Intervention de Jean Merlet-Bonnan

Mission d'information sur la gestion des risques climatiques — Réunion du 13 février 2019 à 15h00
Audition de M. Jean Merlet-bonnan avocat associé du cabinet exème action

Jean Merlet-Bonnan, avocat associé du cabinet Exème Action :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de donner la parole à un praticien confronté au problème du refus de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle à propos duquel collectivités et particuliers sinistrés nous saisissent. Ce refus est en effet pour eux soit illégal, soit incompréhensible, soit manifestement erroné - ou en tout cas mal expliqué. L'objectif de l'avocat est de comprendre les raisons de ce refus et d'en expliquer éventuellement la légalité.

Avant de traiter des catastrophes naturelles, je travaillais pour ma part sur les admissions post-bac (APB), sujet qui peut paraître assez éloigné des catastrophes naturelles. Il s'agit néanmoins des mêmes problématiques législatives et réglementaires. En effet, comme pour APB, la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle n'est encadrée par aucun texte réglementaire, la décision de l'administration relevant d'un pouvoir presque discrétionnaire. Les administrés, étudiants ou sinistrés, se voient opposer une décision sans explication, prise de manière totalement opaque.

Commençons par l'étude du droit existant. Celui-ci est issu de la loi de 1982, qui a constitué une grande avancée dans le domaine des catastrophes naturelles. À l'époque, le législateur a souhaité éviter que le sinistré se retrouve seul face à son assurance, qui pouvait très facilement refuser de reconnaître l'état de catastrophe naturelle. L'assurance avait les moyens d'attendre un procès et une expertise judiciaire, le sinistré ayant parfois peu de possibilités de contestation.

Le législateur, sur la base du préambule de 1946, a souhaité fonder cette loi sur le principe de solidarité nationale et d'égalité de tous les Français devant les charges résultant de ces calamités nationales. La loi de 1982 a donné lieu à différents articles dans le code des assurances, dont l'article L. 125-1, qui prévoit que sont pris en charge au titre des catastrophes naturelles les dommages matériels directs susceptibles de mettre la garantie en oeuvre. Ces préjudices doivent revêtir un caractère non assurable et être causés par un événement naturel anormal. Ceci peut être une source de discussions, plus avec l'assureur qu'avec éventuellement l'administration, qui décide ou non de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.

Or, l'État n'a jamais pris de texte d'application à ce sujet. L'article de loi reste assez général : « L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones, les périodes où s'est située la catastrophe, ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci, couverte par la garantie, visée au premier alinéa de cet article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'État dans le département, assortie d'une motivation. L'arrêté doit être publié au Journal officiel dans un délai de trois mois à compter du dépôt des demandes ». C'est cette problématique de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle par l'administration qui nous occupe aujourd'hui.

Si aucun texte réglementaire n'a été pris, l'administration, ayant horreur du vide, a émis des circulaires. La première remonte à 1984. Elle est publiée encore aujourd'hui sur « Circulaires.gouv.fr » et reste donc en vigueur. Une circulaire de 1998 est venue préciser le régime de 1984. La circulaire de 2014, qui n'a pas vraiment modifié la situation, a créé une reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle d'urgence pour certaines situations particulières et a précisé, dans une annexe, les documents techniques demandés aux différents services de l'État pour pouvoir compléter le dossier.

C'est le seul droit existant aujourd'hui. En pratique, le sinistré qui constate un dommage pouvant manifestement relever de l'état de catastrophe naturelle en fait part à son assureur. Parfois, c'est l'assureur lui-même qui invite l'assuré à faire cette déclaration. Celle-ci, selon les textes, est à effectuer auprès de la commune, qui crée alors un dossier qu'elle transmet au préfet. Le préfet doit lui aussi constituer un dossier assez complet selon les circulaires de 1984 et de 1998, lequel comporte son appréciation, des articles de presse, des rapports des services du département, l'ensemble des éléments transmis par la commune, ainsi que les enquêtes nécessaires. Le préfet, selon la circulaire, a donc un rôle instructeur.

Sur la base de ce dossier, le préfet peut faire un premier tri extrêmement limité, se basant uniquement sur les garanties de catastrophe naturelle. Il exclut donc tout ce qui relèverait d'une autre garantie - calamités agricoles, garantie décennale. Très souvent, le préfet transmet l'ensemble des dossiers à l'État. Nous avons cependant constaté un décalage entre la théorie et la pratique.

Lorsque le préfet a constitué son dossier, il le transmet au ministère de l'intérieur. Pour certaines catastrophes, comme la sécheresse, le ministère demande communication d'un rapport national de Météo-France. Le ministère, en théorie, transmet l'ensemble du dossier pour avis à la commission interministérielle créée par la circulaire de 1984. Cet avis est consultatif et ne lie pas l'autorité administrative. Le ministère prend un arrêté interministériel et procède à sa publication. Le préfet doit alors le notifier à chacune des communes, accompagné d'une motivation.

Dès lors, le sinistré dispose d'un délai de dix jours pour déposer une nouvelle déclaration auprès de son assurance. Dans la pratique, l'assurance accepte parfois que ce délai soit dépassé, dans la mesure où cela ne lui cause pas de préjudice particulier.

Nous avons cependant pu constater que les particuliers ou les collectivités étaient parfois fondés à critiquer le système mis en place. Plusieurs difficultés apparaissent en effet. Tout d'abord, le sinistré qui constate un désordre sur sa maison ne sait pas toujours qu'il s'agit d'une catastrophe naturelle. Il n'a pas toujours le réflexe d'effectuer cette déclaration auprès de sa commune. Très souvent, c'est le maire lui-même qui prend les devants en publiant un article dans un bulletin municipal ou un journal local pour réclamer des déclarations. C'est là la première difficulté.

Le maire fait face à un deuxième problème. C'est en effet lui qui doit remplir un formulaire Cerfa qui permet de solliciter du ministère la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Il peut se heurter à plusieurs difficultés. En premier lieu, le Cerfa lui demande une date. Pour une inondation, la chose est très simple. Pour une sécheresse, la chose est beaucoup plus difficile à établir. Le maire ne reçoit pour ce faire aucune aide des services.

Météo-France établit bien un rapport à ce sujet, mais nous n'avons jamais pu recueillir de position franche et précise sur les conséquences de ces dates. La question pourrait être posée par votre mission aux différents services pour connaître leur impact réel.

Aujourd'hui, les maires qui se heurtent à un refus de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle ne savent pas toujours si ce refus résulte de mauvaises dates ou d'un mauvais dossier. En réalité, on constate que le refus porte sur l'ensemble des dates, notamment en matière de sécheresse, ce qui suggère que la date de départ a une importance limitée.

Or, le texte du code des assurances prévoit bien que la catastrophe naturelle ne peut être reconnue que dans un délai de dix-huit mois à compter du début de l'événement climatique. Un maire qui saisirait le ministère de l'intérieur après ce délai de dix-huit mois, malgré le fait qu'il ait obtenu des demandes, ne peut que se voir refuser la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Ses administrés peuvent alors se retourner contre lui pour cause de demande tardive. On n'en a pas d'exemple, mais c'est un risque. Nous avons pu constater que les maires n'étaient pas du tout informés de ces difficultés.

Aujourd'hui, ce qu'on demande concrètement aux maires, c'est de transmettre le Cerfa au préfet. Ce Cerfa, en fonction des différents types de catastrophes naturelles, a un rôle différent, contrairement aux circulaires de 1984, 1988 et 2014, qui donnent aux préfets un rôle instructeur. Ainsi, s'agissant d'une inondation, le préfet récupère les rapports de ses services internes, un rapport géologique, un rapport local de Météo-France, le Cerfa, et transmet ses éléments au ministère, sans autre étude complémentaire.

Pour la sécheresse, on a constaté que le préfet se contentait de transmettre le Cerfa sans autre analyse. Les seules études techniques sont effectuées au niveau national, sauf lorsque la commune demande pour la première fois la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle et n'a jamais fait l'objet d'une étude géotechnique pour déterminer si le terrain comporte des argiles pouvant donner lieu à un tel événement.

Le dossier est ensuite transmis par le préfet au ministère, qui le complète avec, dans le cas de la sécheresse, le rapport de Météo-France ou, pour d'autres catastrophes naturelles, d'autres rapports techniques. Le ministère saisit alors la commission interministérielle pour avis.

En fait, les informations dont nous disposons indiquent que le ministère se contente de transmettre un tableau rempli préalablement contenant, en matière de sécheresse notamment, les critères définis par la commission interministérielle, avec des indications de Météo-France. La demande comporte également l'avis du ministère, alors que la commission interministérielle est saisie pour rendre un avis préalable. Encore plus surprenant, la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), qui délivre cet avis, préside aussi la commission interministérielle. On marche quelque peu sur la tête !

Aussi le rapport de Météo-France en matière de sécheresse qui est transmis à cette commission interministérielle n'est-il qu'un simple rapport de quatre à cinq pages couvrant toute la France, qui se contente de publier trois à quatre cartes où Météo-France indique les zones en état de catastrophe naturelle.

Selon les textes, la commission devrait normalement étudier un dossier complet et non un simple tableau comportant des avis. Non seulement les informations sont incomplètes, mais l'on a en outre constaté que l'avis de la commission interministérielle était rendu après une seule séance de travail d'une demi-journée, alors qu'elle est censée étudier 800 à 900 dossiers !

La composition de cette commission prévue par la circulaire de 1984, qui n'a jamais été confirmée par aucun texte réglementaire, donne d'ailleurs lieu à quelques difficultés. On y compte, de manière assez logique, les ministères de l'intérieur, des finances, des comptes publics, de l'outre-mer, de l'environnement, mais aussi les membres de la Caisse centrale de réassurance, dont on ne voit pas pourquoi ils devraient se prononcer sur l'existence ou non d'un aléa climatique. Il pourrait être intéressant de les interroger sur leur rôle dans cette instance...

Autre problématique : quels sont les critères étudiés dans cette commission ? Le seul document que nous possédions aujourd'hui nous indique que c'est la commission interministérielle qui fixe les critères d'études de l'événement climatique anormal. C'est donc la commission interministérielle créée par une circulaire de 1984 qui rend un avis sur des critères qu'elle a elle-même posés, dans une composition qui pose question, ces critères étant repris semble-t-il textuellement par le ministère.

Lorsque l'arrêté interministériel est notifié, la commune reçoit une motivation succincte ou technique du préfet. La motivation est prévue par les textes, mais son absence n'a aucune conséquence légale.

Les communes, comme les sinistrés, ont la possibilité de contester l'arrêté. Le juge administratif effectue un contrôle poussé à ce sujet, vérifiant la procédure suivie, si la commission interministérielle a été composée régulièrement, conformément à la circulaire. Il contrôle aussi si l'appréciation retenue par le ministère est conforme aux données météorologiques, même si la commune n'est pas en mesure de produire des données de Météo-France.

Bien évidemment, dans les contentieux que nous avons engagés, l'État se garde bien de transmettre toutes les données de Météo-France, se contentant de communiquer le rapport qui a servi à la commission interministérielle. Les collectivités ont donc très peu de possibilités pour se défendre, sauf à lancer une expertise judiciaire ou à obtenir des éléments d'informations supplémentaires.

Enfin, un arrêt du tribunal administratif de Melun laissait entrevoir la possibilité de contester ces arrêtés interministériels, mais le Conseil d'État, en 2018, dans deux arrêts dont le dernier a été rendu en août, a fermé la porte à ces contentieux au motif que personne n'a jamais contesté la méthode utilisée.

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