible de notre dispositif. L'année 2017 a été terrible pour ces territoires, avec une triade d'ouragans (Irma, Harvey, Maria) et nos compatriotes de Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont vécu un véritable désastre. Toute la question est désormais de savoir dans quelles conditions il serait possible de maintenir une présence pérenne des assurances sur les territoires d'outre-mer, sachant qu'une personne sur deux n'y est pas assurée. Notre souhait demeure que de grands assureurs continuent de travailler sur ces territoires, mais nous savons qu'ils sont de moins en moins nombreux et que les évènements de 2017 ne les incitent pas à rester. Par ailleurs, nous devons faire face à des problématiques de logements, avec de nombreuses habitations provisoires ou insalubres et donc difficiles à assurer. Cela devient un vrai problème dès lors qu'un ouragan se présente. Pour rappel, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les dégâts causés assurés s'élèvent à 1 800 millions d'euros. C'est une question sur laquelle nous travaillons avec la CCR. Le noeud du problème, à notre avis, réside dans les politiques de prévention et les normes de construction. Les normes de prévention spécifiques aux aléas que représentent les séismes, le vent et la submersion marine n'ont jamais été véritablement mises sur la table. Nous allons faire des propositions à ce sujet.

Finalement, les assureurs considèrent que le régime « catnat » a permis, dès 1982, de protéger le patrimoine économique et individuel des Français. Néanmoins, compte tenu de la nouvelle donne climatique - nous avons fait une étude en 2015 sur l'impact que pouvait avoir le changement climatique sur l'assurance à l'horizon 2040 - et des retours d'expériences que nous avons sur les grandes inondations récentes - dans les Alpes maritimes, mais aussi dans l'Aude - nous pensons que ce régime a besoin d'être « toiletté ».

Le principe général d'un régime solidaire, universel, couvrant tout le pays, est une bonne solution, permettant à tout le monde d'être couvert, contrairement à d'autres pays voisins. Par exemple, en Allemagne, lors des dernières inondations, une personne sur deux n'était pas assurée ; certaines personnes ayant tout perdu, c'est l'État qui a dû intervenir. Nous savons néanmoins que sous pression et dans l'urgence, l'État ne peut faire son travail de manière optimale.

Si globalement, nous pensons donc qu'il s'agit d'un bon régime, nous estimons que certains éléments pourraient être changés ou actualisés. Par exemple, les frais de relogement des personnes dont la résidence principale a été rendue inhabitable devraient être couverts par le régime. Cela fait partie de l'aide qu'un sinistré attend naturellement de son assureur. Aujourd'hui, les frais de relogement ne sont pas pris en charge même si certains assureurs acceptent de le faire, de manière contractuelle.

J'aimerais également aborder la question de la sécheresse, sujet qui génère beaucoup d'inquiétude de notre côté. La sécheresse est le péril le plus dynamique dans notre pays, avec des conséquences à la fois sur les agriculteurs et les particuliers, par le biais des phénomènes de résilience des maisons individuelles. Ce péril doit donc être traité différemment. La loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) prévoit que des études de sous-sol sont désormais obligatoires lorsqu'on construit une maison sur une zone argileuse. Cette disposition est susceptible d'exercer une vertu pédagogique vis-à-vis de la personne, mais aussi du constructeur, qui adaptera ainsi les fondations à la nature du sous-sol. Il existe donc des solutions pour lutter contre ce fléau de la sécheresse, mais elles ne figurent dans aucun document technique unifié (DTU) ni aucune réglementation.

Je termine par la question des franchises, sujet sur lequel nous sommes encore en discussion. Il nous semble que la franchise légale de 380 euros pour un particulier et de 10 % du montant des dommages pour les entreprises permet de responsabiliser les personnes. Certes, il est difficile de le dire au moment où arrive le sinistre, mais nous maintenons l'idée qu'il faut conserver une franchise dans le régime « catnat ». C'est d'ailleurs cet aspect qui, lors des débats parlementaires relatifs à la création de ce régime, avait été mis en avant par le législateur. Le système n'est peut-être pas suffisamment lisible, certaines choses peuvent sûrement être ajustées, mais le principe de la franchise semble plutôt bon.

Nous demandons cependant de petits ajustements concernant les commerçants et les artisans. En 2016, lors des grandes inondations, nous avons été confrontés à des boulangeries ou magasins totalement inondés, avec près de 200 000 ou 300 000 euros de réparations. La franchise étant de 10 %, certains petits commerçants assurés n'ont pas pu redémarrer leur activité, parce que ces 30 000 euros de franchise les ont ruinés. Il nous semble donc préférable de plafonner cette franchise à 10 000 euros pour les petits commerces. Nous avons fait une proposition en ce sens.

Pour conclure, je dirais que nous ne souhaitons pas une réforme, mais une actualisation de ce régime qui nous semble être globalement un bon régime, protecteur et équilibré économiquement.

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